Los Angeles : avec les raids contre les immigrés, Trump veut "semer la terreur et la propager"

Près d'une semaine après les raids armés de la police de l'immigration (ICE) à Los Angeles, la tension ne retombe pas. La ville vit toujours au rythme des manifestations, alors que les images des arrestations – agents masqués, véhicules blindés, travailleurs menottés – continuent de circuler en boucle sur les réseaux sociaux.

Lourdement armées, des agents de l'ICE ont investi, vendredi 6 juin, plusieurs entreprises du centre-ville, ciblant des dizaines de personnes soupçonnées de résider et de travailler illégalement aux États-Unis. Des habitants sont immédiatement descendus dans la rue pour bloquer les véhicules blindés transportant les interpellés. La réponse des forces de l'ordre a été brutale : gaz lacrymogènes, grenades assourdissantes et affrontements sporadiques ont rythmé la nuit.

Une ville, deux réalités

Quelques jours plus tard, Los Angeles semble scindée en deux réalités. L'une montre des milliers de manifestants pacifiques – militants, syndicats, défenseurs des droits – multiplient les actions de désobéissance civile contre les raids. Blocages d'autoroutes, rassemblements devant un centre de rétention fédéral… tous réclament la libération des personnes détenues.

L'autre témoigne d'un Los Angeles en feu : voitures brûlées, slogans anti-ICE tagués sur les murs, forces de l'ordre en tenue antiémeute lançant des grenades lacrymogènes sur des manifestants masqués. Sur Truth Social, Donald Trump a qualifié les manifestants de "foules violentes et insurrectionnelles" et annonce l'envoi de plus de 4 000 soldats de la Garde nationale, contre l'avis du gouverneur démocrate Gavin Newsom. En renfort également : 700 Marines appelés à "soutenir" les opérations de l'ICE.

Derrière cette démonstration de force, un message limpide : l'administration Trump pourrait préparer le terrain à la répression croissante contre l'immigration irrégulière et au déploiement d'une force armée pour y parvenir.

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Un changement de cibles stratégique

Pour Stephanie Schwartz, professeure en relations internationales à la London School of Economics, ces opérations ne laissent aucun doute sur leur intention : "Pourquoi envoyer des agents lourdement armés dans des lieux où aucune résistance armée n'est attendue ? Parce que le but est de semer la terreur et de la propager."

Les raids de vendredi à Los Angeles, comme ceux menés une semaine plus tôt à San Diego, s'inscrivent dans une évolution des priorités de l'ICE. Longtemps concentrée sur les sans-papiers soupçonnés d'activités criminelles ou d'appartenance à des gangs, l'agence cible désormais des entreprises employant des travailleurs illégaux. Dans une ville comme Los Angeles, où une personne sur trois est née à l'étranger et une sur dix pourrait être en situation irrégulière, la riposte citoyenne était prévisible.

Autre exemple du changement de méthode de l'ICE : vendredi, deux hommes ont été arrêtés par des agents de l'ICE en civil à la sortie d'une audience devant un tribunal d'immigration à New York. Un procédé de plus en plus répandu, qui dissuade nombre de sans-papiers de faire valoir leurs droits par voie légale, selon les avocats spécialisés de l'immigration.

Deux hommes sont détenus par des agents en civil de l'Immigration and Customs Enforcement (ICE) après leur audience au tribunal d'immigration de Federal Plaza à New York, le 6 juin 2025.
Deux hommes sont détenus par des agents en civil de l'Immigration and Customs Enforcement (ICE) après leur audience au tribunal d'immigration de Federal Plaza à New York, le 6 juin 2025. © Charly Triballeau, AFP

Cette situation semble faire suite à une réunion tendue fin mai entre Stephen Miller, conseiller influent de Donald Trump et architecte de sa politique anti-immigration, et la direction de l'ICE. Stephen Miller aurait exigé que l'agence augmente son rythme d'interpellations pour atteindre 3 000 arrestations quotidiennes, exhortant les agents à intervenir dans des commerces.

"Pourquoi n'êtes-vous pas chez Home Depot ? Pourquoi n'êtes-vous pas chez 7-Eleven ?", a déclaré un haut responsable de l'ICE, citant un Stephen Miller furieux, faisant référence à un grande entreprise de distribution et à une chaîne de supérettes.

Cette stratégie se retrouve également dans le gigantesque projet de loi budgétaire voulu par Donald Trump, surnommé le Big Beautiful Bill. Il prévoit plus de 150 milliards de dollars supplémentaires pour la lutte contre l'immigration avec la construction de nouveaux centres de détention pour plus de 125 000 personnes, la reprise de la construction du mur à la frontière mexicaine, et le recrutement de 10 000 agents supplémentaires de l'ICE.

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L'ennemi intérieur

Selon Stephanie Schwartz, l'objectif des raids de Los Angeles était "d'effrayer les migrants" et "de faire passer un message : non seulement ils ne sont pas les bienvenus, mais ils s'exposent aussi à des violences de la part de l'État, même dans leurs activités quotidiennes." En diabolisant cette population constituée d'"envahisseurs" alimentant l'"insurrection", l'administration Trump, qui accuse systématiquement les personnes en situation irrégulière d'être des criminels violents et des "ennemis étrangers", tente de "justifier juridiquement sa répression", poursuit la spécialiste.

Mi-mars, Donald Trump s'est notamment appuyé sur l'"Alien Enemies Act" (loi contre les ennemis étrangers) de 1798 – utilisée jusqu'alors uniquement en temps de guerre – afin de d'expulser vers une méga-prison au Salvador plus de 200 hommes accusés de liens avec le gang vénézuélien Tren de Aragua.

"La stratégie de l'administration repose sur une fiction qui décrit l'immigration comme une 'invasion' et son contrôle comme une question de sécurité nationale", explique Stephanie Schwartz. "Plusieurs tribunaux ont établi que l'administration ne pouvait pas justifier cela sur le plan juridique, mais elle n'a encore fait face à aucune conséquence et n'a donc pas changé de cap."

 

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Or, ce narratif sécuritaire ne résiste pas à l'épreuve des faits. Aux États-Unis, de nombreuses recherches ont démonté les fantasmes liant immigration et criminalité. Un récent rapport du Migration Policy Institute (MPI) souligne ainsi que les personnes immigrées aux États-Unis ont statistiquement moins de démêlés avec la justice que des personnes nées sur le sol américain. En 2020, elles étaient 60 % moins susceptibles d'être incarcérées, et leurs taux d'arrestation pour des infractions liées aux armes étaient dix fois moins élevés que ceux des personnes nées sur le territoire.

Malgré ces chiffres, le gouvernement veut au contraire renforcer et médiatiser sa campagne d'intimidation. Avec le déploiement massif de troupes et l'intensification des descentes de l'ICE, un nouveau seuil semble franchi, d'après Stephanie Schwartz. "Les manifestations à Los Angeles ont permis à l'administration de tester sa capacité à mobiliser un pouvoir coercitif contre la population nationale, y compris la Garde nationale et les Marines, comme une opération de guerre", conclut la professeure.

Cet article a été adapté de l'anglais par Barbara Gabel. L'original est à retrouver ici.