L’appel d’une riveraine est tombé en milieu d’après-midi. « Gérard, les gens du voyage arrivent une nouvelle fois. » Le maire de Téloché prend alors une décision radicale. Il s’assied devant le terrain communal de deux hectares où une vingtaine de caravanes tentent de forcer le passage. « C’était la sixième fois depuis le printemps, confie-t-il. Jusqu’ici, j’avais toléré. Mais là, c’était trop. »
LE FIGARO. — Pourquoi avez-vous réagi de cette manière ?
Gérard Lambert. Parce que je ne pouvais plus accepter ces installations sauvages. Quand deux ou trois caravanes stationnent quelques jours, je ferme les yeux. Certaines familles ont même une boîte aux lettres à la mairie et viennent y chercher leur courrier, d’autres scolarisent leurs enfants. Mais là, il s’agissait d’un grand campement, sans sanitaires, branché illégalement sur nos réseaux d’eau et d’électricité. C’était inacceptable.
J’ai immédiatement fait couper les arrivées d’eau et d’électricité. Les discussions ont tourné court. Ils m’ont dit qu’ils avaient des perches pour se raccorder eux-mêmes. Puis, ils m’ont proposé 1000 euros pour rester quatre jours. J’ai refusé. Je représente la République, je ne peux pas cautionner ce genre de pratiques.
Vous avez alors bloqué physiquement l’accès…
Il y a deux ans, j’ai été bousculé et jeté dans un fossé par des occupants illégaux. La justice a classé l’affaire sans suite. Cet épisode m’a profondément marqué. Cette fois-ci j’ai pris une décision radicale : je me suis assis devant l’entrée du terrain. J’ai dit : « Il faudra passer sur le maire pour entrer. » C’était un geste de désespoir, mais je n’avais plus d’autre solution. Je devais rester le « patron » de ma commune.
Ce n’est pas la première fois que la situation s’envenime
En effet. Certains ont acheté des terrains agricoles et y ont aménagé routes et bâtiments. C’est totalement illégal puisqu’il s’agit d’un terrain non constructible. Aujourd’hui, j’ai cinq procès en cours contre eux. Et la pression est constante, même dans ma vie privée : ils viennent parfois directement chez moi. Ma femme a peur. Mais j’assume pleinement ma fonction, je suis le onzième maire de ma famille, je suis passion, je vais à la mairie chaque matin avec le sourire.
On défend les maires dans les discours, mais dans les faits, nous sommes trop souvent seuls
Gérard Lambert
Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
J’ai reçu beaucoup de messages de solidarité de maires voisins, cela réchauffe le cœur. Mais la justice ne suit pas toujours. On défend les maires dans les discours, mais dans les faits, nous sommes trop souvent seuls. Je ne demande pas d’argent à l’État, je ne lui jetterai pas la pierre d’ailleurs. Mais il faut des décisions claires. Chaque commune devrait avoir un terrain capable d’accueillir quatre caravanes, pas plus. Cela éviterait les grands regroupements de 80 ou 100 caravanes, qui créent forcément des tensions. Je propose aussi que les gens du voyage puissent acheter des terrains équipés, et payer des taxes comme tout le monde.
Pourtant les communes alentour ont créé des aires qui leur sont dédiées...
La communauté de communes a bien proposé un terrain, mais soyons honnêtes : il s’agit d’un emplacement sur une ancienne décharge, ce qui relève clairement du mépris. Il est évident que personne ne souhaitera s’y installer — y compris moi.
On vous reproche parfois une certaine hostilité envers les gens du voyage. Que répondez-vous ?
Je n’ai aucune hostilité envers eux. Certains m’ont offert une Bible, d’autres participent à des événements culturels locaux. Il faut cultiver ce lien social : les enfants sont scolarisés dans nos écoles, ils consomment dans nos commerces. La cohabitation est possible, si elle est organisée. Les habitants de la commune sont tout à fait prêts à vivre en bonne intelligence avec les gens du voyage. Mais je le répète : la loi doit être respectée, dans l’intérêt de tous.