«David Bowie a toujours été un phare éclatant révélant qu’il existait un autre monde»

La vie de l’énigmatique pop star David Bowie ne finira jamais d’électriser l’imagination des artistes fascinés par son génie impalpable. Cette fois, c’est le dessinateur de BD allemand Reinhard Kleist qui succombe aux charmes du musicien aux mille visages. Avec son trait réaliste, aussi souple qu’élégant, Kleist capture un moment essentiel de la vie de l’auteur de Starman, Ashes to Ashes, Life on Mars, ou encore Let's Dance. Dans son nouvel album, ce passionné de rock (qui a déjà brossé le portrait de Nick Cave et de Johnny Cash) revient sur une période cruciale de la carrière de Bowie : celle où dans les années 70, il se rêve en messie du rock’n’roll grâce à l’invention d’un alter ego baptisé Ziggy Stardust.

Métamorphosé en rock star égocentrique, Bowie s’abîme avec délices dans les vertiges de la célébrité... au risque de sombrer dans une sorte de folie paranoïaque. En 1976, il finit par fuir Los Angeles pour se réfugier à Berlin-Ouest pour se réinventer à nouveau. Starman- Quand Ziggy éclipsa Bowie raconte avec précision et émotion cette période passionnante, tout en remettant la vie de Bowie dans le contexte des années 70.

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Quand on demande à Kleist ce qui l’a incité à s’intéresser à ce moment de la vie de David Bowie, le dessinateur répond simplement : «En me replongeant dans la biographie de Bowie, une thématique m’a frappé : la mission d’un artiste et la proximité du risque de perdre cette mission de vue. Ce thème apparaît avec Ziggy Stardust, avec Major Tom et avec le film L’homme qui venait d’ailleurs (The Man Who Fell to Earth). Bowie sentait clairement qu’il avait une mission sur terre. Ziggy incarnait la façon dont on succombe aux séductions de la vie rock’n’roll, et dont on perd de vue son but. Dans mon récit, Ziggy revient sans cesse comme un alter ego troublant qui le confronte à la facilité de tomber dans l’abîme. Mais Bowie résiste et trouve son salut à Berlin.»


LA CASE BD

Décryptage par Reinhard Kleist d’une planche clé de ce long récit aux couleurs psychédéliques

Reinhard Kleist : «On peut lire cette page comme un instantané du changement permanent que Bowie a traversé, même si elle ne montre que la transformation en Ziggy Stardust Starman – Quand Ziggy éclipsa Bowie , KLEIST Casterman, 2025

L’album utilise une palette de couleurs éclatantes, presque criardes. Quand on demande à l’auteur quel était l’objectif d’une telle mise en couleur, il sourit: «Dès le départ, je savais que ma BD devait être très colorée. Jusqu’à maintenant, j’ai plutôt travaillé en noir et blanc, ou avec des couleurs plutôt sobres. J’ai donc fait appel à mon collègue Thomas Gilke. Il a utilisé des couleurs auxquelles je n’aurais jamais pensé. Avec ces couleurs psychédéliques, je voulais que le lecteur soit encore plus accroché par le récit. Je voulais qu’elles produisent une sorte d’ivresse. La même ivresse que le public devait ressentir lors des concerts de Bowie à l’époque.»

La planche 125 pourrait s’apparenter à une sorte de concentré créatif parfait de l’album. Au début des années 1970, le créateur japonais Kansai Yamamoto conçoit spécialement des costumes de scène pour Bowie. «Dans la construction de cette page, décrypte Reinhard Kleist, je voulais évidemment représenter les costumes et restituer les poses que Bowie avait prises lors des séances photo. Avec la mise en page des cases, j’ai voulu accentuer l’effet explosif de ces costumes.»

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Au cœur de ce qui s’apparente à une sorte de page kaléidoscope, on remarque toutefois que la troisième image est plus calme. «Elle illustre le moment où Bowie comprend qu’il est en train de pousser encore plus loin sa transformation en Ziggy, analyse le dessinateur. On peut lire cette page comme un instantané du changement permanent que Bowie a traversé, même si elle ne montre que la transformation en Ziggy. L’extravagance, l’effet presque déroutant des tenues colorées et fortement «japonisées» soulignent l’exubérance de Ziggy Stardust . Dans le même temps, le visage de Bowie, dans cette troisième case où il essaie les costumes avec le couturier, paraît concentré, détendu et presque banal : il baisse les yeux. Quand j’invente des scènes, elles défilent d’abord comme un film dans mon esprit. Je me suis ainsi représenté Bowie prenant conscience, à ce moment précis, de ce que les costumes étaient en train de lui faire : il devenait encore plus Ziggy qu’il ne l’était déjà. Cela nécessitait une expression du visage plus méditative.»

Dans cette planche, le dessinateur montre Bowie se métamorphose en Ziggy, comme une sorte de docteur Bowie et mister Ziggy. «À cette époque, les costumes n’étaient pas de simples accessoires, conclut Reinhard Kleist, ils transformaient Bowie en Ziggy. C’était comme s’ils avaient développé une vie propre. Pour moi, David Bowie a toujours été un phare éclatant, qui m’aura révélé à moi, le petit garçon d’un village près de Cologne, l’existence d’un autre monde. Il m’aura convaincu que cet autre monde pourrait un jour être le mien, à condition que je sois prêt à m’y ouvrir.»

Starman - Quand Ziggy éclipsa Bowie , de Reinhard Kleist, éditions Casterman, 344 p., 28 €.