Notre critique de Honeymoon: une fenêtre sur la guerre en Ukraine

Ce n’est certainement pas la lune de miel dont rêveraient tous les jeunes couples de la planète. Dans Honeymoon, tout commence pourtant comme dans une comédie romantique à l’américaine, légère et insouciante. Nous sommes en février 2022. À Kiev, Olya (Ira Nirsha) et Taras (Roman Lutskyi) emménagent dans leur nouvel appartement. Lui est psychothérapeute, elle sculptrice. De jeunes ukrainiens confiants en l’avenir. Il y a des cartons partout. Des morceaux de Scotch sur les parois de chaque pièce figurent l’emplacement des meubles à venir. La jeune femme prend des mesures devant un mur nu. L’homme vient la rejoindre, émoustillé… L’apanage de la jeunesse, c’est de profiter de chaque instant en le repeignant aux couleurs du désir.

Dans la soirée, des amis viennent pendre la crémaillère. L’héroïne disserte à n’en plus finir sur les échantillons de couleurs des papiers peints aux noms baroques : « Aile de cygne », « Perce-neige », « Vieille dentelle » ou « Écume de mer ». Un convive finira par faire remarquer que « tout ça, c’est un peu blanc, quand même ». On discute politique. La tablée assise à même le sol évoque le dernier discours de Vladimir Poutine, qui s’est permis d’affirmer que Lénine avait créé l’Ukraine. « C’est n’importe quoi quand même ! »

La réalisatrice ukrainienne Zhanna Ozirna signe un film confiné, comme un témoignage effrayant, important, crucial Passer la publicité

Le lendemain matin, au milieu des cartons pas encore déballés, le couple est surpris par des explosions. Le voilà piégé dans leur appartement alors qu’à l’extérieur on entend ronfler les hélicoptères et hurler les sirènes. Progressivement, la vie s’organise dans un concert de chuchotements et de silences apeurés. Olya et Taras mangent ce qu’ils peuvent, des olives et des groseilles. Ils se baladent à quatre pattes en chaussettes toute la sainte journée, en état de sidération, comme des fantômes.

Il vaut mieux faire le mort

Tant que le courant n’est pas coupé, l’héroïne discute au téléphone avec sa galeriste, qui lui conseille de quitter l’Ukraine au plus vite. Même son de cloche de la part du père de Taras, qui lui enjoint de partir le plus à l’ouest possible, vers l’Europe, la France ou l’Allemagne. Les chars passent en bas de l’immeuble et font vibrer le plancher. Plus de réseau, internet a disparu, le couple s’éclaire à la bougie. Des militaires tambourinent aux portes. Il vaut mieux faire le mort.

La réalisatrice Zhanna Ozirna saisit l’angoisse et l’incompréhension des protagonistes en filmant les visages en gros plan. Son dispositif filmique est minimaliste. Mais quelle émotion ! Elle y saisit chaque souffle, chaque inflexion de la voix, chaque mouvement de paupière aussi léger que l’aile d’un papillon. La réalisatrice ukrainienne signe ainsi un film confiné, comme un témoignage effrayant, important, crucial. Une romance intimiste vécue dans l’urgence aussi chaleureuse que glaçante. Honeymoon ne dure que 1 h 24. Pourtant, on ne ressort pas indemne de cette plongée au cœur d’une histoire d’amour figée par la guerre qui s’installe.


Honeymoon . Drame de Zhanna Ozirna. Avec Ira Nirsha, Roman Lutskyi. Durée : 1 h 24.

L’avis du Figaro : 3/4.