Six nations 2025 : sens du jeu, capacités physiques, leadership... Antoine Dupont est-il le meilleur demi de mêlée de l'histoire du rugby ?

Seize joueurs face à la caméra, seize réponses unanimes. Au moment d’interroger les joueurs des équipes engagées pour l’édition 2024-2025 de la Champions Cup sur le meilleur joueur qui prendra part cette année à la compétition, un seul nom sort du lot : celui d’Antoine Dupont. Publiée le jour de ses 28 ans, à quelques semaines du début de la saison européenne, la vidéo réflète la popularité et l’aura du demi de mêlée, qui mènera le XV de France pour son entrée en lice dans le Tournoi des six nations face au pays de Galles, vendredi 31 janvier (21h15 sur France 2 et france.tv).

Titulaire indiscutable au Stade toulousain et en équipe de France, Antoine Dupont est l’une des références mondiales au poste de numéro 9, l'un des plus importants sur un terrain. "Le rôle du demi de mêlée est multiple, c’est un leader de jeu, un capitaine sans forcément avoir le brassard, un joueur qui doit connaître toutes les combinaisons autant des avants que des trois-quarts", décrypte Dimitri Yachvili, ancien numéro 9 du XV de France et consultant France Télévisions. "C’est lui qui dirige le jeu, il fait le lien entre les avants et les trois-quarts, il est au cœur du réacteur. C’est lui qui touche le plus de ballons, tout passe par lui."

"La classe à l'état pur"

Quadruple champion de France, double champion d’Europe, champion du monde et olympique sur le circuit du Seven (rugby à sept), nommé meilleur joueur à XV du monde par World Rugby en 2021, le Haut-Pyrénéen a tout gagné, ou presque. Du haut de ses 28 ans, il est la tête d’affiche du rugby tricolore et l’une des icônes mondiales. "Quand tout sera dit et fait, il sera l’un des plus grands joueurs de notre sport, tranchait le demi de mêlée néo-zélandais Aaron Smith. C’est déjà probablement le plus grand de sa génération. Il a changé le rugby. Il n’est pas qu’un demi de mêlée, il est la classe à l’état pur", ajoutait sur X le champion du monde 2015, juste après l’or olympique des Bleus du rugby à 7. Pour autant, Antoine Dupont peut-il déjà être considéré comme le meilleur demi de mêlée de l’histoire du sport ?

Si les classements sur les meilleurs rugbymen de l’histoire promettent des débats sans fin, Antoine Dupont se pose comme un joueur hors du commun. Le natif de Lannemezan impressionne avant tout par son sens du jeu, souligné depuis le début de sa carrière comme l'un de ses plus grands atouts. Sur le terrain, peut-être plus que n’importe quel autre joueur, Antoine Dupont semble tout voir, presque toujours avec un coup d’avance. "Il voit le terrain de façon réduite, ce qui est très difficile pour un demi de mêlée, mais il voit aussi dans la largeur", illustrait l’ancien demi de mêlée australien George Gregan (139 sélections avec l'Australie) sur le podcast The Good, the Bad & the Rugby en novembre 2024. Cette faculté lui permet d’ouvrir le jeu et de trouver des solutions, là où d’autres ne les verraient pas forcément.

"Quand il y a un moment à saisir, une action, une touchette, un 50-22… Il a le talent et le bagage technique pour le réaliser mais aussi la vision pour savoir quand l’exécuter. Et il le fait plus souvent bien qu’il ne le fait mal."

George Gregan, demi de mêlée champion du monde avec l'Australie en 1999

au podcast The Good, the Bad & the Rugby

"Quand on joue devant et qu’on a un 9 qui gère aussi bien, ça facilite les choses", détaille à franceinfo: sport Jérôme Thion, ancien 2e ligne international, pour qui Antoine Dupont est "au-dessus de tout le monde". "J’ai eu la chance de pouvoir évoluer avec quelques grands numéros 9 comme Dimitri Yachvili, Fred Michalak, Fabien Galthié. Ce sont des stratèges. A chaque fois qu’il y a à gérer des situations difficiles ou qu'il faut résoudre un problème, ce sont les garants de la solution. Antoine Dupont est aujourd’hui un génie de son poste, de son sport", ajoute l’ancien biarrot, qui imagine le "réel bonheur que ça doit être de pouvoir jouer avec lui".

