Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Pio Marmaï et Jean-Paul Rouve ont été entendus le 10 mars par la commission d'enquête sur les violences dans le cinéma. L'audition s’est tenue à huis clos mais son verbatim a été publié lundi 17 mars. Remise en cause personnelle, manque d’encadrement sur les tournages... retour sur les moments marquants de cette audition.
Une remise en question des comportements
Ces quatre acteurs reconnaissent notamment avoir réévalué leurs propres comportements à l’ère du mouvement #MeToo. « Je pense que j’ai pu être lourd dans ma façon de signifier les choses », révèle Pio Marmaï. « Le mouvement MeToo permet aux hommes de faire une introspection, d’interroger leurs comportements et leurs propos passés; c’est indispensable. » « J’ai 52 ans, ça fait vingt ans que je fais ce métier », a renchéri Gilles Lellouche. « Si je dois faire une radioscopie de mes comportements, c’est sûr que j’ai dû être lourd; c’est évident. »
Certains acteurs confient également avoir reçu échos de la part d’actrices ayant subi des comportements déplacés de la part de réalisateurs. « Il est arrivé qu’une jeune comédienne me dise que le réalisateur venait frapper à sa porte le soir, quand ils étaient en tournée en province. À cette époque, j’en ai parlé au réalisateur en me foutant de sa gueule – ce qui n’était pas forcément la bonne attitude –, parce que je commençais à travailler, parce qu’il avait une autorité que je n’avais pas, peut-être par crainte, parce qu’on n’ose pas affronter le réalisateur, qui est le grand dieu du plateau. Je me souviens de l’avoir fait en le charriant, en mettant cela sur le compte de l’humour, en essayant de le piquer un peu au vif. Aujourd’hui, ce serait extrêmement différent», déclare Gilles Lellouche.
Mais « nous ne mentons pas quand nous disons n’avoir rien vu ni entendu», nuance Jean-Paul Rouve. « Aucune copine comédienne ne m’a jamais dit, au sujet d’un tournage, que tel metteur en scène ou tel comédien était lourd. Ce qu’on entendait, c’était: “Lui, il est un peu dragueur”. Mais je ne pouvais pas imaginer ce qu’elles subissaient, ni jusqu’où ça pouvait aller. » « On ne voit pas forcément tout - et on n’a peut-être pas envie de voir. Je pense que le mouvement MeToo aura été utile de ce point de vue là », poursuit Jean Dujardin. « Mais je suis d’accord: il y a forcément des choses que nous avons loupées sur les plateaux. Évidemment. Des lourdeurs. Des choses qui nous semblaient totalement anodines. »
Combler un manque de formation
Autre question abordée lors de cette audition, celle du manque de formation sur les violences sexistes ou sexuelles dans le monde du cinéma. « À mon époque, non seulement il n’y avait pas de formation, mais il n’était pas même fait allusion à ce qui allait arriver dans nos vies d’actrices et d’acteurs. Jamais on ne nous a alertés sur les dangers qui surviennent lors des castings ou dans le quotidien d’un tournage qui dure dix jours ou deux mois », assure Gilles Lellouche.
Beaucoup déclarent ne pas s’être rendus compte de la gravité des violences sexistes ou sexuelles que pouvaient rencontrer leurs collègues actrices. « En tant qu’homme, je savais ; je me disais « il y a des mecs qui sont lourds, qui draguent les meufs, etc., mais je ne pensais pas que c’était à ce point-là », révèle Jean-Paul Rouve. « Avec le recul, je ne me rendais pas vraiment compte – je l’ai regretté –, mais je sentais, dès ma formation, que certains comportements étaient déviants – on entendait par exemple parler de mains baladeuses», ajoute de son côté, Pio Marmaï.
Une formation sur les violences ou harcèlements sexistes et sexuels est désormais obligatoire avant le tournage d’un film. Pour Jean Dujardin, « à chaque début de tournage, à chaque début de semaine, le premier assistant (...) pourrait rappeler la charte éthique propre au tournage ; il prendrait deux ou trois minutes pour répéter la marche à suivre, ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas faire ». « Généralement, quand je rencontre un metteur en scène, je lui pose une question un peu crue, qui permet de péter tout de suite une façade : ’Est-ce que t’es un connard ?’ (...) Je veux juste savoir si je vais être témoin de scènes un peu gênantes, humiliantes. Je n’ai pas envie de ça. (...) Et, généralement, cela n’arrive pas : la personne n’est jamais désagréable, peut-être parce qu’elle sait que ça peut sortir »jean dujardin
La question des scènes d’intimité
La question du tournage des scènes d’intimité a également été évoquée et les quatre acteurs partagent la même opinion : ces scènes ne sont pas assez bien préparées. Tous ont déjà vu dans les scripts la mention « ils font l’amour » comme seule description de la scène. « C’est aussi la responsabilité du metteur en scène : c’est à lui de se former pour ne pas être gêné. À plusieurs reprises, j’ai dit à un metteur en scène : “La scène, c’est aujourd’hui : tu le sais, je le sais, tu ne m’en parles pas beaucoup” », déclare Jean Dujardin.
Mais ces problèmes «existent de moins en moins», remarque Pio Marmaï. « Les scénarios sont beaucoup plus précis et les coordinateurs d’intimité contribuent à définir ce que l’on va fabriquer ensemble. » De son côté, Jean-Paul Rouve donne l’exemple du tournage du Consentement, auquel il a participé en 2023. « Nous avons fait une réunion toute une après-midi pour préparer ces scènes avec la réalisatrice, la comédienne et le chef opérateur. La réalisatrice avait fait un découpage très précis: on savait exactement quels plans on allait tourner, ce qu’on allait voir et ne pas voir », affirme-t-il.
« Un mouvement indispensable »
« Le mouvement #MeToo a eu un début fracassant, c’était nécessaire », a déclaré Jean Dujardin. « Au début, j’ai eu le sentiment que ça commençait mal mais il ne pouvait pas en aller autrement : il fallait taper fort pour que la parole soit entendue, ce qui est encore le cas. On ne dit plus ce qu’on disait il y a dix ou quinze ans et on ne le dira plus non plus dans dix ans […] J’ai le sentiment que le réflexe sexiste et la phrase lourde tendent à disparaître.»
Gilles Lellouche a assuré pour sa part, qu’il « n’est plus possible pour quiconque de ne pas se sentir concerné ». Un mouvement qui était « plus qu’indispensable » pour Pio Marmaï. « Il faut bien que nous puissions travailler sainement pour fabriquer les choses géniales que nos métiers permettent de créer. Il faut donc beaucoup de clarifications, et il faut y veiller ensemble. C’est pour ça que nous sommes là. »