Kate Winslet aura un début d’année 2025 bien chargé. La comédienne britannique de 49 ans sera en lice le 5 janvier prochain pour deux Golden Globes. L’un côté télé pour sa performance dans la satire de HBO The Regime. L’autre côté cinéma pour son portrait de la photographe de guerre Lee Miller. Sorti dans les salles françaises début octobre, Lee est encore à l’affiche de quelques salles. Malgré le box-office modeste du film et des critiques mitigées, l’héroïne de Titanic bat, avec conviction, le pavé de la saison des prix dans l’espoir de décrocher des nominations aux Golden Globes (ce qui est fait) mais aussi au prix du syndicat des acteurs. Etapes primordiales en vue des Oscars qui annonceront les leurs le 17 janvier.
Parlant avec passion de ce film qu’elle porte à bout de bras depuis une décennie, l’actrice a multiplié, cet automne, les projections, sessions de questions-réponses animées par ses amis Leonardo DiCaprio et Jodie Foster. Kate Winslet, qui impressionne par ses aptitudes physionomistes en remettant le moindre visage croisé en festival et point presse, ne compte pas son temps. C’est dans ce cadre que Le Figaro a pu discuter avec elle.
Vous jouez le rôle-titre de ce film mais vous en êtes aussi la productrice. Est-ce un de vos films les plus personnels ?
Lee a occupé près de dix ans de ma vie, un immense chapitre. Mon fils de 10 ans m’a toujours connue en train de parler. Parfois il s’étonne de voir que je n’ai pas épuisé le sujet (rires). Nous avons eu le parcours que suivent beaucoup de films indépendants. Besoin de prendre du recul, besoin d’une rallonge financière, besoin de redévelopper le script. Nous familiariser avec les vastes archives de Lee Miller a demandé de la patience. Comme de sélectionner la partie de sa vie la plus mémorable, celle pour laquelle elle désirerait qu’on se souvienne d’elle. Nous nous sommes heurtés aussi au scepticisme d’investisseurs potentiels qui me demandaient «Comment peut-on trouver cette femme sympathique ?». Constater à quel point la figure de Lee peut être incomprise a été une grosse source de frustration et de déprime.
Au fil du temps, les frontières sont devenues très floues entre moi et Lee : ce qu’elle avait vécu, ce que je vivais. J’ai perçu des similitudes émotionnelles. Je n’en revenais pas. Je voyais parfaitement pourquoi elle se comportait ainsi. J’éprouvais la même impulsion. J’avais l’impression d’être main dans la main avec elle. Sa force et sa détermination m’ont touchée. Elle a aidé à redéfinir ce qu’était la féminité, la compassion et l’intégrité. Autant de valeurs que nous cherchons à inculquer à nos enfants. Retarder la sortie du film, comme nous l’avons fait, et attendre la fin de la grève des acteurs et des scénaristes, était nécessaire. C’est important pour moi de pouvoir parler de ce film, de l’accompagner.
À quel point étiez-vous familière avec le travail de Lee Miller avant d’entreprendre son portrait ?
En 2001, j’avais visité l’exposition que lui avait consacrée le musée d’Édimbourg. Je connaissais ses clichés de guerre et d’autres travaux photographiques. En revanche, j’ignorais tout de sa vie jusqu’à ce que je rencontre en 2015 son fils Anthony Penrose. Je n’avais pas la moindre idée qu’elle avait vécu autant d’existences. Modèle, photographe... Elle n’a jamais cessé de se réinventer et de prendre des risques. Elle ne tenait pas en place. Après guerre elle a testé le lifting, s’est transformée en chef gastronomique. Son exemple nous rappelle tous les jours que l’on peut sortir de chez soi et faire bouger les choses. Je ne comprends pas pourquoi aucun réalisateur n’a eu l’idée de raconter sa trajectoire si inspirante. Le faire en s’émancipant du regard masculin, en ne la résumant pas à sa vie amoureuse, en prenant garde à ne pas la sexualiser ou la victimiser, ce qu’elle a été bien trop souvent, a été un des privilèges de ma carrière.
Anthony Penrose a été votre complice de bout en bout.