Des capacités physiques hors norme

Cette façon de jouer est également servie par un physique particulier, mis en valeur dans le jeu. 1,74 m pour 85 ou 86 kilos (selon son club ou la FFR), une "petite fusée de poche", selon les mots de l’entraîneur irlandais de La Rochelle Ronan O’Gara dans l’émission Offtheball avant le match du Tournoi des six nations Irlande-France en février 2023. Antoine Dupont est endurant, rapide et explosif. "Il a la force et la précision dans les pieds d’un 10, il a la puissance d’un troisième ligne. Tu pourrais le faire jouer comme 7, comme 9, 10, au centre et à l'aile", résume à franceinfo: sport James Haskell, ancien troisième ligne aile du XV de la Rose et hôte du podcast The Good, the Bad & the Rugby. Son coéquipier à Toulouse Jack Willis, qui le côtoie quotidiennement, s'amusait en décembre auprès du podcast Hits Different de sa pointe de vitesse : "Il court à 35 km/h, c’est surprenant. C’est la vitesse d’un ailier."

Son physique est d’ailleurs ce qui impressionne le plus : "Il a des qualités physiques hors norme, comme rarement on a eu en France, mais aussi dans le sport de manière générale, estime Dimitri Yachvili. Il est capable de faire la différence par des fulgurances physiques. Il est très difficile à plaquer, il a un centre de gravité bas." Pas forcément fan des comparaisons entre les époques, il consent tout même : "Si classement il devait y avoir, il serait forcément sur le podium".

De quoi faire du capitaine français l’un des joueurs les plus complets, à qui il est bien difficile, pour les personnes interrogées, de trouver un point faible. Il y a bien eu son jeu au pied, qui posait quelques questions en début de carrière mais qui est devenu un autre de ses atouts. "Depuis deux, trois saisons il l’a encore plus travaillé et amélioré. Il intègre sans complexe le pied gauche aussi. Ça rend sa panoplie encore plus grande", note Dimitri Yachvili.

Damien Traille, ancien trois-quarts international, pointe ses qualités défensives, à l’image de la grosse occasion d’essai qu’il avait sauvée seul sur la pelouse de l’Irlande en février 2023 lors du deuxième match du Tournoi des six nations. "Il sait tout faire", résumait Dan Biggar en novembre 2024 sur le podcast Scrum V Top 5. "Il n’y en a qu’un comme lui par génération", appuyait Bryan Habana, champion du monde avec l'Afrique du Sud et meilleur joueur du monde en 2007, au JDD en septembre 2023.

Toujours au niveau

Antoine Dupont a également construit sa réputation dans la constance de ses performances. Depuis son éclosion, rares sont les matchs où il passe au travers. "C’est quelqu’un qui répond toujours présent quand il y a des grands rendez-vous. À chaque fois qu’il joue, il est performant, il est décisif [...] Tout ce qu’il touche, il le réussit", assure Damien Traille, qui le place parmi les "meilleurs demis de mêlée de l'histoire". Un casse-tête à analyser pour ses adversaires, comme le disait l’ailier irlandais James Lowe sur le podcast House of Rugby en 2021 : "Quand on a joué la France en finale du Tournoi des six nations en 2020… C’est fou à quel point on a dû remonter loin pour trouver des vidéos de Dupont qui faisait des erreurs. Je crois que la dernière fois, c’était quand il était à Castres, quand il avait 19 ans et qu’il revenait tout juste de blessure. Ce gars est un monstre."

"Quand on analyse Toulouse, l’entraîneur nous dit : 'Dupont, ce n’est pas la peine de l’analyser. C’est impossible'".

