"Mur de Fer" : une opération israélienne en Cisjordanie occupée aussi militaire que politique

Elle "continuera le temps qu'il faudra". L'armée israélienne et le Shin Bet, le service israélien de sécurité intérieure, ont assuré que l'opération "Mur de Fer", lancée mardi 21 janvier en Cisjordanie occupée, n'était pas que temporaire.

"Cela ressemble à une opération de grande ampleur qui, pour l'instant, vise Jénine, et surtout le camp de réfugiés palestiniens à l'ouest de la ville", estime Steven Wagner, historien et spécialiste du conflit israélo-palestinien à l'université de Brunel, à Londres.  

Opération d'envergure

En deux jours, cette opération a déjà fait au moins neuf morts et une quarantaine de blessés, d'après le ministère de la Santé palestinien. Elle a commencé par des raids aériens, puis des incursions au sol. L'armée israélienne, le Shin Bet et la police à la frontière (des unités de l'armée) participent à l'opération "Mur de Fer". Ces forces armées avaient donné aux résidents de Jénine qui le souhaitent jusqu'à 17 h jeudi pour évacuer la ville.

Officiellement, Israël veut garantir "la liberté de mouvement" de son armée en Cisjordanie occupée en éradiquant les poches de combattants palestiniens armés considérés comme terroristes par l'État hébreu. Mais le timing – juste après la signature du cessez-le-feu avec le Hamas dans la bande de Gaza –, l'ampleur de l'offensive et le choix des mots de certains responsables israéliens interrogent sur les buts de cette opération.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré qu'Israël "agissait systématiquement contre [les terroristes] que ce soit à Gaza, au Liban, en Syrie, au Yémen ou encore en Judée-Samarie [le nom donné par l'extrême droite israélienne à la Cisjordanie occupée, NDLR]". Il suggère ainsi que le territoire palestinien est un front comme un autre de sa guerre débutée à Gaza après les attentats du Hamas sur le sol israélien le 7 octobre 2023.

Les forces israéliennes à bord de véhicules blindés passent devant des Palestiniens à Jénine, en Cisjordanie occupée, le 21 janvier 2025.
Palestinos caminan por una calle durante una incursión militar de las fuerzas israelíes en Jenin, en la Cisjordania ocupada, el 22 de enero de 2025. AFP - -

Bezalel Smotrich, le ministre d'extrême droite des Finances, a été encore plus clair en assurant que la Cisjordanie occupée était la "prochaine étape après Gaza et le Liban" dans le "plan israélien pour éradiquer le terrorisme dans la région".

Après le déclenchement de l'offensive, Antonio Guterres, le secrétaire général de l'ONU, a mis en garde contre la tentation israélienne d'"annexer la Cisjordanie occupée".

Cependant "soyons clair, l'opération a beau être importante, elle n'est en rien comparable pour l'instant en intensité à l'offensive menée à Gaza", affirme Clive Jones, directeur de l'Institut d'études islamiques et moyen-orientales de l'Université de Durham, au Royaume-Uni. Contrairement à la mobilisation armée israélienne à Gaza, les forces qui participent à l'opération "Mur de Fer" "ne sont pas suffisantes pour occuper le terrain le temps d'une guerre comme à Gaza", confirme Steven Wagner.

Le choix du théâtre des opérations en dit long sur les buts d'Israël. Le camp de Jénine est considéré comme l'un des hauts lieux de la résistance à la présence d'Israël et à l'installation de colons dans les territoires palestiniens. Dans cette zone qui s'étend sur moins d'un kilomètre et où vivent près de 14 000 Palestiniens a connu un violent soulèvement durant la seconde intifada, entre 2000 et 2005.

"Militairement, Israël assure agir contre une cellule du Jihad islamique dans le camp qui serait responsable du meurtre de trois colons en Cisjordanie occupée début janvier", souligne Clive Jones.

En ce sens, Israël peut présenter cette opération "comme une mesure pour garantir la sécurité de ces citoyens, et un acte de légitime défense", souligne Shahin Modarres, spécialiste du Moyen-Orient à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

La chasse du Brigades palestiniennes en Cisjordanie occupée

"L'ampleur du dispositif mis en place autour de Jénine et, surtout, le fait que tous les accès à la ville semblent avoir été coupés, indique qu'il y a quelque chose de plus important à l'œuvre", estime Clive Jones

Dans le camp de Jénine, il n'y a pas que cette cellule du Jihad islamique. Pour les experts interrogés par France 24, l'armée israélienne vise aussi "la Brigade de Jénine, un groupe armé responsable d'attaques contre les colons et les intérêts israéliens et qui n'est pas affilié à un mouvement établi comme le Fatah ou le Hamas", souligne Steven Wagner.