Il aurait été impensable de faire ce film sans lui et de ne pas bâtir ce portrait autour de la relation entre Lee Miller et son fils. C’était un lien charnière de la vie de Lee. Il était impératif que je gagne sa confiance : nous sommes devenus amis. Encore aujourd’hui, j’ai reçu un texto de sa part. Pas une semaine sans que l’on s’écrive. J’ai été submergée par ses confidences. Certaines, il les avait déjà rendues publiques dans ses livres. Mais il m’a aussi transmis beaucoup d’anecdotes qu’il avait jusque-là toujours gardées sous silence. Cela m’a laissé entrevoir les fêlures de Lee Miller, ses moments de vulnérabilité, le prix émotionnel qu’elle a payé pour couvrir tous ces événements et donner une voix aux victimes de la Seconde Guerre mondiale.
Qu’est-ce qui vous a guidé dans la structure du film bâti autour de ses souvenirs de la guerre et d’une conversation avec son fils, joué par Josh O’Connor ?
Sa vie a été si riche qu’il était impossible de tout mentionner. Nous avons dû faire des choix et exclure certains points. Ce fut une étape assez difficile. Chaque décennie de sa vie regorgeait d’histoires passionnantes. Ce film, je l’ai pensé pour ceux qui ne connaissaient pas Lee Miller. je voulais qu’ils la découvrent sur ses propres mérites. Pas comme l’amante ou la muse de Man Ray, la mannequin à la une des magazines... Tout le monde se raccroche à cette fenêtre dans sa vingtaine. Or pour elle, cela a correspondu à une très brève période. Ce qui m’intéressait c’était de me pencher, à rebours, sur la fin des années 30-début des années 40. Cette période a fait de Lee la femme mûre, imparfaite, courageuse et résiliente qu’on connaît, celle qui est partie à la guerre dévoiler la vérité de ce conflit. Ce qu’elle a vécu et vu pendant ses reportages, notamment les camps de déportation, l’a laissée avec un stress post-traumatique massif. Cela a beaucoup affecté sa parentalité, sa relation avec son fils. Pendant longtemps, le scénario débutait sur Anthony ouvrant les cartons que sa mère avait entreposés au grenier et se retrouvant cerné par une montagne de 60 000 négatifs. Offrir ce dialogue entre Lee et son fils qui l’interviewe était aussi une manière de pour nous de lui permettre aussi de tourner la page, de lui offrir une forme de catharsis. Ce qui est le cas aujourd’hui.
Vous partagez l’affiche de Lee avec plusieurs piliers du cinéma français Marion Cotillard, Noemie Merlant, Patrick Mille. Comment les avez-vous embarqués dans l’aventure ?
J’ai eu de la chance. Ils m’ont dit oui immédiatement. Ils ont apporté tellement de joie et de passion à ce tournage et à leurs personnages. Cela n’aurait pas eu de sens que j’embauche des acteurs anglais jouant avec un accent français. Je voulais être le plus authentique possible.
Y a-t-il une photographie de Lee Miller qui vous a marquée particulièrement et que vous vous aviez à cœur de montrer dans le film ?
Je suis toujours très émue en regardant la photo que son coéquipier de reportage David Scherman a faite d’elle dans sa chambre d’hôtel au moment de la libération de Paris. Sur le cliché, on voit une chambre retournée. Ses vêtements traînent aux quatre coins de la pièce, comme les bouteilles de whisky, les papiers et les cendriers. Tous les éléments cardinaux de la vie de Lee sont dans le cadre. De ce moment, David Scherman disait qu’il avait capturé Lee au sommet de sa beauté. Je trouve ses paroles bouleversantes. C’était important de recréer cette scène.
Avez-vous envie de poursuivre cette expérience de productrice ?
Oui, sans hésitation. Je travaille en ce moment sur un autre projet. Je suis dans le milieu depuis mes 17 ans. J’en aurai 50 l’an prochain. Continuer d’apprendre des choses nouvelles au montage, au mixage son est exaltant. C’est pour cela que je me lève le matin ! Être producteur n’est pas une sinécure. Quand on est un acteur, on peut s’autoriser des moments, des jours de pause. Ici pas du tout. Dès que le réveil sonne, vous vérifiez ce qui s’est passé durant la nuit. Est-ce que les factures sont payées ? Est-ce que cette personne dont vous avez besoin sur le plateau est bien disponible ? Il y a toujours quelque chose qui demande votre attention et votre énergie. C’est formidable d’être à la source d’un tel dynamisme, de pouvoir entraîner tout le monde derrière soi !