« Je suis vivant parce que je fais des films », affirme Jafar Panahi, dissident iranien au Festival de Cannes
« Lorsque la République islamique emprisonne un artiste, elle doit en assumer les conséquences. Avec les possibilités technologiques qui existent aujourd’hui, aucun pouvoir ne peut empêcher un artiste de travailler », a déclaré le cinéaste dissident Jafar Panahi ce mercredi en conférence de presse à Cannes. Celui qui est en lice cette année pour la palme d’or avec Un simple accident a également souligné que son co-scénariste Mehdi Mahmoudian, détenu, ressortira « de prison avec des dizaines d’idées de scénarios ».
De retour sur la Croisette après 15 ans d'assignation en Iran, le réalisateur affirmait mardi à l'AFP se sentir « vivant » grâce aux films qu'il parvient à tourner malgré les restrictions imposées par la République islamique. Écroué à deux reprises, frappé d'une interdiction de tournage de 15 ans, Jafar Panahi assure ne pas penser aux représailles qui pourraient suivre la projection d’Un simple accident, présenté en compétition officielle sur la Croisette. « Je n'ai pas pris le temps de penser à ce qui pourrait arriver », a-t-il déclaré mardi 20 mai en farsi, traduit par l'AFP.
AFP : Un simple accident expose le dilemme moral d'Iraniens tentés de se venger de leurs tortionnaires. Qu'est-ce que cela dit des questions qui traversent la société iranienne ?
Jafar Panahi : La question qui se pose, au fond, est : qu'est-ce que je ferais dans une situation pareille ? Honnêtement, je ne sais pas. Malgré ce que je pourrais prononcer - que nous devrions faire ceci ou cela-, dans un tel moment, une personne est souvent paralysée. Elle n'a plus la capacité de penser clairement. Au bout du compte, la question n'est pas de savoir si cela nous affecte personnellement mais de savoir comment on façonne le futur de ce pays. Où allons-nous ? Est-ce que ce cycle va continuer ou arriverons-nous à faire en sorte que personne ne nous dicte comment nous habiller, ce que nous devons créer ou manger ? Personne n'a le droit de contrôler cela.
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Vous avez été condamné en 2010 et incarcéré à deux reprises en Iran. Craignez-vous pour votre sécurité quand vous retournerez dans votre pays ?
Ce qui importe le plus, c'est que le film ait été réalisé. Je n'ai pas pris le temps de penser à ce qui pourrait arriver. Je suis vivant tant que je fais des films. Si je ne fais pas de films, alors ce qui m'arrive n'a plus d'importance.
Quels sentiments vous traversent en retrouvant le Festival de Cannes ?
La vérité, c'est que, ce qui m'a manqué, c'est de voir des films avec des spectateurs. Parce que je ne pouvais pas sortir mes films au cinéma, je ne pouvais pas les regarder ni voir les réactions des gens. Maintenant, c'est la plus grande chose, vivre un film avec le public. Quand vous regardez un film avec les autres, vous vous sentez vivant. Cannes, c'est une scène plus grande mais ce que je veux vraiment, c'est m'asseoir dans un cinéma avec des gens en Iran et regarder ce film, pour savoir ce que cela me donne et comment ils se sentent. C'est la chose la plus importante. Je ne sais pas s'il est même possible d'être cinéaste et de faire des films sans public.
Craignez-vous toujours que les autorités vous empêchent de tourner ?
Ils ne nous laissent pas toujours faire des films mais nous trouvons des solutions. C'est typique de régimes comme celui-ci, ils ne laissent pas les artistes travailler, ils ne laissent pas les gens faire ce qu'ils aiment. Ce qui importe, c'est que vous trouviez une solution, tout comme moi et d'autres amis l'avons fait. Quand ils m'ont imposé une interdiction de tourner de 15 ou 20 ans, j'aurais facilement pu rentrer chez moi et me dire: c'est fini, c'est terminé, je ne peux rien faire, puis me laisser sombrer dans le désespoir. Mais je me suis dit : qu'est-ce que je pourrais quand même faire ? L'important est de continuer à travailler.
Je me souviens d'une époque où les étudiants en cinéma venaient me voir et me disaient : « Monsieur, nous voulons travailler mais c'est difficile, il y a tant d'obstacles. Mais, après avoir reçu cette sentence, j'ai continué à faire quelques films et personne n'est venu me dire que je ne pouvais pas. Ils ont vu que des circonstances difficiles n'étaient pas une excuse pour ne pas travailler. Ils ont compris que même dans les pires conditions, nous trouvons des solutions. »