Inondations : faut-il s’attendre à de plus en plus de crues en France ?
Au tour de la Bourgogne et du Centre Val-de-Loire d’avoir les pieds dans l’eau. Les départements de l’Yonne et l’Aube étaient encore le 4 avril en vigilance orange crue, alors qu’une nouvelle vague de pluie traverse la moitié nord du pays d’ouest en est. Malgré une légère décrue amorcée très lentement dans la nuit de mercredi à jeudi, loa situation reste critique dans l’Yonne, inondée par les crues des cours de l’Armançon et du Serein.
«De nombreux et dommageables débordements seront encore observés ce jeudi matin», prévient l’organisme de Météo-France Vigicrues, qui affirme qu’il s’agit d’une «crue exceptionnelle» puisque les niveaux ont dépassé ceux d'avril 1998 à l'amont et sont du même ordre que mai 2013, voire un peu supérieur à l'aval. À Chablis, l'une des villes les plus exposées à la crue dans l'Yonne, le pic a été atteint dans la nuit de mardi à mercredi : le niveau du Serein a dépassé les 2,50 mètres, soit 35 centimètres de plus que la crue record de 2013.
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À peine trois semaines plus tôt, les crues dévastatrices dans le Gard et l’Ardèche à la suite du passage de la tempête Monica avaient fait cinq morts et causé d’importants dégâts, quelques mois à peine après les inondations exceptionnelles par leur intensité dans le Nord-Pas-de-Calais. Les épisodes de crues sont-ils voués à se multiplier en France ?
Excédent pluviométrique de 85%
«Le phénomène d’inondation dépend de plusieurs facteurs», tient à clarifier Françoise Vimeux, climatologue et directrice de recherche à l’institut de recherche pour le développement. «Le premier critère, c’est la pluie : son intensité, son volume, sa durée». Or, le mois de mars 2024 était particulièrement pluvieux, annonce Météo France. «À l’échelle nationale, l’excédent pluviométrique a atteint environ 85%» par rapport à la moyenne 1991-2020, note l’organisme. Il s'agit du cinquième mois de mars le plus arrosé depuis le début des mesures météorologiques en 1958.
Ces précipitations intenses tirent en partie leurs origines des masses d’air chargées d’humidité provenant de la Méditerranée et de l’océan Atlantique, dont les températures augmentent progressivement avec le réchauffement climatique. Cet air humide est poussé par les vents d’Ouest jusqu’à l’Hexagone, et finit par «s’y déverser sous forme de précipitations», décrit Françoise Vimont. «La combinaison de fortes pluies durablement bloquées par les reliefs [en France] est l’un des paramètres en cause dans les inondations cette année», complète Régis Crépet, météorologue à La chaîne Météo*.
«Quand le réchauffement climatique fait grimper les températures de l’océan et de l’atmosphère, le régime de pluie se modifie en conséquence», avance encore Françoise Vimeux. La fréquence de pluies torrentielles s’en trouve ainsi exacerbée et les crues que ces épisodes provoquent peuvent être plus fréquentes. «Néanmoins, les projections hivernales de pluie comportent encore beaucoup d’incertitudes :on ne voit pas de tendances, pour l’instant, à l’évolution des pluies pour cette saison à l’avenir», reprend la climatologue.
Un Français sur 4 vit en zone inondable
Par ailleurs, la fréquence future des crues ne dépendra pas que des précipitations, insiste Alexandre Isgro, météorologue et prévisionniste, mais également de la nature des sols et de leur imperméabilité. Concrètement, s’ils sont bétonnés, ou soumis à de fortes précipitations depuis plusieurs semaines, ils ne peuvent plus absorber l’eau qui ruisselle vers les zones plus «basses» et vers les cours d’eau qui gonflent et débordent, entraînant des ruissellements et des stagnations d’eau, poursuit Françoise Vimeux.
Actuellement, un Français sur quatre vit en zone inondable, et cette proportion pourrait augmenter, en partie à cause de l’installation d’activités humaines dans ces zones exposées, peu aptes à résister aux inondations. «En conséquence, le coût des inondations augmente, mais cela ne veut pas nécessairement dire que les crues augmentent nécessairement en fréquence et en importance aussi. Il faut en revanche chercher à s'adapter, en construisant par exemple sur pilotis», avertit Françoise Vimeux.
Plus de submersion marine
Le réchauffement climatique y joue également son rôle dans l’inondabilité de certains territoires, pointe encore la climatologue. «Le niveau d’eau des océans et des mers monte et provoque davantage de submersions marines qu'avant», explique-t-elle, soit des inondations temporaires de la zone côtière. La conjoncture de pluies intenses et de la hausse du niveau des océans complexifie l’écoulement des cours d’eau vers la mer, qui peuvent déborder et provoquer des inondations.
Pour les deux experts, difficile donc d’établir des tendances sur la fréquence des crues dans les années à venir au vu de la nature multifactorielle de ces phénomènes. D’autant plus que les perspectives météorologiques pour l’avenir n’observent pas de réelle modification du régime des pluies en hiver. Il s’agit cependant de rester vigilants sur notre «vulnérabilité» aux inondations, au vu de l’aménagement du territoire sur les zones inondables, souligne Françoise Vimeux. Sans savoir s’il y aura davantage de crues à l’avenir, il est en revanche plus certain que nous sommes d’ores et déjà plus vulnérables aux inondations.
*La chaîne météo est une propriété du groupe Figaro.