RECIT. Comment le PSG de Luis Enrique a tiré les leçons du passé pour décrocher la si désirée Ligue des champions
Il y a des histoires qui paraissent destinées à se répéter, éternellement. Celle du Paris Saint-Germain en Ligue des champions avait pris des airs de mythe de Sisyphe : chaque printemps, une pierre poussée à bout de bras jusqu’aux sommets du football européen, toujours destinée à redescendre, brutalement. Cette fois, Paris n’a pas lâché son rocher. Il l’a hissé tout en haut de la montagne, jusqu’au sommet de l’Europe, dans un dernier élan effréné.
Vainqueur flamboyant de l’Inter Milan en finale à Munich (5-0), samedi 31 mai, le club de la capitale a enfin conquis la première Ligue des champions de son histoire. Une libération savoureuse au bout d’un chemin particulièrement chaotique, ponctué de désillusions aussi puissantes que l’obsession des investisseurs qataris, arrivés en 2011, pour soulever la coupe aux grandes oreilles "sous cinq ans". Quatorze saisons, 12 éliminations (dont une en finale en 2020) et 132 matchs de C1 auront finalement été nécessaires pour y arriver.
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A Munich, le club de la capitale n’aurait pas pu rêver meilleure soirée. S’il avait été sacré cinq ans plus tôt à Lisbonne, en pleine pandémie, aucun supporter parisien n’aurait pu y assister de ses propres yeux et dire "J’y étais". Cette fois, ils étaient près de 18 000 dans les travées de l’Allianz Arena — bien plus si l’on en juge par le vacarme qu’ils ont fait — à célébrer l'avènement de leur équipe. Dans l’euphorie, certains n’ont pas pu s’empêcher d’envahir la pelouse et fouler le même pré que leurs héros.
Une décevante 24e place en phase de ligue
Samedi soir, il ne s’agissait pas seulement de soulever un trophée qui manquait à la collection du musée du club. Il y avait tout un tas de revanches à prendre et de moqueries à étouffer, une dernière page à écrire pour prouver que les dures leçons des années précédentes ont été retenues. Ce PSG version 2025 s’est, en effet, construit dans l’adversité, l’abnégation et à contre-courant des modèles qui, saison après saison, l’avaient précipité dans l’échec. Il aurait fallu être visionnaire pour imaginer un tel dénouement six mois plus tôt.
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La même équipe qui a terrassé l’Inter et les meilleurs clubs d’Angleterre était bien mal en point lors de la phase de ligue. "Dans la situation où on est, je ne peux pas vous garantir qu'on va se qualifier", a concédé Luis Enrique ce soir de début novembre, après le braquage de l’Atlético de Madrid au Parc des Princes (défaite 1-2). Ce soir-là, l’Espagnol, pourtant pas du genre catastrophiste et encore moins enclin à valider les critiques des journalistes, n’a d’autre choix que de faire le constat de l’inefficacité renouvelée de son équipe.
"J'ai 30 ans dans le football, je ne sais pas comment expliquer cela. C'est de la malchance", lâche-t-il trois semaines avant de s’incliner à nouveau, sur la pelouse du Bayern Munich (0-1). A trois journées de la fin de ce premier tour peu sélectif (seuls 8 des 36 participants sont éliminés), Paris est dans la zone rouge, au-delà de la 24e place, la dernière offrant un ticket pour les barrages. Le club de la capitale n’en sort qu’à l’avant-dernière journée, au terme d’un succès aussi renversant que fondateur face à Manchester City (4-2).
Encore parti pour ne rien tirer de sa domination outrageuse, le PSG se retrouve mené 2-0 peu avant l’heure de jeu, après deux buts marqués coup sur coup, avec l’aide de déviations malheureuses. Plutôt que de baisser la tête, les Parisiens insistent et répondent immédiatement par Ousmane Dembélé, sorti du banc ce soir-là, et au début de la période la plus prolifique de sa carrière. Ce soir-là, ils comprennent qu’ils sont dans le vrai et qu’à force d’appliquer le plan de Luis Enrique, ils finiront par être récompensés.
