Notre critique de Partir un jour, le film d’ouverture qui fait revenir à Cannes en chantant

À l’heure où l’on écrit ces lignes, on ne sait pas si Partir un jour aura transformé le Grand Théâtre Lumière en karaoké géant. Projeté mardi soir en ouverture de la 78e édition du Festival de Cannes, en même temps que dans toutes les salles de France, le film musical d’Amélie Bonnin a tout pour faire chanter les spectateurs. Il y a peu de chance que Robert de Niro, tout juste récompensé d’une palme d’or d’honneur, ânonne Le Loir-et-Cher de Michel Delpech en sortant du Palais des festivals. Mais entendre un air de Dalida courir dans les rues à la fin de la séance n’est pas à exclure.

Un premier long-métrage français pour lancer le plus grand festival du monde, le pari tenté par le délégué général Thierry Frémaux est audacieux. Il est gagné, n’en déplaise aux grincheux, oublieux de films d’ouverture glamour, clinquants et insipides (Gatsby le Magnifique, Grace de Monaco, Minuit à Paris…). Frémaux l’a présenté comme une sorte d’On connaît la chanson, grand film sur la dépression sous ses airs fantaisistes. Comme Alain Resnais, Amélie Bonnin fait chanter ses personnages. Les dialogues cèdent la place aux paroles de tubes du répertoire, de Nougaro (Cécile, ma fille) à Stromae (Alors on danse).

Les 2be3 en balade enivrante

L’argument tient sur un coin de nappe. Cécile, chef de cuisine, gagnante de « Top Chef », est sur le point d’ouvrir son restaurant à Paris avec son compagnon. Elle est enceinte mais il ne le sait pas. Le troisième infarctus de son père la force à rendre visite à ses parents (François Rollin et Dominique Blanc), propriétaires d’un relais routier dans l’est de la France, plus macédoine et bourguignon que soufflé à la bisque de homard. De retour au pays, Cécile croise Raphaël, béguin de jeunesse resté les pieds dans la boue et les mains dans le cambouis – il est garagiste.

Juliette Armanet donne l’impression d’avoir fait ça toute sa vie. Cuisiner et jouer la comédie. Bastien Bouillon est méconnaissable en blond peroxydé, solaire, drôle et charmeur. Avec la pointe de mélancolie de celui qui aurait pu vivre une autre vie. Les chansons ont été enregistrées en live sur le plateau, avec des arrangements et des orchestrations nouvelles, en variant les styles. Chilly Gonzales revisite ainsi Partir un jour, la chanson des 2Be3 qui donne son titre au film, et transforme la guimauve du boys band en balade enivrante. On parle du grain de la voix comme du grain de l’image. Partir un jour n’en manque pas. Juliette Armanet et François Rollin n’ont pas la même technique mais font passer la même émotion, celle que seul procure un comédien se glissant dans la peau d’un personnage. Un père qui chante Mourir sur scène en épluchant des patates dans sa cuisine, ça pourrait être ridicule. C’est déchirant.

Partir un jour compte plusieurs très bonnes scènes. Et même quelques-unes formidables. En boîte de nuit, quand Ces soirées-là enflamme le dancefloor. À la patinoire, lieu du dernier rendez-vous et du baiser manqué, où Bouillon fait chauffer la glace en chantant Femme like U de K-Maro (« Donne-moi ton cœur baby, ton corps baby »). Il y a quelque chose du voyage dans le temps du Peggy Sue s’est mariée de Coppola. Un sucre trempé dans un bol de café vaut bien une madeleine. Les canards aussi peuvent être proustiens. Partir un jour est un film de patrimoine pop et nostalgique. La France est le pays de la gastronomie, de la chanson et du cinéma. Et de l’amour bien sûr. Il n’est jamais trop tard pour faire une roue arrière pour séduire une fille.