Superman, icône du rêve américain, fêté par le festival BD d’Angoulême

Avec sa cape rouge et son «S» emblématique sur la poitrine, Superman a toujours incarné une sorte de champion de la justice solaire et bienveillant, tandis que Batman se nourrissait des peurs de ses contemporains pour mieux les exorciser. En 2019, le festival international de BD d’Angoulême avait fêté les 80 ans du «Dark Knight» en lui consacrant une grande rétrospective. Six ans plus tard, c’est au tour de Superman d’avoir droit à sa propre célébration angoumoisine au Vaisseau Moebius, sous la houlette de Yann Graf, expert et commissaire de l’exposition.

L’affiche du Festival international de BD d’Angoulême 2025 signée Frank Quitely. © 2025 DC, All rights reserved

Né en juin 1938 sous la plume de Jerry Siegel (1914-1996) et les pinceaux de Joe Shuster (1914-1992), en pleine crise économique, Superman symbolise le super chevalier blanc au service d’une nation juste et invincible, à la limite de la naïveté, celle du côté lumineux (« Bright sight of America »), tandis que Batman explore plutôt le « Dark side of America», son côté sombre. L’une des trois affiches du festival signée Frank Quitely (qui sera présent pour une masterclass pendant la manifestation) montre Superman survolant les toits d’Angoulême...

LE FIGARO. - D’où est partie l’idée d’une grande exposition consacrée à Superman?

Yann GRAF. - Plusieurs idées ont convergé vers cette décision. Six ans après l’exposition Batman, grand succès public à Angoulême, le FIBD, les éditions Urban Comics, ainsi que DC comics et Warner ont eu l’envie de célébrer le personnage de Superman l’année même où il revient au cinéma, le 9 juillet prochain, sous la houlette de James Gunn, incarné par le jeune David Corenswet. Mais notre angle d’attaque se concentre principalement sur la bande dessinée. Même si depuis sa création, le personnage selon le principe des vases communicants, a vécu des aventures tant à la radio qu’en animation ou au cinéma.

Le Superman d’Alex Ross dans Kingdom Come, publié en 1996. © 2025 DC, All rights reserved

Quels sont les principaux axes de l’exposition?

Avant toute chose, nous avons réussi à réunir près de 57 planches originales, qui vont des années 1940 jusqu’à aujourd’hui. Parmi ses visuels, on en compte une quarantaine en couleur, intégrés à la scénographie. Le grand principe de cette rétrospective est de plonger le visiteur dans les différents univers de création de Superman, de façon à ce qu’il soit immergé dans les comics, et qu’il puisse découvrir la Forteresse de la solitude, les gratte-ciels de Metropolis, la rédaction du Daily Planet, ou même la planète Krypton. Je pense que cette exposition est une sorte de lettre d’amour au personnage et une célébration de la créativité des artistes qui lui ont fait vivre toutes ses aventures.

Comment est né le personnage de Clark Kent/Superman?

Il faut avant tout revenir sur le contexte historique des États-Unis de la fin des années 30, juste après le krach boursier de 1929. Superman est le premier super-héros de l’histoire. Ses créateurs, le scénariste Jerry Siegel et le dessinateur Joe Shuster sont deux fils de juifs immigrés qui se lient d’amitié à l’âge de seize ans à Cleveland dans l’Ohio. Elèves au lycée de Glenville, ils sont fascinés par la mythologie gréco-romaine et le cinéma. Leur film favori est Le Masque de Zorro avec Douglas Fairbanks. 

Une autre affiche de l’exposition «Superman - Le héros aux mille-et-une vies» du festival BD d’Angoulême 2025, spécialement dessinée par Jorge Jimenez. © 2025 DC, All rights reserved

Ils sont des lecteurs assidus des œuvres d’Edgar Rice Burrough, Tarzan et John Carter, et principalement des amateurs de science-fiction. Rapidement, ses deux amis collaborent au journal du lycée, le « Glenville Torch », puis créent leur propre fanzine Science-fiction où ils publient en 1933 The Reign of the Super-Man (Le règne du Surhomme), une histoire mettant en scène un être malfaisant, un vagabond transformé en super-télépathe par un savant fou. Ce Super-Man, tel qu’on le nommait alors, est donc d’abord un «super-vilain». 

