Pourquoi la démographie française demeure une exception au sein de l’Union européenne ?
Naissances et fécondité, mortalité, avortements, mariages, flux migratoires… Comme chaque année, l’Institut national d’études démographiques (Ined) dresse le panorama de la démographie française à partir des dernières données disponibles. Dans un rapport publié lundi 16 décembre, les chercheurs ont cette fois opté pour une comparaison avec les autres pays européens.
Nous étions, au 1er janvier, 68,4 millions d’habitants, soit 230 000 de plus que l’année précédente. « Une croissance cependant en ralentissement, portée par un solde naturel historiquement bas – moins de 50 000 personnes – et un solde migratoire trois fois plus élevé que le solde naturel, désormais principal moteur de l’accroissement démographique », note François Clanché, directeur de l’Ined.
Pour définir le solde migratoire, les chercheurs se sont basés sur les titres de séjour accordés : 283 000 en 2024 contre 237 741 en 2017. Ils constatent, au passage, une augmentation des titres de séjour accordés pour des raisons professionnelles (+ 4 points en un an), notamment pour les femmes (+ 15 points). La France reste cependant loin derrière l’Allemagne et l’Espagne, qui concentrent à elles deux 52 % des flux.
Elle se classe en 5e position parmi les pays de l’Union européenne, mais 21e lorsqu’on rapporte ces flux à la taille de la population. Contrairement aux idées reçues, elle se trouve donc parmi les pays qui accueillent le moins d’exilés.
Le vieillissement s’accélère, avec une baisse des naissances de 6,6 %
Si notre pays reste l’un des plus jeunes d’Europe, le vieillissement s’accélère, avec une diminution notable du nombre de naissances. Les moins de 20 ans (23 % de la population) sont maintenant presque à égalité avec les plus de 65 ans (22 %). L’année dernière, 678 000 enfants sont nés, soit une baisse de 6,6 % par rapport à 2022. L’indice conjoncturel de fécondité atteint son plus bas niveau depuis l’après-guerre, à 1,67 enfant par femme. Pas de panique.
Malgré tout, la France reste l’un des pays les plus féconds d’Europe et se place au 2e rang derrière la Bulgarie et au 1er rang pour la génération 1985, juste devant l’Irlande. Didier Breton, coordinateur du rapport, précise que ce chiffre de 1,67 « reflète à la fois le comportement d’une année donnée mais il est difficilement transposable à une génération ». L’hypothèse d’une remontée, observée dans les années quatre-vingt-dix, reste cependant assez peu probable dans les dix ans qui viennent car « lorsque vous regardez l’âge moyen au premier enfant aujourd’hui, il est nettement supérieur à celui des années quatre-vingt-dix ».
Pour expliquer cette baisse de la fécondité, les chercheurs ont observé la part des femmes sans enfant aux recensements. Entre 2011 et 2021, elle a augmenté, particulièrement chez les femmes jusqu’à 35 – 40 ans diplômées. « Dans cette baisse, il y a du renoncement, de l’empêchement, mais aussi du report. Il va falloir attendre pour voir quel est le poids relatif de ces trois phénomènes. Il y a certainement un peu des trois. L’avenir nous le dira », précise Didier Breton. Par ailleurs, il observe qu’entre 2011 et 2021, la baisse de la fécondité est liée à une diminution de la part des personnes qui vivent en couple cohabitant. Or, elle représente l’une des conditions préalables à l’arrivée d’un enfant.
Croissance du nombre d’avortements
Parallèlement, le nombre d’avortements augmente pour la deuxième année consécutive, avec 242 000 interruptions volontaires de grossesse (IVG) en 2023 contre 232 000 en 2022. Le ratio de 1 IVG pour 3 naissances est ainsi dépassé. Des taux qui augmentent à tous les âges, particulièrement entre 20 et 39 ans. Les IVG médicamenteuses représentent près de 8 avortements sur 10.
« Même s’il faudra encore attendre quelques années pour parler de tendance, ces résultats s’inscrivent dans un contexte de changements des comportements en termes de fécondité, avance Justine Chaput, doctorante à l’Ined. Les incertitudes liées à la situation socio-économique, géopolitique, peuvent faire qu’en cas de grossesse, il existe une plus grande proportion à l’interrompre. »
La chercheuse note au passage les disparités territoriales qui persistent en France pour l’accès à l’avortement. Contrairement aux IVG, les IMG (interruptions médicales de grossesses) ont diminué. Ces dernières se pratiquent à des âges plus avancés, en lien avec l’augmentation des grossesses à risque. Si on rapporte ces chiffres au nombre de femmes de 15 à 49 ans, la France est, avec la Suède, le pays où le taux de recours à l’avortement est le plus élevé d’Europe (plus de 15 pour 1000 femmes âgées de 15 à 49 ans).
Le mariage et le pacs, quant à eux, sont de plus en plus tardifs mais en légère reprise, poursuivant le rattrapage des années covid. Les pacs entre personnes du même genre n’ont jamais été aussi nombreux : 10 350 en 2022 contre 6 900 mariages. L’âge moyen au premier mariage, comme celui observé pour l’ensemble des mariages, continue d’augmenter (respectivement 34 et 36,3 ans pour les femmes, 36 et 38,7 ans pour les hommes).
La mortalité infantile augmente
Enfin, les chercheurs de l’Ined constatent que même si la mortalité est relativement basse aux âges plus élevés par rapport aux pays européens, la mortalité infantile, elle, accuse un retard important et croissant. La France affiche le triste score de 23e rang sur 27 au niveau européen. « Elle est beaucoup plus élevée dans les départements et territoires d’outre-mer notamment à Mayotte, souligne la directrice de recherche Magali Barbieri. Mais même en les excluant, la mortalité infantile remonte légèrement en France. Les facteurs explicatifs sont assez nébuleux. Nous ne disposons pas de données. Mais nous savons l’influence de la mortalité du premier jour, voire des premières heures. C’est un problème qui se situe soit au moment de la grossesse, soit au moment de l’accouchement. »
Plusieurs facteurs combinés expliquent ce phénomène. Parmi eux, comme il a déjà été évoqué, l’évolution de la fécondité qui baisse en France, plus rapidement parmi les femmes les plus éduquées, là où la proportion de mortalité infantile est plus faible. Ainsi, poursuit la chercheuse, « dans l’ensemble des femmes qui mettent au monde des enfants, la part de celles qui ont plus de facteurs de risque augmente. Les facteurs démographiques jouent aussi. Les enfants de femmes plus âgées, les jumeaux ont des risques de mortalité plus élevés que les autres. Et ces catégories prennent de plus en plus de poids dans la fécondité générale ».
Enfin, comparé au reste de l’union européenne, l’espérance de vie est « excellente chez les femmes, moins bonne chez les hommes », note Magali Barbieri. Juste derrière la Suisse pour les femmes (85,7 ans contre 86 ans) et à peine au-dessus des pays de l’Est pour les hommes (80 ans). Parmi les raisons invoquées, une mortalité chez les jeunes hommes de 20 à 30 ans plus élevées, principalement liée aux accidents de la route et une baisse des décès précoces par cancer plus lente, notamment à cause d’une consommation d’alcool (le vin) plus importante que dans les autres pays occidentaux de l’UE.
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