Le tournant du mois de janvier
L’entraîneur espagnol est alors porté aux nues par son président Nasser al-Khelaïfi. "On a le meilleur coach au monde", lance-t-il deux semaines avant de prolonger son contrat jusqu’en 2027. A cet instant de la saison, le PSG ne peut pourtant pas se vanter de sa campagne de C1. C’est à l’arraché qu’il obtient sa qualification pour les barrages, quand les huit meilleures équipes de la phase de ligue attendent sagement les huitièmes de finale. Mais voilà, quelque chose se passe autour de cette équipe depuis l’arrivée de Luis Enrique, passée par les demi-finales dès sa première saison malgré un travail acharné pour dégonfler les attentes autour du club.
Pour la première fois depuis le début de l’ère QSI, le PSG affiche une identité de jeu marquée et une vraie force collective. Ce n’est pas un hasard si cela coïncide avec les départs des superstars, Lionel Messi et Neymar en 2023, puis Kylian Mbappé en 2024, critiquées pour leur manque d’investissement dans les tâches défensives. "Nous allons fabriquer nos propres stars", promettait Luis Enrique en septembre dernier. Homme du match en finale, Désiré Doué en est une désormais.
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Comme beaucoup de ses coéquipiers, il franchit un cap au début de l’année 2025 pour être à 100% au printemps, à l’occasion de la phase à élimination directe. Un revirement salvateur pour le PSG qui avait la fâcheuse tendance de dérouler à l’automne avant de s’écrouler au moment fatidique. L’avance considérable en tête de la Ligue 1 a permis à Luis Enrique de répartir le temps de jeu et ainsi éviter la surchauffe chez certains de ses cadres. Résultat : aucune blessure majeure et un groupe entièrement opérationnel pour chaque match jusqu’à la finale.
Entre janvier et février, le club parisien semble inarrêtable. Il remporte 15 de ses 16 premiers matchs de l’année civile toutes compétitions confondues avec, au passage, une démonstration de force contre Brest en barrages de C1. Comme avec un pot de ketchup, les buts finissent par jaillir : 10-0 sur l’ensemble des deux confrontations. Après la gifle et l’élimination, Eric Roy estime alors que le PSG a "toutes ses chances quel que soit l’adversaire" cette saison. Cela tombe bien, parce qu’une montagne se dresse sur sa route : Liverpool.
L'Angleterre, terre de sparring-partners
Tyran absolu en Premier League et meilleure équipe de la phase de ligue, la formation anglaise est alors projetée parmi les deux favoris à la victoire finale, aux côtés du Barça. La marche semble haute, trop haute. Mais elle est concassée au Parc des Princes et se retrouve à bégayer son football. Si le Paris Saint-Germain rechute, en étant victime d'un braquage à l'anglaise en toute fin de match après avoir échoué à concrétiser sa domination (0-1), l'espoir reste intact tant il a brillé dans le jeu sur ce match aller.
Il n'a pas marqué, mais l'ascendant psychologique est net. Aux abords d'Anfield, censé être une forteresse imprenable, les supporters des Reds ne sont pas très confiants. "C'est du 50/50", entend-on à plusieurs reprises. Et cette crainte se matérialise après seulement onze minutes de jeu quand Ousmane Dembélé remet les deux équipes à égalité. La bataille est âpre. Chaque équipe se procure ses temps forts, mais les buts ne viennent pas, même après trente minutes de prolongation. C'est aux tirs au but que le destin européen se décide.
Au meilleur moment possible, Gianluigi Donnarumma réalise enfin sa première grande performance en Ligue des champions. Le gardien italien, qui était à deux doigts de perdre sa place de titulaire fin 2024, écarte deux tentatives adverses et se mue en héros. Un rôle qu'il assurera à chacun des prochains tours, finale comprise. Comme le montre sa balafre sur la joue, conséquence d'un violent choc avec les crampons de Wilfried Singo en décembre (non sanctionné), l'Italien s'est endurci. Alors que cet épisode aurait pu l'inhiber, il se montre de plus en plus conquérant dans les sorties aériennes, un domaine dans lequel il décevait.
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Le PSG peut alors compter sur un gardien solide. Il découvre aussi le potentiel de sa recrue hivernale, Khvicha Kvaratskhelia. Sorte d'anti-Mbappé, l'ailier géorgien est un monstre de pressing et de travail défensif, en plus d'être juste avec le ballon. S'il n'est pas le plus impressionnant sur le plan statistique, il devient très rapidement un titulaire indiscutable et laisse Désiré Doué et Bradley Barcola se battre pour le troisième poste en attaque. Toutes les pièces du puzzle s'imbriquent. Les points faibles de la veille sont gommés. Critiqué pour sa lenteur, Fabian Ruiz devient un maillon essentiel de l'entrejeu parisien, où Vitinha dicte le tempo et Joao Neves joue les déménageurs.
