«Celui qui a interdit le port du voile à l’école, c’est moi» : François Bayrou n’a pas tort, mais ne dit pas tout

«Celui qui a interdit le port du voile à l’école, c’est moi». Sur la défensive à propos d’un sujet aussi inflammable que le port du voile, François Bayrou affirme ses positions en faveur de la laïcité. Au micro de BFM TV  ce mardi, le premier ministre a rappelé ce mardi son engagement contre les signes religieux à l’école. Une référence à une circulaire lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale entre 1993 et 1997. Mais, en 2004, alors député, il avait pourtant manifesté son opposition à la loi visant à interdire les signes religieux ostensibles à l’école, en s’abstenant de voter un texte largement plébiscité par l’Assemblée nationale. 

Prudent, il a également fait part ce mardi sa réserve vis-à-vis de la proposition du président du Groupe Renaissance à l’Assemblée Gabriel Attal, favorable à l’interdiction du port du voile aux mineures de moins de 15 ans. «Je ne crois pas que ce soit de cette manière que l’on puisse traiter de la vie en commun des différentes sensibilités religieuses en France. Il ne faut pas faire de l’islam un sujet de fixation», a asséné le locataire de Matignon. Comme sur un fil, sa position sur la laïcité apparaît tiraillée entre tolérance et fermeté.

Interdire les «signes ostentatoires»

Ainsi, donc, en 1994, François Bayrou, alors locataire de la rue de Grenelle, annonce la publication d’une circulaire visant à interdire les «signes ostentatoires» au sein des établissements scolaires. Ce document de deux pages dénonce «des éléments de prosélytisme», qui «s’accompagnent de la remise en cause de certains cours, mettent en jeu la sécurité des élèves ou entraînent des perturbations de la vie en commun». Aucun exemple de «signe ostentatoire» n’est évoqué dans ce texte aux contours flous, mais le ministre affirme que le foulard islamique en fait partie. «Il faut imposer des espaces laïcs si nous ne voulons pas de guerres de religion», martèle-t-il sur le plateau de France 2, tout en marquant la différence entre les signes «ostentatoires» et les signes «discrets», qui selon lui ne remettent pas en cause le vivre-ensemble. Sa politique s’inscrit à rebours de celle de son prédécesseur Lionel Jospin. Ce dernier avait affirmé en 1989 la compatibilité du voile avec la laïcité, martelant à l’Assemblée que «l’école doit accueillir ces enfants», quelques jours après l’affaire du voile de Creil, où trois jeunes filles vêtues d’un foulard islamique avaient été exclues par le directeur de leur collège.

La publication de cette circulaire entraîne une chute importante du nombre de signes recensés au sein des établissements, qui passe de 3000 pour l’année scolaire 1994-1995 à 640 en 2004. Cette année-là, une loi interdisant le port de «signes religieux ostensibles» est adoptée par 494 voix contre 36 à l’Assemblée nationale. Le texte vient renforcer la circulaire Bayrou, et désigne clairement les signes «ostentatoires» désormais proscrits, comme la kippa ou le voile islamique. Élus de droite comme de gauche se félicitent du vote de cette loi à une forte majorité, symbole d’un «front républicain pour la laïcité». François Bayrou, alors député du groupe UDF (Union pour la démocratie française), s’abstient cependant de voter le texte, tout comme 30 autres élus.

Dans un discours prononcé le 3 février 2004, un mois avant le vote, il défend ses positions en affirmant que «ce n’est pas un problème religieux, c’est un problème qui touche à la condition de la femme». Selon lui, la baisse importante du nombre de signes religieux à l’école depuis 1994 révèle le succès de sa circulaire, et ne doit pas cacher le problème de fond, lié à l’intégration et au vivre-ensemble au sein d’une société plurielle. «La laïcité n’est pas l’ennemie de la conviction religieuse ! C’est la prise en compte de tout l’homme et de tous les hommes. Et le spirituel, pour beaucoup d’hommes, c’est le plus précieux de leur être», martelait-il. Sa décision est prise : il s’abstiendra, et votera seulement l’amendement déposé par l’ancien premier ministre Édouard Balladur, qui vise à réprimer le trouble à l’ordre public au sein des établissements scolaire. Six ans plus tard, en 2010, il vote ainsi pour le projet de loi visant à interdire la dissimulation du visage dans l’espace public, adoptée là encore par la majeure partie de l’Hémicycle.

François Bayrou défend ainsi une définition de la laïcité fondée sur la coexistence pacifique entre les sensibilités religieuses, plutôt qu’une opposition entre religion et sécularisme. À la rentrée 2023, le Haut-commissaire au Plan se satisfait ainsi de la mesure prise par le premier ministre Gabriel Attal d’interdire l’abaya au sein des établissements scolaires. Dans les colonnes des Échos, celui qui est alors Haut-commissaire au plan définit la laïcité comme «patrimoine vivant de la France» tout en appelant à «ne pas faire de ségrégation» dans l’application de cette proscription. «Je ne suis pas certain que l’abaya soit si profondément enracinée dans ces communautés-là», nuançait-il.

Le premier ministre dirige un gouvernement confronté au sujet de l’entrisme mené par la confrérie des Frères Musulmans au sein de nombreux lieux publics et associations. Selon le rapport publié par Beauvau la semaine dernière, 21 écoles confessionnelles scolarisant quelque 4200 élèves sont identifiées comme proches de la mouvance frériste. «Bruno Retailleau a toute ma confiance», a assuré ce mardi François Bayrou, témoignant de son soutien à l’action menée par le ministre de l’Intérieur.