Dan Biggar, demi d'ouverture du pays de Galles aux 112 sélections

au podcast Scrum V Top 5

Rapidement devenu incontournable au poste de demi de mêlée dans chacune des équipes dont il a porté le maillot, Antoine Dupont a vite montré une carrure de leader, malgré son jeune âge. Il avait ainsi été nommé capitaine des Bleus pour la première fois juste avant ses 25 ans. "Quand vous avez un pack dans lequel la plupart des mecs ont une cinquantaine de sélections, il faut les guider, et ça n’a jamais été un problème pour lui, décrypte Jérôme Thion. C’est un leader naturel, de par son talent, de par son implication, ça permet de gérer les ego des uns et des autres, d’être à l'écoute. C’est la normalité pour lui." "Il garde toujours la tête froide, que son équipe soit en tête ou menée, il est très constant sur cet aspect. Et je pense que ça aide à sa prise de décision, et à faire ce qu’il fait", saluait également George Gregan sur The Good, the Bad & the Rugby.

Qui n'empêche pas un côté râleur et mauvais perdant, assumé : "Je ne peux pas dire le contraire, je râle pour tout et n'importe quoi, souvent [...] Etre mauvais perdant ça va ensemble, quoi que je fasse comme jeu, ça m'agace de perdre. J'essaye de ne pas le montrer mais intérieurement, parfois c'est difficile", expliquait-il dans le podcast Entre-Deux de franceinfo: sport en 2021. Un défaut qui va aussi de pair avec sa discipline de travail pour continuer à progresser, comme l'avait noté le triple vainqueur du Tournoi et légende anglaise Danny Care à TNT Sports en novembre dernier : "Certains joueurs montrent un niveau d’excellence pendant deux, trois ans. Dupont semble s’améliorer, il est déjà au-dessus, et il semble continuer de progresser."

Un caractère tout de même doublé d'une grande humilité dont il a fait preuve, notamment, lors de son passage à 7 dans l'optique des JO, qui a impressionné. "Il a aidé à faire du rugby à 7 l’un des moments les plus importants des JO de Paris. Gagner la médaille d’or, être sur le banc, être suffisamment humble pour accepter ce rôle et être absolument crucial à chaque fois qu’il rentrait sur le terrain", louait l'ancien talonneur Benjamin Kayser au micro de TNT Sports en décembre 2024. Quelque soit son rôle, le Haut-Pyrénéen veut prendre du plaisir, comme il le confiait dans le reportage "Le Stade", en immersion dans la saison 2022-2023 du Stade toulousain : "Moi je voulais faire du rugby mon métier pour pouvoir être tous les jours sur un terrain, m'amuser avec le ballon et pouvoir en vivre." Tout simplement.

Déjà une influence majeure dans le rugby mondial

Si la comparaison entre les époques et les joueurs n’est pas toujours des plus faciles, Antoine Dupont est déjà reconnu par ses pairs comme quelqu'un qui a transformé et transcendé le rugby. "Je pense que le meilleur joueur du monde en ce moment est Antoine Dupont. Et je pense qu’il sera le meilleur joueur de tous les temps. C’est sans doute le meilleur joueur de rugby que j’ai vu", tranchait Paul O'Connell, l'ancien capitaine irlandais aux 108 sélections, à SportsJoe.ie en mai 2023. "Il pourrait devenir le meilleur joueur de tous les temps. Il est aussi fort que ça", confirmait une autre légende irlandaise, Johnny Sexton, meilleur joueur du monde 2018, au média irlandais. Avant le test-match de la tournée d'automne 2024, l'entraîneur de la défense néo-zélandaise Scott Hansen en avait fait un exemple à suivre pour les jeunes n°9 des All Blacks.

"Je suis un grand fan, je le suis sur Instagram, je le tague dès qu’il fait des choses incroyables. Je suis épaté par son talent, sa force, sa vitesse, sa capacité à lire le jeu…"

James Haskell, ancien 3e ligne de l'équipe d'Angleterre

à franceinfo: sport

D'autant qu'à 28 ans, sa carrière est encore loin d'être terminée. Il lui reste quelques années pour aller décrocher les derniers éléments que certains estiment manquer à son palmarès et à sa légende : comme des matchs internationaux disputés dans l'hémisphère sud, mais aussi et surtout une Coupe du monde. "Ce serait l’apothéose, reconnaît Jérôme Thion. Champion olympique, champion d’Europe, champion de France, une Coupe du monde et la boucle est bouclée, on peut le mettre au panthéon du rugby."