Accepter le chaos pour mieux le gérer
Fort de son succès sur Liverpool, ce PSG jeune et décomplexé (24 ans de moyenne d'âge) change de dimension. Il est "la meilleure équipe d'Europe à l'heure actuelle" lâche Arne Slot, l'entraîneur de Liverpool. Alors, quand il se présente contre Aston Villa en quarts de finale, un adversaire qui était absent de la Ligue des champions depuis 1983, il enfile le costume de favori. Le match aller au Parc des Princes est une démonstration (3-1). L'essentiel semble fait, rendant un retour des Villans au match retour bien hypothétique. Encore plus quand les Parisiens creusent l'écart en menant 2-0 après seulement trente minutes à Birmingham...
Mais, les cicatrices des blessures du passé n'ont pas encore eu le temps de se refermer entièrement. Et Paris a failli tout perdre sur quinze minutes de relâchement parfaitement exploitées par l'équipe d'Unai Emery. Sans les parades miraculeuses de Gianluigi Donnarumma, l'histoire aurait peut-être été différente. L'Italien a stoppé l'hémorragie, n'empêchant pas son équipe de s'incliner (2-3), mais préservant la qualification pour le dernier carré. "On s'est crus trop beaux, reconnaît alors Ousmane Dembélé. Il va falloir être plus exigeants pour les demi-finales".
L'avertissement est sans frais mais a valeur de rappel. Il est scrupuleusement pris à la lettre au tour suivant contre Arsenal. Après avoir pris une nouvelle fois l'avantage rapidement grâce à Dembélé, le PSG a accepté l'idée de devoir composer avec des temps faibles. Les années précédentes, il lui arrivait de paniquer dès qu'il ne roulait pas sur la concurrence. Toutes les difficultés affrontées depuis le début de cette campagne lui ont prouvé que c'est le propre de ce sport de ne pas pouvoir toujours tout maîtriser.
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Avec une grande solidarité, les Parisiens tiennent le choc et repartent de Londres avec un but d'avance (1-0). Au Parc des Princes, ils ne laissent pas l'occasion aux Gunners de recoller et s'imposent à nouveau (2-1). Après avoir terrassé trois clubs anglais consécutifs, ils rallient la finale. Quand les rues de la capitale s'embrasent, les joueurs de Luis Enrique affichent calme et décontraction à l'approche de l'événement. "Nous avons déjà joué plusieurs finales dans cette Ligue des champions. Nous sommes prêts", assure le coach espagnol à la veille d'affronter l'Inter à Munich.
Un récital le jour de l'examen
Le choc promet d'être serré face à cette équipe italienne tombeuse du Barça après deux demi-finales mémorables (3-3 puis 4-3 en prolongation). Mais il n'y a pas l'ombre d'une marque de stress côté parisien. "Les derniers détails sont prêts déjà. Il n'y a plus rien à travailler. Nous n'avons plus qu'à rester équilibrés, rester concentrés et éviter la surenchère dans la motivation", assure Ousmane Dembélé. La suite est une boucherie en mondovision. Le PSG récite sa partition face à des Nerazzurri méconnaissables.
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Le chef d'orchestre est surprenant. Il s'appelle Désiré Doué et n'a que 19 ans. Pas certain d'être titulaire, il illumine une finale presque trop facile pour lui, avec deux buts, une passe décisive et une ovation volcanique à 25 minutes du coup de sifflet final. Déjà belle, la soirée bascule dans l'irrationnel quand un autre joueur de 19 ans, le titi Senny Mayulu — 41 minutes en C1 au compteur avant son entrée — inscrit le but du 5-0, celui qui permet au PSG de battre le record de la plus large victoire en finale de la Ligue des champions.
La récompense ultime pour cette équipe que l'intronisation de Luis Enrique a transfiguré en deux ans. En bon professeur, il a appris à cet élève, doté de facilités mais qui bâclait ses copies, à faire ses devoirs en avance, tout en cherchant toujours à s'améliorer. Le passage au purgatoire a été salutaire. Signe que la boucle est enfin bouclée, c'est sur la pelouse du Bayern Munich, là où il avait acté l'échec de son projet galactique au printemps 2023, que le club parisien est monté sur le toit de l'Europe.