Élection présidentielle américaine : pourquoi Joe Biden a-t-il voté avant le 5 novembre ?

Comme n’importe quel citoyen américain, Joe Biden a patiemment fait la queue avant de pouvoir entrer dans l’isoloir d’un bureau de vote à New Castle, dans le Delaware, lundi 28 octobre, et de voter dans le cadre de l’élection présidentielle qui se tient officiellement le 5 novembre prochain. Le scrutin opposera la candidate démocrate Kamala Harris et l’ex locataire républicain de la Maison Blanche Donald Trump

Depuis le 16 septembre, il est en effet possible, dans certains États, de se rendre dans un bureau de vote pour voter de façon anticipée. Et depuis le 6 septembre, la plupart des États (47), permettent de voter par correspondance.

Il y a quatre ans, au lendemain du scrutin qui avait vu Joe Biden rafler la victoire face à Donald Trump, l’homme d’affaires ne tarissait pas de critiques à l'encontre d'un vote qui lui aurait été volé : «Une grande arnaque» à l’origine de «fraudes massives». L’ex magnat de l’immobiliser avait maintes fois insinué, sans étayer ses propos d’aucune preuve, que le vote par correspondance aurait permis aux démocrates de mener des opérations de bourrages d’urnes, les conduisant à remporter l’élection. 

Voter deux mois avant l’élection

Dans son viseur donc, la question de la procédure de vote aux États-Unis, où de nombreux États autorisent le vote par correspondance. Cette solution permet aux Américains de voter sans se rendre aux urnes en envoyant un bulletin postal, ou bien de voter bien avant l’échéance de l’élection. Ainsi, la Caroline du Nord a envoyé dès le 6 septembre l’ensemble des bulletins aux demandeurs d’un vote par correspondance. Les citoyens américains de cet État pourront voter à partir du 17 octobre. 

Et en Pennsylvanie, État «swing state» souvent qualifié de centre de gravité politique du pays, où les démocrates et les républicains sont au coude-à-coude, les citoyens peuvent voter à partir du 16 septembre prochain. Soit presque deux mois avant l’échéance nationale du scrutin, le 5 novembre prochain.

Complexité des élections américaines

Aux États-Unis, ce système de vote par correspondance, dont la législation varie selon les États, fut introduit pendant la guerre de Sécession afin de permettre aux soldats éloignés de leurs foyers de pouvoir aller voter. Il connut ensuite un fort essor au fil des années 2000, qui s’explique en partie par la complexité des échéances électorales américaines. «Dans certains États américains, un bulletin de vote permet de voter pour l’élection présidentielle, mais aussi pour la composition du Sénat, pour des référendums dans une ville, pour la composition d’un conseil municipal...», énumère Olivier Richomme, professeur de civilisation américaine à l'Université Lumière Lyon-2. «Les files d’attente devant les urnes sont souvent longues comme le bras», avance encore le spécialiste. Les Américains apprécient donc la méthode du vote par correspondance, qui leur permet de choisir pour qui voter «de chez, eux, à tête reposée». Cette pratique permet également de remobiliser un électorat américain «miné par l’abstention», explique encore le chercheur. 

En 2020 déjà, 70% des électeurs américains avaient effectivement voté en anticipé lors de la présidentielle américaine. Parmi eux, 64 millions avaient envoyé leur bulletin par la poste. 35 millions s’étaient déplacés aux urnes avant le jour de l’élection. Au total, ils étaient 34 millions de plus que la totalité des votes anticipés à l’élection de 2016, au cours desquelles 43% des votes avaient été exprimés avant le jour de l’élection. Une augmentation record des votes (66% de taux de participation au total, soit 6 points de pourcentage de plus que lors de l’élection précédente) qui s’expliquait en grande partie par le contexte sanitaire : du fait de la pandémie de Covid-19, les électeurs avaient préféré le vote par correspondance au vote en personne le jour J. En Pennsylvanie par exemple, plus de 2,4 millions d’électeurs (sur les 9 millions enregistrés) avaient voté avant le jour de l’élection, soit 10 fois plus qu’en 2016. Et l’État avait finalement été remporté par Joe Biden, au terme d’une manche plus que serrée. 

Pratique «illégale» selon Trump

À l’époque, cependant, si les démocrates encourageaient fortement les Américains à aller voter par correspondance, Donald Trump s’était en revanche élevé contre cette méthode électorale. Jusqu’à inviter en 2020 ses partisans à aller voter deux fois - d’abord par correspondance, puis en bureau de vote, «pour être certain que (leur) voix compte, parce que la seule manière dont (les démocrates) peuvent nous battre est en faisant ce genre de choses», soit recourir au vote par voie postale, pratique qu’il considérait «illégale», s’insurgeait-il dans une interview donnée à la chaîne WEC-TV le 4 septembre 2020. L’ex-président républicain avait ainsi contribué à assimiler, dans l’esprit de ses soutiens, le concept du vote par correspondance à une fraude électorale. Avant l’élection de 2020, 60% des électeurs démocrates annonçaient ainsi vouloir choisir ce système, contre seulement 29% pour les électeurs républicains, annonçaient ainsi plusieurs sondages. 

Quelques mois avant l’échéance du 5 novembre 2024, le candidat républicain semble finalement avoir décidé de retourner sa veste à ce sujet. «Les républicains doivent gagner et nous utiliserons tous les outils appropriés pour battre les démocrates, parce qu’ils détruisent notre pays», s’est ainsi justifié Donald Trump dans un communiqué publié début juin, s’engageant ainsi à «protéger l’accès au vote». Une volte-face qui s’explique en partie par le précédent de 2020. «Les organisateurs de la campagne républicaine se sont sans doute rendu compte que décourager ce système de vote leur avait coûté des voix en 2020», affirme ainsi Olivier Richomme. L’issue de la campagne se noue donc bien avant l’échéance du 5 novembre, et la tenue du premier débat entre Kamala Harris et Donald Trump le 10 septembre prochain, «jouera déjà un rôle non négligeable chez les électeurs indécis» qui auront la possibilité de voter dès la mi-septembre, précise encore le chercheur.