Pourquoi le Groenland, qui accueille Emmanuel Macron en visite officielle, est-il si convoité, en particulier par Donald Trump ?

"Le Groenland n'est pas à prendre." Emmanuel Macron entend envoyer un signal fort à Donald Trump, dimanche 15 juin, en visitant pour la première fois ce territoire autonome du Danemark. "J'y vais pour dire : 'On est là, et on est prêts à se réinvestir pour qu'il n'y ait pas de la prédation'", avait-il lancé quelques jours avant cette visite dans cette gigantesque île convoitée par le locataire de la Maison Blanche. Emmanuel Macron sera le premier chef d'Etat étranger à s'y rendre depuis les menaces d'annexion lancées par le président américain.

Donald Trump, invoquant des raisons de "sécurité internationale", a promis de prendre possession de ce vaste territoire arctique "d'une manière ou d'une autre", sans exclure le recours à la force. Au cœur des convoitises, le Groenland est riche en ressources minières et se trouve sur le chemin de nouvelles routes maritimes, du fait du réchauffement climatique. Des éléments qui lui confèrent une importance stratégique majeure.

Des ressources prometteuses et encore peu exploitées

Graphite, lithium, terres rares… Le Groenland possède, dans ses sous-sols encore largement inexploités, 20 des 34 minéraux identifiés dans la liste officielle des matières premières critiques de l'Union européenne, selon un rapport publié par le service géologique du Danemark et du Groenland (GEUS) en 2023. Ces ressources, essentielles à la production de batteries électriques, des technologies nécessaires à la transition énergétique, comme les éoliennes et les panneaux solaires, et de matériel de défense, suscitent l'intérêt des investisseurs et des gouvernements étrangers.

Le territoire autonome a notamment signé un protocole d'accord avec les Etats-Unis en 2019, puis un accord de partenariat stratégique avec l'Union européenne en 2023, pour aider à développer l'exploitation minière. A la clé, notamment, des gisements de terres rares, un type de minerai particulièrement stratégique et aujourd'hui majoritairement extrait en Chine. Le GEUS estime à plus de 36 millions de tonnes les ressources déjà identifiées au Groenland. "A l'échelle du monde, ça serait l'un des trois ou quatre plus gros gisements du monde en termes de terres rares. C'est critique pour la transition énergétique", avance Daniel Mamadou, PDG de l'entreprise Energy Transition Minerals, au micro de France 2.

Cependant, malgré cet engouement, le Groenland ne compte qu'une mine en activité, dans l'ouest du pays, explique l'autorité en charge des ressources minières du pays à franceinfo. Et elle n'extrait pas de minerais d'importance critique. L'industrie minière du Groenland reste "très sous-développée", selon une note du Parlement européen publié en mars. "Cela s'explique par le fait que de grandes parties des réserves demeurent sous une glace épaisse, dans des conditions climatiques difficiles, ainsi que par le manque d'infrastructures et de main-d'œuvre", détaille le rapport.

Autre source de fantasme et de convoitise, les énergies fossiles. Un rapport de l'Institut d'études géologiques des Etats-Unis (USGS) datant de 2007 évoquait en effet des zones "particulièrement prometteuses" au large de la côte est du Groenland, avec un potentiel de 31,4 millions de barils de pétrole, de gaz et de gaz naturel liquéfié. Mais leur exploitation est aujourd'hui au point mort. "Le gouvernement du Groenland a suspendu la prospection pétrolière au Groenland et voit un grand potentiel dans l'hydroélectricité", développée avec l'aide des Danois, retrace Lill Rastad Bjorst, spécialiste de l'Arctique à l'université de Copenhague.

De futures routes maritimes à contrôler

L'Arctique se réchauffe quatre fois plus vite que la moyenne mondiale. Et avec cette hausse des températures, les glaces fondent de plus en plus rapidement. "Les niveaux actuels de couverture de la glace de mer dans l'Arctique sont les plus bas depuis au moins 1850", peut-on lire dans le dernier rapport du Giec.

Cette fonte inquiète, mais pourrait ainsi ouvrir de nouvelles routes maritimes. Le Groenland se situe justement au centre de deux d'entre elles, qui relieraient les océans Pacifique et Atlantique : le passage du Nord-Ouest, qui longe la côte nord du Canada, et la route transpolaire, qui traverse l'océan Arctique en son centre, comme le montre une étude publiée en 2022 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. Selon cette publication, ces voies pourraient réduire le temps de transit de 30 à 50% par rapport à celles passant par les canaux de Suez ou de Panama.

"Les projections montrent que des potentielles voies d'eau libres pourraient être accessibles d'ici au milieu du siècle, sauf si les émissions de gaz à effet de serre sont très réduites" et le réchauffement limité, peut-on lire. Si ces routes sont pour le moment difficilement praticables, "à long terme, avec l'augmentation du trafic maritime dans l'océan Arctique, le Groenland deviendra probablement un acteur clé de la gestion efficace de l'océan Arctique", explique une note de l'université Harvard. Le pays pourrait notamment accueillir les infrastructures de soutien à la navigation : "des ports, des centres logistiques, des stations d'approvisionnement et de ravitaillement, (...) les installations de suivi du trafic, les capacités d'urgence, de recherche et de sauvetage", liste la note du Parlement européen.

Un emplacement de défense stratégique à investir

Alors qu'avec la fonte des glaces, l'Arctique se place au cœur de tensions géopolitiques, le Groenland est aussi une zone stratégique en matière de défense. La base militaire de Pituffik, dans le nord-ouest du pays, permet aux Etats-Unis de renforcer leur influence dans le Grand Nord. Avant-poste de la défense antimissile américaine, elle joue un double rôle "de surveillance des activités spatiales" et "d'alerte rapide contre les menaces potentielles", explique son site, car la trajectoire la plus courte pour des missiles envoyés de Russie en direction des Etats-Unis passe par le Groenland.

Face aux revendications de Donald Trump, le président russe Vladimir Poutine s'est dit "préoccupé par le fait que les pays de l'Otan considèrent de plus en plus le Grand Nord comme un tremplin pour d'éventuels conflits." Des propos tenus lors d'une conférence sur l'Arctique organisée dans le port russe de Mourmansk, base principale de ses sous-marins et des brise-glace nucléaires. Moscou a également investi la région, développant de son réseau de bases militaires dont Nagourskoïé, la plus importante et la plus septentrionale, est située aux portes du Groenland.