Suicide d’Evaëlle: au procès de l’enseignante accusée de harcèlement, se révèle “le drame de toute l’institution scolaire”

C’est un drame qui a ébranlé l’Éducation nationale. Evaëlle, 11 ans, s’est suicidée le 21 juin 2019 au domicile familial après avoir subi des mois de harcèlement. Pour ses parents, si une part de responsabilité incombe aux élèves, une autre revient à la professeure de français d’Evaëlle, Pascale B. Frange auburn, foulard de soie blanc autour du cou et tailleur bleu marine, Pascale B. s’est avancée ce matin à la barre pour répondre de «harcèlement sur mineur». A-t-elle eu un rôle dans le suicide de la fillette, qui s’est donné la mort quatre mois après les faits?

«C’est la pire journée de ma vie»

Pascale B. a 25 ans lorsqu’elle embrasse, en 1987, une carrière au sein de l’Éducation nationale. Son dossier académique souligne les «nombreuses ressources» de l’enseignante, qualifiée de «sérieuse», «dynamique», «consciencieuse». Ses collègues du collège Isabelle Autissier dressent un tout autre portrait. Ils évoquent un professeur «autoritaire», «cassante», «qui aime rabaisser les élèves».

Parmi eux, Evaëlle. Hormis des brimades «régulières», la fillette de 11 ans aurait notamment été marquée par une «heure de classe» imposée par la professeure. Ce jour-là, les élèves rentrent d’un cours de sport. Ils accusent Evaëlle d’avoir volé une chaussette. Ils sont dissipés. Pascale B. tente de les calmer. Elle demande alors à Evaëlle de venir au tableau et encourage ses camarades à expliquer pour quelles raisons ils n’apprécient pas la jeune fille. Chacun donne son sentiment sur Evaëlle. La collégienne fond en larmes. La professeure lui ordonne d’arrêter. À la fin du cours, la fillette s’enfuit. Le soir, elle dira à ses parents que c’était «la pire journée de sa vie».

Le principal est informé de la situation. Il décide de soutenir la professeure mise en cause. Il envoie un courrier au rectorat dénonçant des «attaques affolées et injustifiées». Aujourd’hui, la présidente l’interroge sur cette lettre. «Pourquoi avoir soutenu officiellement Pascale B.?» «Je n’avais rien à lui reprocher et, face aux reproches, il me semblait évident qu’il fallait la soutenir», répond le principal. «Donc vous êtes parti du principe que ce que les parents d’Evaëlle vous avaient rapporté était faux?», insiste la présidente. «Je n’imaginais pas qu’un enseignant puisse avoir des agissements de type harcèlement. Et puis j’avais la parole d’autres parents qui me disaient le contraire», se justifie le témoin, «car il faut savoir que durant les trois ans où Madame Pascale B. a enseigné dans l’établissement, personne ne s’était plaint d’elle. Madame Pascale B. n’était pas un problème.» En trente années de carrière, l’enseignante n’avait en effet connu aucun problème majeur. Concernant le courrier, le principal dit regretter certains termes employés, et affirme désormais «que le principal d’un collège se doit d’être le plus impartial possible.»

«On a alerté tous ceux qu’on pouvait alerter en tant que parents d’élèves»

Un peu plus tôt dans la journée, il avait déclaré avoir «la certitude qu’Evaëlle ne sera pas morte pour rien.» «Chaque jour je pense à elle, chaque jour je lui parle. Derrière chaque sourire d’enfant, je vois le sien», avait-il lancé à la barre. Un soupir d’agacement s’était fait entendre du côté du banc des parties civiles. «Ce drame, c’est le leur, mais c’est aussi le mien. Rien ne sera plus jamais comme avant», a-t-il assuré. Avant d’ajouter : «Il faut se rappeler le contexte particulier de 2019. Dans la région Île-de-France, trois enseignants avaient mis fin à leurs jours. Face à ce genre de faits, il m’a semblé assez important de soutenir Pascale B. Je ne voulais pas qu’elle...», sa voix se perd.

La présidente rétorque : «Madame Dupuis avait l’impression de crier dans le désert.» «On a alerté tous ceux qu’on pouvait alerter en tant que parents d’élèves», a insisté, en fin de journée, la mère d’Evaëlle. Les parents de la fillette ne sont pas les seuls à avoir tiré la sonnette d’alarme. Me Delphine Meillet, l’avocate des parents d’Evaëlle, a indiqué à l’audience qu’une pétition avait été signée par plusieurs élèves en avril 2019, soit trois mois avant le drame. Le délégué de classe avait rédigé puis transmis ce document à la conseillère d’éducation qui avait assuré qu’elle allait le transmettre à chef d’établissement. «C’est la première fois que je vois cet objet», a affirmé aujourd’hui le principal.

Au bout de deux heures de questions, la présidente a rappelé qu’il ne s’agissait pas du procès du principal du collège Isabelle Autissier. L’enseignante sera interrogée demain matin.