En 1933, Shuster et Siegel publient The Reign of the Super-Man (Le règne du Surhomme), une histoire mettant en scène un vagabond transformé en super-télépathe par un savant fou. Ce Super-Man, tel qu’on le nommait alors, est donc d’abord un «super-vilain». © 2025 DC, All rights reserved

Mais après cinq années infructueuses à essayer d’imposer leur Superman aux maisons d’édition de comics, le tandem Siegel et Shuster change son fusil d’épaule. Et si leur héros était un orphelin venu d’ailleurs? Extraterrestre, seul survivant de Krypton, sa planète allant être détruite par une catastrophe cosmique, son père scientifique avisé l’a sauvé en le plaçant dans une capsule spatiale qu’il envoie sur terre...

L’image de couverture du magazine Action Comics est devenue culte : on y voit Superman, super-héros qui une voiture à mains nues, témoignage emblématique de la force physique en action. © 2025 DC, All rights reserved

N’y a-t-il pas quelque chose du récit biblique mettant en scène Moïse sauvé du chaos dans un berceau dérivant sur les flots?

Tout à fait. Le personnage apparaît ainsi dans les pages d’Action Comics n°1 en juin 1938 contre une pige légendaire de 130 dollars. Il possède une identité secrète, des super-pouvoirs et une cape rouge. L’image de couverture du magazine Action Comics est devenue culte : on y voit un nouveau héros soulevant une voiture à mains nues, témoignage emblématique de la force physique en action. Au début de ses aventures, Superman s’occupe de problèmes sociaux, affronte des promoteurs immobiliers véreux ou défend des mineurs en grève. Superman est un héros du New Deal. Un symbole patriotique.

En 1961, le dessinateur Kurt Swan met en scène l’orphelin de l’espace Kal-El envoyé sur Terre par son père Jor-El où il sera recueilli par Martha et Jonathan Kent qui l’élèveront au beau milieu des champs de blé au coeur d’une Amérique rurale. © 2025 DC, All rights reserved

Comment Superman a-t-il évolué au fil des décennies?

Si la création de Superman ressemble à la revanche inconsciente de deux gamins fils d’immigrés juifs qui se sont créés un surhomme protecteur, en prévision des sombres années à venir, l’évolution du personnage va prendre bien des tours et détours. Superman est d’abord la réponse fictionnelle aux temps incertains que s’apprête à vivre le monde juste avant la Seconde guerre mondiale. Il est aussi l’archétype du boy-scout. Un super-patriote aux pouvoirs sans limites qui défend la veuve et l’orphelin contre Hitler et les nazis. Après la fin de la guerre, à chaque nouvelle décennie, Superman va se réinventer sur le plan graphique. D’excellents artistes vont se pencher au chevet de ce super-héros de DC Comics, de Neal Adams à John Byrne en passant par Alex Ross, Frank Miller, Gary Frank, Jorge Jimenez ou Jim Lee.

Le Superman des années 1970 redessiné par le grand Neal Adams. © 2025 DC, All rights reserved

       

Peut-on penser que Superman soit un héros qui soit passé de mode au fil du temps ?

Je ne le crois pas un seul instant. Selon moi, Superman est toujours resté un compas moral pour les États-Unis. Il est devenu un mythe de la pop-culture du XXe siècle. Andy Wahrol et Roy Lichtenstein en ont tiré des tableaux aujourd’hui célèbre. Quand on dit que Superman est démodé, je prouve avec cette exposition que c’est faux. Superman est un parangon d’intégration, une icône du rêve américain. Il peut tout faire, voler dans l’espace à une vitesse égale à celle de la lumière, abattre une forêt entière à vitesse supersonique et faire de son bois un village ou un bateau. Il peut percer les montagnes, soulever les transatlantiques, édifier des digues de verre en transformant le sable de la plage, protégeant ainsi la côte d’un tsunami. Par la simple pression de ses mains, il peut porter le charbon à une telle température qu’il le transforme en diamant. D’ailleurs, Superman est comme un diamant. Il possède mille et une facettes, et mille et une vies...

Superman dans sa Forteresse de solitude dans Les derniers jours de Superman, d’Alan Moore, Curt Swan, Dave Gibbons et Rick Veitch, en 2016. © 2025 DC, All rights reserved

Exposition «Superman - Le héros aux mille-et-une vies, au Vaisseau Moebius, 121, rue de Bordeaux - Angoulême (16000 ). Du 30 janvier au 10 mars 2025.