Cette force à Jénine est "présentée comme la nouvelle génération des combattants palestiniens", souligne Paul Adams, correspondant de la BBC dans un article consacré à l'opération "Mur de Fer". Ces militants, souvent jeunes, ont grandi sans issue diplomatique à l'horizon et ne croient pas à un quelconque processus de paix avec Israël. 

La Brigade de Jénine n'est, en outre, pas unique en son genre en Cisjordanie occupée. "Il y en a sous d'autres noms dans les principales villes dans les territoires palestiniens, que ce soit à Naplouse ou Ramallah", précise Steven Wagner.

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D'où la crainte que "l'opération à Jénine ne soit qu'un début à une offensive plus large", estime Ahron Bregman, politologue et spécialiste du conflit israélo-palestinien au King's College de Londres. Pour cet expert, "il faut s'attendre à ce que les forces armées israéliennes avancent dans d'autres villes et villages, tout en établissant des points de contrôle à travers toute la Cisjordanie occupée qui vont sérieusement et négativement affecter le quotidien des deux millions de Palestiniens qui vivent dans ces territoires".

Israël a d'ailleurs déjà commencé. Le quotidien israélien de gauche Haaretz relate que pour les Palestiniens des trajets en voiture qui prenaient jusqu'alors une vingtaine de minutes pouvaient dorénavant durer plus de quatre heures. Les envoyés spéciaux de France 24 ont été bloqués plusieurs heures à l'un de ces points de passage.

Si Israël lance bel et bien une offensive contre ces brigades dans toute la Cisjordanie occupée, l'opération "Mur de Fer" pourrait avoir un effet secondaire qui arrangerait les affaires de l'État hébreu, d'après les experts interrogés par France 24. Ces combattants ne se battent, en effet, pas seulement contre Israël : ils considèrent également l'Autorité palestinienne comme leur ennemi. En ce sens, "réduire la capacité de ces brigades à se battre renforce par ricochet l'Autorité palestinienne. Et Israël semble disposé à accepter que ce soit elle qui prenne les rênes à Gaza. Mais pour cela, il vaut mieux qu'elle ne soit pas sous la menace constante des brigades en Cisjordanie occupée", analyse Steven Wagner. Des violents affrontements interpalestiniens ont eu lieu en décembre dans le camp de Jénine

Désir d'annexion ? 

L'extension probable de l'opération "Mur de Fer" pourrait-elle mener à une annexion de la Cisjordanie occupée par Isräel ? "Il y a clairement des membres du gouvernement qui y pensent sérieusement", reconnaît Clive Jones. "Les déclarations de Bezalel Smotrich en disent long sur son objectif à long terme en Cisjordanie occupée : pousser les Palestiniens à quitter la région afin de faciliter une éventuelle annexion", affirme Ahron Bregman.

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"Tout dépendra de la position de l'administration Trump à ce sujet", souligne Clive Jones. La décision du nouveau président américain de lever les sanctions qui pesaient contre les colons accusés de violence contre des Palestiniens "semble indiquer une certaine ouverture à l'égard des vues du gouvernement Netanyahu sur cette question", affirme le spécialiste.

Mais "il y a aussi tout un contexte régional qui peut faire que Donald Trump s'oppose à une telle annexion”, ajoute Clive Jones. Le président américain veut, en effet, ramener l'Arabie saoudite à la table des négociations pour les accords d'Abraham, signés par les Émirats arabes unies et le Bahreïn en 2020 et qui normalisent les relations avec Israël.  Un processus gelé au lendemain du 7-Octobre et que Riyad conditionne désormais à la création d'un État palestinien. L'annexion de la Cisjordanie occupée ne serait clairement pas un pas dans cette direction.

Le fait que l'opération "Mur de Feu" a débuté juste après ce début de crise politique n'est pas un hasard. "Benjamin Netanyahu veut clairement indiquer aux ministres d'extrême droite encore au gouvernement que le cessez-le-feu à Gaza ne signifie pas qu'il a arrêté de s'occuper de ceux qu'il considère être des ennemis d'Israël", conclut Clive Jones.