« On se bat pour la dignité des gens » : DJ Snake et Omar Sy dévoilent Patience, un clip sur l’exil migratoire
2025 est l’année de DJ Snake. Lors des deux derniers mois, l’artiste franco-algérien a été introduit au musée Grévin, s’est produit au Stade de France, à l’Accor Arena de Bercy, au Parc des Princes après le sacre du PSG, a annoncé un nouvel album pour septembre... Rien ne l’arrête. Ce jeudi, William Grigahcine à la ville sort Patience (Sabali) sur YouTube, un nouveau morceau en collaboration avec Amadou & Mariam qui accompagne un court-métrage réalisé par Valentin Guiod, dans lequel apparaissent Omar Sy, Alassane Diong et Anna Thiandoum.
Au Grand Rex de Paris, mardi soir, quelque 3000 personnes sont venues assister à l’avant-première mondiale de ce projet mélangeant cinéma et musique. Il a fallu attendre 21 heures avant de voir DJ Snake et toute l’équipe pénétrer dans la salle. Les spectateurs ont profité de cette longue attente pour scander des chants de supporter du Paris-Saint-Germain. « Champion d’Europe », ont-ils hurlé. Puis l’inévitable « ici c’est Paris ». Un beau clin d’œil à William, grand fan du club de la capitale, et qui, plus tard dans la soirée, n’hésitera pas à faire la propagande d’« Ousmane (Dembélé) ballon d’or ».
Hommage à Amadou Bagayoko
Sur scène, Valentin Guiod « dédie » la soirée à Amadou Bagayoko, membre du duo Amadou & Mariam, décédé le 4 avril dernier. « On a eu une immense gratitude de croiser sa route », lance, ému, le réalisateur. Le chanteur malien prête sa voix au remix de son propre single Sabali sorti en 2008 et interprété aux côtés de Mariam Doumbia. Le titre signifie « patient » et « immortel » en arabe. Amadou Bagayoko fait aussi un caméo dans une scène du court-métrage, où le duo de musiciens chante au milieu d’un club. « C’est un message de paix », diront-ils dans le making-of.
Amadou & Mariam - Sabali (2008)
Très vite, Valentin Guiod évoque Patience. Il dit travailler depuis trois ans sur ce projet, car il doit « s’accorder au planning » d’Omar Sy et DJ Snake : « C’est le récit d’un voyage, d’un départ. [...] Cette histoire ne nous appartient pas, elle nous traverse, elle nous habite, elle nous dépasse. [...] Ce film revendique fièrement toutes nos influences. » Le court-métrage raconte l’Odyssée clandestine de Moudou, un jeune Sénégalais de Saloum joué par Alassane Diong (Tirailleurs) qui rêve de rejoindre l’Europe.
Le récit est touchant. En 10 minutes et 46 secondes, le spectateur est plongé dans un voyage dangereux et « difficile », remarque DJ Snake. « Partout où il y a des zones de guerre, il y a forcément l’exode des gens qui vivent un parcours du combattant avec des arnaques, des passeurs, du trafic d’humains et tout ce qui s’ensuit, analyse le compositeur. Cette misère, les réfugiés essaient de la fuir pour donner un meilleur avenir à leurs enfants. Ils pourront se voir dans ce film. »
On avait envie de faire un film poétique
Valentin Guiod
Moudou, sans prononcer le moindre mot, annonce à sa copine (Anna Thiandoum), son père et le reste de sa famille son départ. La caméra de Valentin Guiod filme brillamment les émotions des protagonistes, notamment dans la scène d’adieu entre le père et le fils. Omar Sy et Alassane Diong y échangent un regard de plusieurs secondes, lequel se conclut par des larmes. Moudou navigue jusqu’en Algérie, où il fait appel aux passeurs. Les autorités l’arrêtent, brûlent son véhicule, et envoient le jeune homme en prison. Les dix minutes se concluront par un échange silencieux entre Anna Thiandoum et Alassane Diong. Ce dernier associe cette scène à « un rêve », car il « est au pied du mur ». Omar Sy, lui, voit plutôt ce moment comme « un départ ». « Je vois qu’il est parti, qu’il est dans un autre monde et qui la retrouve là-bas », explique-t-il.
