Amour, Porsche et cocaïne : à Marseille, les dessous du narcotrafic à la Paternelle
Le Figaro Marseille
Les deux adolescentes sont bien seules sur les bancs déserts destinés au public dans l'immense salle des procès hors norme. Si elles sont présentes dans ce tribunal en ce mercredi matin, c'est un peu à la demande de leur mère, Virginie G. À la barre de la septième chambre du tribunal correctionnel de Marseille, impeccablement maquillée, la trentenaire parle d'une petite voix, vêtue d'un élégant costume noir. Avec un léger accent marseillais, elle explique avoir tenu à être accompagné de ses filles pour qu'elles «comprennent l'erreur» qu'elle avait faite presque dix ans plus tôt. «Quand on est amoureuse d'un garçon, on peut en arriver là. Et j'espère que ça va leur servir pour leur futur», lance-t-elle.
Aujourd'hui, Virginie G. est employée dans un supermarché le matin et serveuse dans un bar des quartiers nord de Marseille l'après-midi. Entre 2016 et 2018, sa vie était bien différente. «C'était une autre Virginie», confie-t-elle en sanglots. Une vie dont, elle l'assure, il ne lui reste rien, et qui lui vaut de comparaître devant un tribunal. Elle était alors surnommée «Minette», possédait plusieurs montres de luxe et louait des appartements dans les environs de Marseille avec de faux papiers et sous une fausse identité. «On changeait tellement d’endroits...», se souvient-elle. À l’époque, «Minette» est la maîtresse d'un ami d'enfance, Boumédiene M., alors qu’elle vient de divorcer du père de ses filles. Si elle «bouge» avec son compagnon d'une adresse à l'autre, c'est à sa demande, «pour qu'on se réfugie de temps en temps». «On était recherchés, confie-t-elle. C'était pour qu'il ne se fasse pas arrêter».
Né en 1985, Boumédiene M. faisait l'objet d'un mandat d'arrêt depuis 2011. Il avait été condamné en son absence à sept ans de prison ferme pour trafic de stupéfiants, menaces de mort, séquestration, association de malfaiteurs et violences aggravées. Une peine qui n'avait pas freiné le Marseillais dans ses activités illicites. Selon les enquêteurs, entre 2016 et 2018, Boumédiene M. avait pris la tête d’un des points de vente de trafic de stupéfiants de la cité de La Paternelle, dans le 14e arrondissement de Marseille.
«Go fast»
Cette cité des quartiers nord a fait parler d'elle ces dernières années pour être le théâtre de violentes guerres de territoires entre la DZ Mafia et le clan des Yoda. Mais, avant cette vendetta, l'un des points de vente était tenu - selon les enquêteurs - par ce récidiviste du trafic de stupéfiants. «À l’époque, on a déjà des chiffres d'affaires assez colossaux, rappelle la présidente de la septième chambre du tribunal correctionnel de Marseille, Christel Estienne-Garcia. Ce n’est pas du délire que de parler de 80.000 euros par jour...»
Surnommé dans le milieu «Tonton du Bled», «Flynx» ou encore «Max», Boumédiene M. avait usurpé dans le civil l'identité d'un autre homme pour poursuivre ses activités. Selon les enquêteurs, son point de deal à la Paternelle, tout près d'une bretelle d'autoroute, est alors ouvert jour et nuit. Le jour, il est géré selon l'accusation par le frère de «Minette», Michel-Ange G., surnommé selon les enquêteurs «Mimi» ou encore «Tchoutchou». Avec lui, et d'autres de ses lieutenants, «Flynx» se rend à plusieurs reprises en Espagne pour des «go fast» pas vraiment discrets. Dans des Audi ou des Porsche louées pour l'occasion, en pleine nuit à 200 km/h, ces trafiquants de drogue sont soupçonnés de transporter directement la marchandise depuis la péninsule ibérique jusque dans les Bouches-du-Rhône.
Dans son entreprise illégale, «Flynx» pouvait compter sur le soutien de sa maîtresse «Mimine». C'est elle qui loue sous une fausse identité un appartement nourrice à Salon-de-Provence. La drogue était régulièrement acheminée depuis ce logement vers le point de vente de La Paternelle, en particulier la cocaïne, la spécialité de ce point de deal, conditionnée dans des petites pilules de couleurs. Lors d'une perquisition, les enquêteurs retrouvent dans cet appartement une kalachnikov, un pistolet automatique, 1,5 kilo de cocaïne, 20 kilos de résine de cannabis et du matériel de conditionnement.
À la barre, comme pétrifiée, se touchant nerveusement ses longs cheveux, Virginie G. peine à répondre aux questions du tribunal. Quand la présidente l'interroge sur l'organigramme du réseau, Virginie G. garde le silence, interdite. «Est-ce que votre parole est libre aujourd'hui ?», lui demande son avocate, Me Stéphanie Keita. «Non. C’est compliqué.» Dans son dos, les autres prévenus la fixent du regard.
Emprise
«Je faisais sous les instructions de Boumédiene», répète-t-elle inlassablement. Longuement questionnée par la présidente du tribunal, Christel Estienne-Garcia, Virginie G. finit par reconnaître du bout des lèvres être devenue une cogérante du réseau de trafic de drogue, par «emprise affective». Quand il est incarcéré dans une autre affaire, «Mimine» prend même le relais de son compagnon dans leur business illicite avec - elle l’admet - une certaine autonomie dans cette gestion. La jeune femme supervise, donne des instructions, approvisionne le point de vente et récupère l'argent. Elle en informe régulièrement «Flynx». Le détenu, avec qui elle communique en permanence, s'est procuré grâce à ses proches un téléphone.
«Je ne me rendais même pas compte, affirme-t-elle au bord des larmes. Je ne voyais pas le danger. Je faisais ça pour lui. Je savais très bien que ce que je faisais n’était pas bien. Mais je me disais qu'il n’allait rien m'arriver parce que j'étais avec lui.» «À cette époque-là, vous ne voyiez pas vos filles et vous privilégiez le trafic de stupéfiants à vos filles !», s'indigne la procureur de la République, Sophie Bot. Virginie G. baisse la tête, honteuse. Sur le banc du public, derrière elle, ses filles sanglotent en silence.
Dans cette affaire, Virginie G. a été placée en détention provisoire pendant deux ans. Elle est appelée à comparaître jusqu'au 22 novembre. Quinze autres prévenus devaient se rendre devant le tribunal correctionnel mais seuls six d'entre eux ont répondu à l'appel. Devant la cour, certains avocats de la défense ont même expliqué ne plus avoir de nouvelles de leurs clients depuis plusieurs années. Parmi les absents à l'ouverture des débats se trouve le fameux Boumédiene M., à la tête de ce réseau prolifique. Mais en fin de journée, son avocat a fait savoir à une cour passablement agacée que «Flynx» avait finalement décidé de comparaître devant le tribunal, dès ce jeudi matin.