Quand l'Unicef tente de localiser et de venir en aide aux orphelins de Gaza
Début février, l'Unicef a révélé qu’au moins 17 000 enfants à Gaza sont "non accompagnés ou séparés" de leur famille et que la quasi-totalité des enfants de l'enclave palestinienne, près d’un million, avaient besoin d'un soutien psychologique, contre plus de 500 000 avant le début de cette guerre avec Israël, déclenchée par l'attaque lancée le 7 octobre par le le Hamas et ses alliés.
Cette attaque a fait plus de 1 160 morts, en majorité des civils, selon un décompte réalisé par l'AFP à partir de chiffres officiels israéliens. En riposte, Israël, qui a juré d'"anéantir" le Hamas, a lancé une offensive militaire ayant fait plus de 28 000 morts, en majorité des femmes, enfants et adolescents, selon le ministère de la Santé du mouvement islamiste.
En décembre dernier, l'Unicef a qualifié la bande de Gaza comme l'endroit le plus dangereux au monde pour les enfants et estimé que pour garantir leur survie et permettre aux travailleurs humanitaires de rester et d’agir, "des pauses humanitaires ne sont tout simplement pas suffisantes".
Pour faire le point sur la situation de ces enfants, France 24 a interrogé Jonathan Crickx, porte-parole de l'Unicef dans les Territoires palestiniens, de retour d'une récente visite à Gaza.
France 24 : Comment les soins médicaux et psychologiques sont-ils prodigués aux enfants blessés qui se retrouvent seuls à l'hôpital, sans leurs parents ou isolés ?
Jonathan Crickx : Ce conflit et cette crise dans la bande de Gaza affectent particulièrement les enfants. En plus de ceux tués dans les bombardements, nous savons qu’il y a des milliers et des milliers d’enfants blessés. L'Unicef a rencontré un grand nombre d'entre eux et leur a fourni une assistance. Sur place, la situation des hôpitaux est particulièrement tragique, et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce que le nombre d'hôpitaux encore fonctionnels est très réduit aujourd'hui. Entre 13 et 14 hôpitaux sont partiellement fonctionnels sur un total de 36. Par conséquent, ils sont complètement débordés avec des taux d'occupation dépassant les 200 à 300 %. Et cette situation a des implications directes.
Quand on se rend dans ces hôpitaux, nous voyons dans les couloirs des enfants qui ne reçoivent peut-être pas immédiatement les soins dont ils ont besoin. Cela fait donc partie des priorités que l’Unicef a essayé de traiter et de gérer en fournissant une assistance médicale et du matériel destinés aux salles d’opération et permettant de soigner les blessures de ces enfants. Ces derniers sont donc soignés médicalement dans ces hôpitaux, mais dans des conditions particulièrement difficiles. Nous estimons qu’un grand nombre d’entre eux ne reçoit pas l'assistance médicale dont ils ont besoin, en tout cas pas immédiatement. Quant au volet psychosocial, les besoins sont énormes. Depuis le début de la crise, l'Unicef a apporté un soutien psychologique à plus de 40 000 enfants. Mais cela reste insuffisant, tant les besoins sur ce plan sont énormes. Déjà avant les terribles événements du 7 octobre, il y avait environ 500 000 enfants qui avaient besoin d'un soutien psychologique. Aujourd'hui, on estime que tous les enfants de Gaza sont concernés, donc les défis sont énormes.
Vous avez indiqué que l'Unicef apporte un soutien psychologique à ces enfants. Sous quelles formes ?
Il prend plusieurs formes : la première est le soutien via des activités récréatives. Nous organisons donc des ateliers de dessin, de danse et de chant avec les enfants présents dans les abris et dans les camps de réfugiés. J'ai personnellement assisté à l’une de ces activités et il est frappant de voir les sourires animer leurs visages. Ces ateliers sont particulièrement importants pour leur permettre de s'extraire de leur quotidien pendant une ou deux heures. Les activités leur permettent de faire face, dans une certaine mesure, aux traumas liés aux violences auxquelles ils sont été exposés. À cela s'ajoute du soutien psychologique, assuré notamment par nos partenaires et qui s'adresse notamment aux enfants en état de choc.

J'en ai rencontré plusieurs qui ont des difficultés à parler ou à sociabiliser, et qui sursautent ou pleurent lorsqu'ils entendent le bruit d'une porte qui claque, ou lorsqu'ils entendent un bombardement.. Il y a également un programme qui vise à tenter, et il est important de préciser qu'il ne s'agit que d'une tentative, de réunir ces enfants avec leur famille élargie, avec un cousin, un oncle ou une tante. Ce qui est, il faut le souligner, difficile à faire parce que les hostilités sont toujours en cours et qu’il n'y a pas un seul endroit qui est sûr dans la bande de Gaza. Il est notamment compliqué d'atteindre de nombreuses zones du territoire, notamment le nord et le centre.
