On vous explique la crise en Bosnie entre Sarajevo et l'entité serbe, qui menace les accords de paix en vigueur depuis trente ans

L'ONU ne cache plus son inquiétude, tant les tensions sont vives. Trente ans après les accords de paix, des initiatives de l'entité serbe menacent de rouvrir les fractures historiques de la Bosnie-Herzégovine. "Nous appelons tous les acteurs concernés à faire preuve de retenue, à s'abstenir de discours et actions clivants", a déclaré Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général des Nations unies, jeudi 13 mars. Le pays des Balkans est encore marqué par la guerre qui l'a ravagé entre 1992 et 1995, et fait près de 100 000 morts. Il est divisé, pour l'essentiel, en deux entités : l'une serbe, la Republika srpska (République serbe de Bosnie, RS) et l'autre croato-musulmane.

Milorad Dodik, qui dirige la première, a lancé un nouveau bras de fer contre le pouvoir central, en proposant une nouvelle Constitution locale qui émanciperait davantage les territoires serbes et remettrait en cause le fragile équilibre institutionnel entre les communautés. En parallèle, après une condamnation qui devrait le priver de son poste, il a affirmé son refus de répondre à une convocation de la justice bosnienne, qui a ordonné son arrestation. Franceinfo fait le point sur une situation explosive.

L'entité serbe a lancé un projet de Constitution contestée

Le Parlement de la Republika srpska a approuvé, mercredi, un projet de nouvelle Constitution pour l'entité serbe, fruit d'une nouvelle initiative de Milorad Dodik. Ce texte, qui doit être soumis au débat public pendant 30 jours, définirait la Republika srpska comme "l'Etat du peuple serbe et de tous les citoyens qui y habitent". Elle donne à la RS "le droit à l'autodétermination" et celui de former des "fédérations ou des confédérations avec les voisins ou autres États ou groupes d'États" allusion à peine voilée à un rapprochement avec la Serbie voisine. Le texte conduirait par ailleurs à la formation d'une armée autonome.

Tout ce processus représente "un danger grave" a réagi le bureau du Haut représentant, une fonction crée par la communauté internationale dans le cadre des accords de paix pour garantir leur application. Ce Haut représentant, Christian Schmidt, voit dans ce projet de Constitution de la RS une "violation flagrante" des accords de 1995. Plusieurs partis serbes d'opposition, qualifiés de "traîtres" par Milorad Dodik, ne soutiennent pas non plus son action. "Ce que vous faites est fou, dangereux. (...) Vous vous précipitez d'une erreur à une autre. Vous allez laisser des conséquences catastrophiques. (...) Ne faites pas ça", a déclaré le député d'opposition Nebojsa Vukanovic. Cet élu, vivement mis en cause par la majorité locale, a affirmé sur son site vendredi matin, photos à l'appui, que sa voiture avait été incendiée devant sa maison familiale.

Le président de la RS rejette une condamnation par la justice fédérale

Ce changement de Constitution est lancé dans un contexte déjà lourd. Fin février, Milorad Dodik a été condamné à un an de prison par la Cour d'Etat de Sarajevo pour avoir rejeté l'autorité du Haut représentant, nommé par la communauté internationale et dont les décisions sont censées s'imposer aux élus de Bosnie-Herzégovine. Cette peine de prison est assortie d'une interdiction d'exercer ses fonctions pendant six ans. Le dirigeant, qui affirme depuis des mois être victime d'un "procès politique" visant à l'"éliminer de l'arène", a passé outre ce jugement.

Le Parlement de la Republika srpska (RS) a adopté en réponse une loi interdisant à la justice et à la police de l'Etat central d'exercer dans cette entité serbe, qui couvre 49% du territoire de la Bosnie-Herzégovine. Promulgué le 5 février, le texte a été suspendu trois jours plus tard par la Cour constitutionnelle du pays. Les dirigeants bosniaques ont dénoncé un "coup d'Etat" de l'entité serbe, et le parquet fédéral a ouvert une enquête pour "attaque à l'ordre constitutionnel", dans laquelle Milorad Dodik est l'un des suspects.

Convoqué par un procureur à Sarajevo pour être interrogé, le dirigeant de la RS a exclu de s'y rendre. Ce qui a conduit le parquet fédéral bosnien à ordonner à la police centrale, mercredi, d'arrêter Milorad Dodik, ainsi que deux autres responsables : le président du Parlement de la RS, Nenad Stevandic, et son Premier ministre, Radovan Viskovic.

Milorad Dodik refuse d'être arrêté et montre les muscles

Dans la foulée, mercredi, les trois hommes se sont adressés aux médias depuis le palais présidentiel à Banja Luka, chef-lieu de l'entité serbe, défiant cette demande d'arrestation. "Je recommande à la Sipa [la police centrale] de ne pas agir et je crois qu'ils ne le feront pas. J'ai confiance en la police de la Republika srpska", a déclaré Milorad Dodik. "Nous n'avons pas souhaité une telle escalade (...) Il ne s'agit pas de la défense d'un individu quelconque, c'est la défense de notre République", a poursuivi le dirigeant local, appelant la population à exprimer son soutien. Une grande manifestation est d'ailleurs prévue samedi.

Milorad Dodik, président de la Republika srpska (au centre), prend la parole lors d'une conférence de presse à Banja Luka, le 12 mars 2025. (STRINGER / AFP)
Milorad Dodik, président de la Republika srpska (au centre), prend la parole lors d'une conférence de presse à Banja Luka, le 12 mars 2025. (STRINGER / AFP)

Nenad Stevandic a déclaré que les trois dirigeants de la RS étaient protégés par leur immunité. "Nous sommes dans une attitude anti-guerre. Cette attitude anti-guerre ne signifie pas que nous nous sommes rendus et que nous n'utiliserons pas notre droit à l'autodéfense", a-t-il déclaré, comme un avertissement au parquet et à la police centrale. Le palais présidentiel, dans le centre de Banja Luka, était gardé mercredi par des membres de la gendarmerie de l'entité serbe, une force spéciale de police, armés de fusils automatiques. Le ministre de l'Intérieur de la Republika srpska, Sinisa Karan, a d'ores et déjà affirmé que "personne ne sera arrêté".

La communauté internationale s'inquiète et envoie des renforts

Au pouvoir depuis bientôt vingt ans, l'ultranationaliste Milorad Dodik, 66 ans, est un habitué des provocations, et il menace souvent de faire éclater la Bosnie-Herzégovine. En amont du rassemblement de samedi, la Croatie a demandé à ses ressortissants se trouvant dans le pays voisin de restreindre leurs déplacements. La Serbie d'Aleksandar Vucic, qui observe avec intérêt les derniers développements, a de son côté mis en garde contre de supposées violences provoquées par le pouvoir central en marge de cette marche.

Plus largement, les récentes actions de la Republika srpska ont été condamnées avec fermeté par les Etats-Unis et l'Union européenne. Le chef de l'Otan, Mark Rutte, s'était rendu à Sarajevo lundi et avait assuré que la communauté internationale ne laisserait pas s'installer un vide sécuritaire dans le pays. La force européenne toujours déployée pour faire respecter les accords de paix de 1995, l'Eufor, a annoncé une "augmentation temporaire" de ses effectifs sur place, à hauteur de 400 soldats et de quatre hélicoptères supplémentaires. Les premiers renforts sont arrivés mardi.