Comment une sculpture de l’abbé Pierre, sexe en érection, a pu être exposée dans une église ?
Un symbole indécent... Une représentation de l'abbé Pierre tendant de manière impudique son linceul ? « Pour quoi faire », « la limite est dépassée », « choquant »... Sur les réseaux sociaux, la dernière œuvre du sculpteur toulousain James Colomina indigne les internautes. Silentium (“silence” en latin, NDLR), l’œuvre incriminée, frôle « l’irrespect », et sa présence en plein milieu de l’église désacralisée du Gesù - dans le quartier des Carmes de Toulouse - est jugée par beaucoup comme « plus que préoccupante ». L’abbé Pierre, donc, sur un chariot mortuaire métallique, recouvert d’un drap blanc à la forme suspecte, voilà le sujet qui fait débat. Débat, car sous ce linceul, il est difficile de ne pas imaginer autre chose que l’homme d’Église - mort en 2007 - en érection. Débat aussi, car au-delà de la sculpture, c’est sa présence en plein cœur d’un lieu de culte qui dérange, alors que la « sexualité problématique » du prêtre a fait récemment la une de l’actualité.
Pourtant, nul besoin de faire appel à la justice, de fouiller les lignes du Code civil ou même de condamner l’artiste. Comme évoqué précédemment, l’église du Gesù est un lieu « désacralisé », c’est-à-dire dédié à un usage profane. Depuis 2000, elle appartient à la ville de Toulouse qui l’a réaménagée en salle de concert d’orgues. Il est alors « assez simple de réserver les locaux », explique au Figaro James Colomina. « D’ordinaire, je m’installe sans autorisations, poursuit l’artiste toulousain. Mais je n’avais pas envie d’offusquer les catholiques en exposant mon œuvre dans une église traditionnelle. » Il s’est donc tourné vers cet édifice néo-gothique du XIXe siècle. Cela lui a permis d’exposer Silentium pendant deux après-midi. « J’ai pu garder les codes de l’église, son ambiance sonore et ses décorations », se réjouit James Colomina.
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Marquer les esprits
L’artiste toulousain a justifié vouloir « offrir un espace de dialogue silencieux, intime, mais puissant, invitant chaque visiteur à explorer des thèmes de mémoire, de justice et d'humanité ». L'exposition était visible les 1er et 2 novembre, une durée très éphémère en raison de son caractère polémique et engagé. L'artiste espère tout de même avoir marqué les esprits avec Silentium, « une œuvre qui continuera d'inspirer la réflexion au-delà de sa découverte », nous explique-t-il.
« Il appartient à la société de soulever le voile pour enfin voir ce qui a été enfoui sous des décennies de silence »
James Colomina
Longtemps, l'artiste baptisé, mais non-croyant, a pensé que « les symboles sacrés devaient rester intacts ». Mais le voilà déçu par l’Église, ses secrets, « cachottière de réalités ». « Il appartient à la société de soulever le voile pour enfin voir ce qui a été enfoui sous des décennies de silence et de s'interroger sur les cicatrices laissées par ce passé », argumente James Colomina. Ce silence de cathédrale est notamment incarné par l’affaire qui concerne le comportement sexuel de l’abbé Pierre, qui a remis en lumière une dizaine d'abus sexuels commis entre 1950 et 2000 sur plusieurs femmes. L’artiste toulousain a pris connaissance de ce scandale posthume alors qu’il était « en pleine vente d’eau de Seine » dans les quartiers toulousains. Il devait « comme par hasard » donner ses « recettes hydriques » à la fondation Emmaüs. « Autant vous dire que je me suis vite ravisé », s’exclame James Colomina. Il lui est ensuite venu l’idée de Silentium, un projet qu’il s’est empressé de défendre auprès du journal local La Dépêche avant le début de l’exposition. « Je n’en ai rien à foutre, je parle des sujets que je veux », avait-il déclaré, sans retenue.
L’éternelle question de l’œuvre «blasphématoire»
Face à une inspiration artistique aussi polémique, une question éthique se pose : doit-on laisser une liberté absolue aux artistes quand le sacré et la foi sont directement et indirectement le sujet d’une œuvre ? Une question qui s’était déjà posée après le massacre de Charlie Hebdo en 2015. Ou dit autrement, qu’adviendrait-il si une sculpture, qui peut être considérée comme blasphématoire, avait été exposée dans une mosquée, un temple ou une synagogue ? En tout cas, sur X (anciennement Twitter), nombreux sont les internautes choqués par le sulfureux Silentium. « Si l’abbé Pierre a fait du mal, il a aussi fait du bien, beaucoup plus que ne fera cet artiste », peut-on lire dans un tweet anonyme; « Quelle honte ! Ils s’attaquent même aux morts » dans un autre; ou encore « Il attend quoi pour faire un Mahomet avec une érection ? » dans un troisième message...
Face à ces critiques peu amènes, souvent plus acerbes sur sa messagerie privée, James Colomina, fait le dos rond : « Je me fais insulter, mais je n’y prête pas attention. Je me sens encore plus légitime. Je crée la polémique, mais c’est juste la vérité et ils la prennent en pleine face ! »
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Jusqu’à cette querelle artistique, le street-sculpteur toulousain avait pour habitude de se cacher derrière ses œuvres. Sur les réseaux sociaux, il brillait par son absence. Une manière pour lui, à la fois, de se protéger des menaces provoquées par des idées parfois provocatrices et, aussi, de fuir la célébrité. « C’est un trésor d’être un artiste incognito, de pouvoir m’exprimer comme je le souhaite », se justifie-t-il.
Conspué sur le Net, le Silentium a en revanche intéressé quelques visiteurs de l’église du Gesù : « Certains faisaient directement demi-tour, d'autres trouvaient cela scandaleux, mais majoritairement, il n'y a eu que des bons retours, constate-t-il. Tout le monde a été choqué par les dernières informations sur l'abbé Pierre et ce n'est pas étonnant qu'une grande partie des spectateurs me soutienne dans ce projet.» Près de 250 personnes le samedi 1er novembre et plus de 1 000 le dimanche se sont déplacées. Un encouragement pour l’artiste toulousain qui veut continuer de dénoncer ce qu’il nomme « les atrocités de notre monde ». Car James Colomina en est persuadé : « L’art est une arme, et je compte bien m’en servir et faire réagir. »