Où sont hébergés les orphelins de Gaza ? Qui les prend en charge ?
Pour nous et pour leur bien-être, la priorité absolue est d'essayer de tout mettre en œuvre pour localiser et identifier les enfants isolés et les réunir avec leurs familles élargies. C’est vraiment notre objectif principal car nous pensons que c’est la meilleure solution pour eux. Mais dans le cadre du ‘tracing’, qui permet de les identifier et de tenter de les réunir avec leurs familles élargies, ce sont les travailleurs sociaux, nos partenaires, qui assurent cette mission. Ces derniers s’alarment du fait qu’il arrive de plus en plus souvent que les familles élargies ne puissent pas prendre en charge ces enfants isolés parce qu'ils luttent eux-mêmes tous les jours pour nourrir les leurs. Donc la gestion de la situation des orphelins dépend de chaque cas individuel. Ils sont donc hébergés dans des centres où ils bénéficient d’une assistance psychologique et médicale. Lorsque nous voyons l'ampleur de ce qui se passe et l'étendue des besoins à Gaza, seul un cessez-le-feu humanitaire peut permettre de venir en aide aux 17 000 enfants palestiniens non accompagnés ou séparés de leurs parents.
C’est pour cette raison que l’Unicef appelle depuis le début du conflit à un cessez-le-feu humanitaire durable permettant de tracer et d’atteindre ces enfants et d’accéder à diverses zones de la bande de Gaza. L’accès au nord de la bande de Gaza est extrêmement difficile. Nous savons, d'après une estimation, qu'il y a environ 300 000 personnes toujours sur place, mais nous n'avons aucune idée du nombre d'enfants qui ont perdu leurs parents ou qui sont isolés. Il est donc absolument essentiel, pour garantir l’accès à une aide humanitaire vitale qui peut sauver des vies, mais aussi pour le suivi et le soutien psychologique de ces enfants, de conclure un accord de cessez-le-feu humanitaire. Il doit être durable et pérenne, il faut que les otages soient libérés et, surtout, il doit y avoir une solution politique à cette crise. Parce que quand on voit les chiffres, cette situation ne peut plus durer. Les enfants en payent un prix beaucoup trop élevé.
Rares sont les personnes à pouvoir se rendre dans la bande de Gaza. Qu'est-ce qui vous a marqué durant votre visite ?
J'ai passé cinq jours à Gaza, ce qui est à la fois très court et très long. J'ai pu rencontrer une douzaine d'enfants. J’ai discuté avec eux, et ce qui m’a le plus frappé c'est que la moitié d'entre eux avaient perdu un membre de leur famille, un frère cadet, ou deux sœurs... et sur ces douze enfants, deux ont perdu leurs deux parents. Parmi eux se trouvait une jeune fille qui s’appelle Razan. Elle a onze ans et il y a deux mois, alors qu’elle se trouvait avec sa famille chez son oncle, la maison a été bombardée. Elle a perdu ce jour-là son père et sa mère, ses deux sœurs ainsi que son frère. Elle a elle-même été blessée à la jambe gauche et a été emmenée d’urgence à l'hôpital. Sur place, sa jambe n'a pas pu être sauvée, elle a dû être amputée. Aujourd'hui, Razan vit avec son oncle et sa tante à Rafah, où ils ont été déplacés et où je les ai rencontrés. Ils vivent dans une école transformée en centre d’accueil pour réfugiés.
Razan m’a parlé du jour du bombardement, de la façon dont elle était assise sur le balcon et comment en une fraction de seconde, il n'y avait plus que de la poussière et du bruit autour d'elle. Elle a raconté comment elle a perdu sa famille, mais elle a insisté sur la jambe qu'elle a perdue. En fait, elle était assez brève dans son récit et je peux le comprendre, parce que c'était peut-être un moyen de ne plus revivre ce trauma. Mais elle a dit qu'elle voulait vraiment une nouvelle jambe parce que la situation dans le refuge n'est pas du tout idéale, loin de là, et ses déplacements sont très restreints. Le matin elle s'assied et en fin de journée, on vient la chercher, on l'amène à son lit. Elle n'a évidemment accès à aucune installation pour personne à mobilité réduite. Donc que ce soit pour accéder aux toilettes ou plus simplement à de la nourriture Razan reste particulièrement dépendante des autres. Elle a fondu en larmes et m’a demandé une nouvelle jambe. C’est quelque chose de personnel, mais mon sentiment c'est qu'à chaque fois qu'elle voyait sa jambe amputée, elle repensait à l'expérience extrêmement traumatisante qu'elle a vécue et à ses parents disparus.
Interview traduite de l'original en arabe
Le résumé de la semaineFrance 24 vous propose de revenir sur les actualités qui ont marqué la semaine
Je m'abonneEmportez l'actualité internationale partout avec vous ! Téléchargez l'application France 24