Gérant d’un magasin Geox menacé de mort : la loi permet-elle à un employeur d'interdire à ses salariées de porter le voile ?

Les menaces sont d’une extrême violence. Le gérant d’un magasin Geox à Strasbourg a refusé à une intérimaire de travailler en raison du voile islamique qu’elle refusait d’enlever. Filmée par l’intéressée, la séquence a été visionnée plus d’un million de fois sur Tik Tok et X, déclenchant un flot d’insultes.

Le CCIE, Collectif contre l'islamophobie en Europe, ex-CCIF (Collectif contre l'islamophobie) qui avait été dissous en France après l'assassinat de Samuel Paty à Conflans Sainte-Honorine, a même dénoncé une «discrimination inacceptable.(...) Contactez Geox pour exprimer votre désapprobation!». «Sur mon contrat, il n'y a pas écrit que je ne dois pas mettre le voile», martèle aussi dans la vidéo qu’elle filme elle-même la jeune femme voilée, qui se décrit par ailleurs dans sa biographie TikTok comme une «femme musulmane inspirante» qui «embrasse le hijab».

Un employeur peut-il interdire le port du voile dans son entreprise sans contrevenir à la loi qui prévient de toutes discriminations ? D'après la loi française, l'employeur privé est en droit d'imposer une tenue vestimentaire ou d'interdire le port de certains vêtements, notamment dans le secteur du commerce, mais selon certaines conditions bien précises.

«Depuis la loi du 8 août 2016 sur le travail, le règlement intérieur (d'une entreprise) peut contenir une clause de neutralité, notamment en matière d'expression des convictions religieuses, qui peut avoir des conséquences sur les règles vestimentaires», peut-on lire dans le «guide pratique du fait religieux dans les entreprises privées », publié par le ministère du Travail. «Une politique de neutralité à l'égard de la clientèle peut justifier l'interdiction de porter des tenues ou symboles religieux à condition qu'elle concerne à la fois les signes religieux, politiques et philosophiques (et) ne s'applique qu'aux salariés en contact avec la clientèle».

Surtout, cette politique de neutralité doit être mentionnée explicitement dans un règlement intérieur ou une note interne, et doit être justifiée par des motifs liés à la nature de la tâche et proportionnellement au but recherché ou pour les postes en relation avec la clientèle.

Jurisprudence européenne

À cette loi, s’ajoutent les différentes jurisprudences dégagées ces dernières années puisque le sujet a déjà fait l’objet d’une «question préjudicielle» à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), dont les juridictions nationales s’inspirent directement.

Un arrêt rendu en octobre 2022 par la CJUE a en effet décidé que le règlement interne d’une entreprise permettait d’interdire à ses salariés de manifester leurs convictions religieuses. La Cour avait été saisie dans le cadre d’une affaire opposant un gérant belge de logements sociaux et une candidate à un stage qui avait indiqué ne pas vouloir appliquer la «politique de neutralité» de l’entreprise.

«La règle d'une entreprise interdisant le port visible de signes religieux, philosophiques ou spirituels ne constitue pas une discrimination directe si elle est appliquée de manière générale à tous les travailleurs», avait répondu la CJUE ajoutant que le règlement devait bien sûr être appliqué «de manière générale et indifférenciée». La juridiction européenne avait déjà rendu en 2021 une décision en ce sens affirmant que l’«interdiction du port de toute expression visible de convictions politiques, philosophiques ou religieuses» pouvait être justifiée par le besoin de projeter «une image de neutralité à l’égard de la clientèle».

L’avocat général de la CJUE avait aussi estimé, lors de cette affaire, que «si l'interdiction du port, sur le lieu du travail, de tout signe visible de convictions politiques, philosophiques ou religieuses est admissible, l'employeur est également libre, dans le cadre de sa liberté d'entreprise, d'interdire uniquement le port de signes ostentatoires de grandes dimensions». À savoir, accepter les médailles et non le foulard islamique, qui «ne constitue pas un signe religieux de petite taille». La CJUE n’avait cependant pas retenu cette conclusion spécifique.