« Un film poétique »
C’est la volonté du réalisateur. Avec ces silences, il laisse place à l’interprétation. « On avait envie de faire un film poétique, ça a été la ligne conductrice, vive la poésie », confie Valentin Guiod. DJ Snake complète : « On voulait montrer quelque chose de beau, d’authentique, de réel et de brut. » La musique accompagne un récit envoûtant. Elle se confond dans les images. Les basses sont lourdes et interviennent au bon moment. Le rythme est donné par DJ Snake. L’artiste de 38 ans dit avoir eu l’inspiration du projet au moment où il a composé son tube Disco Maghreb en 2022. Il sait qu’il a un rôle à jouer, mais reste humble : « Je ne suis pas un superhéros. Je fais de la musique, à la base, je fais danser les gens. Mais, j’ai ma sensibilité, en tant qu’homme, comme tout le monde je pense. »
On a grandi en France, en banlieue parisienne
DJ Snake
Avec Disco Maghreb, DJ Snake met en lumière ses origines algériennes. Dans Lean On, un autre de ses grands tubes, il prend la direction de l’Inde. Pareil pour Magenta Riddim. Il voyage aussi en Amérique latine lorsqu’il s’associe à Selena Gomez, Ozuna et Cardi B dans Taki Taki, ou encore à J Balvin dans Loco Contigo. William Grigahcine a toujours prôné la diversité culturelle. « On a grandi en France, en banlieue parisienne, dit-il. Il y avait des Turcs au premier étage, des Maliens au deuxième, des Comoriens, des Antillais, des Marocains, des Tunisiens, des Sénégalais, des Congolais, il y avait tout. C’est devenu ma plus grande force, en fait, de me nourrir de leur musique, de leur culture. » Le DJ ne voit pas ça comme « une faiblesse ». Au contraire, pour lui, « c’est ça la France ».
DJ Snake - Disco Maghreb (2022)
Un projet engagé
Avec Patience, il honore ses valeurs. Snake revendique : « On est juste des humains et on se bat pour la dignité des gens. » La foule du Grand Rex lui fait un tonnerre d’applaudissements, même, le remercie. « Quand on se lève le matin, on voit des choses et on est forcément touchés de près ou de loin par l’actualité, car on a un cœur », explique-t-il. Le compositeur évoque son passé, où il « n’a pas vraiment été entendu » et été mis « tout le temps sur le côté ». « C’est une réalité, alors que moi je m’appelle William et je suis blanc, poursuit-il. Tu t’appelles Boubakar ou tu t’appelles Karim, c’est encore plus compliqué. »
Toute l’équipe du film exprime son engagement. Anna Thiandoum confie qu’il s’agit d’une « cause très grande » qu’elle « porte dans [son] cœur ». Pour Alassane Diong, il faut la « transmettre ». Omar Sy, qui voit en Patience « une réunion artistique forte », déplore une « histoire récurrente depuis la nuit des temps ». « C’est une jeunesse africaine qui a le rêve et le désir de l’Europe et qui risque sa vie », ajoute l’acteur originaire de Trappes. C’est pourquoi les producteurs se sont associés à SOS Méditerranée, un collectif fondé en 2014 et qui revendique avoir « secouru 42 000 personnes en détresse » depuis sa création. « Merci de mettre votre talent et votre notoriété au service de ces valeurs d’humanité, de solidarité, qui nous unissent », a déclaré sur la scène du Grand Rex Sabine Grenard, membre de l’équipe SOS Méditerranée.
Pris de court par une question du public sur la réalisation d’un potentiel long-métrage, DJ Snake a répondu : « Euh ouais... J’ai l’air convaincu ? À chaque fois que j’ai commencé un truc, c’était un délire, c’est parti en coui*** et toute ma carrière a été comme ça. » Pour l’instant, la star de la musique électronique envisage de se reposer. « J’ai eu un dur week-end, je n’ai pas beaucoup dormi, grâce ou à cause du PSG », plaisante-t-il. Rien ne sert de courir, il faut partir à point, énonce La Fontaine.
Patience (Sabali) - Court-métrage de Valentin Guiod
La note du Figaro : 3/4