Incendies en Californie : quand la diversité devient le bouc émissaire préféré des conservateurs
Plutôt que de pointer du doigt la sécheresse, les effets du changement climatique ou le manque de moyens pour les pompiers, les soutiens de Donald Trump ont trouvé le coupable idéal des incendies hors de contrôle qui ravagent la Californie. Le nom du criminel tient en trois lettres : DEI ("Diversity, equality and inclusion"), acronyme érigé en repoussoir des excès du wokisme par les conservateurs.
Les programmes DEI désignent toutes les mesures prises dans les entreprises, les écoles ou les agences gouvernementales pour accroître les opportunités pour les femmes, les Afro-Américains, les personnes LGBT+ et d'autres groupes marginalisés.
Comme souvent, le milliardaire Elon Musk a contribué à allumer la mèche en multipliant les messages incendiaires et trompeurs sur son réseau social X. "Ils ont donné la priorité au DEI plutôt que de sauver des vies et des maisons", écrit le patron de Space X, insinuant que le budget du département incendie a servi à promouvoir ces politiques d'inclusion et de diversité.
"Lorsque vous vous focalisez sur la diversité, l'équité, l'inclusion, les projets LGBT+, et que vous êtes otage des écologistes, [...] vous devenez incapables de faire les choses les plus basiques", a également affirmé Charlie Kirk, autre désinformateur en chef de la sphère Maga ("Make America Great Again") qui fustige l'incapacité des autorités à juguler les flammes.
En première ligne des bouc-émissaires désignés par l'extrême droite américaine : la maire de Los Angeles, Karen Bass, le gouverneur démocrate de Californie Gavin Newsom, et la cheffe des pompiers de Los Angeles. Première femme et première personne ouvertement homosexuelle à occuper ce poste, Kristin Crowley est devenue ces derniers jours le symbole de ces politiques honnies des conservateurs.
Pompier vétéran
Nommée en 2022 pour redorer le blason d'un département accablé par des plaintes de harcèlement et de discrimination parmi ses 3 400 membres, Kristin Crowley est accusée par la droite américaine de s'être focalisée sur les DEI au détriment de la sécurité incendie. Pourtant, rien ne prouve que les politiques de diversité dans son service ont entravé la lutte contre les flammes.
"La cheffe des pompiers de Los Angeles a fait de la diversité sa priorité absolue au lieu de remplir les bouches d'incendie", a notamment commenté l'ancienne journaliste de Fox News, Megyn Kelly. "Ce que nous voyons était largement évitable".
Peu importe si le service des pompiers n'a rien à voir avec le ravitaillement des bornes incendies. Ce dernier dépend du département de l'eau et de l'électricité de Los Angeles. Ses dirigeants ont expliqué avoir été dépassés par la demande exceptionnelle du système municipal qui n'est pas conçu pour lutter contre des incendies de forêt. En début de semaine dernière, environ 20 % des bouches d'incendie utilisées dans le quartier de Pacific Palisades étaient asséchées.
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"Derrière tout cela, il y a l'idée que la société avait comme usage d'embaucher des gens sur la base de la compétence et du mérite mais que ce système a été dévoyé par des minorités puissantes", décrypte auprès de la NPR, la radio publique américaine, Ian Haney López, professeur de droit à l'université de Berkeley. "Encore et encore, nous voyons tous ces efforts pour alimenter le ressentiment contre des groupes qui ont été historiquement marginalisés socialement".
Le profil de Kristin Crowley ne prête pourtant guère le flanc aux procès en incompétence. Lors de sa prise de fonction, elle travaillait déjà depuis 22 ans au sein du service des incendies, où elle a été pompier, ambulancier, ingénieur, inspecteur des incendies, capitaine, chef de bataillon, capitaine des pompiers et chef adjoint. En 2018, elle se distingue pour sa bravoure aux côtés de son épouse, également soldat du feu, en sauvant neuf maisons des flammes dans des conditions dantesques lors du "Woosley Fire". Enfin, lorsqu'elle a passé son examen à la fin des années 1990, elle s'est classée parmi les 50 premiers sur 16 000 candidats, rappelle Newsweek.
Des Américains divisés sur le DEI
Ces dernières années, les attaques contre les programmes DEI connaissent une nouvelle vigueur aux États-Unis, en particulier lorsque survient un événement dramatique. À l'été 2024, dans le sillage de la tentative d'assassinat de Donald Trump, le Secret Service, en charge de la protection des présidents américains, a immédiatement été sous le feu des critiques pour ses mesures en faveur de la diversité. Le même refrain a été entendu après l'effondrement d'un pont à Baltimore en mars ou lors de divers événements climatiques extrêmes comme les ouragans Milton et Helene en 2024, deux événements qui ont charrié un nombre incalculable de fake news.
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Lors de sa campagne électorale, Donald Trump a lui-même promis de s'attaquer aux programmes de diversité, y compris dans les universités. "Les lois sont très injustes aujourd'hui", a t-il estimé en mai auprès du magazine Time. Plusieurs États, dont la Floride, le Texas, l'Alabama et l'Iowa, ont déjà interdit les bureaux du DEI dans leurs universités publiques. En juin 2023, la Cour suprême américaine, à majorité conservatrice, avait mis un coup d'arrêt à la discrimination positive dans les universités américaines. Les juges avaient été saisis de deux plaintes d'étudiants blancs et asiatiques qui se considéraient comme victimes de la discrimination positive.
Les critiques affirment que les politiques en matière de diversité sont discriminatoires et désavantagent d'autres groupes, en particulier les Américains blancs. "Il ne s'agit pas de programmes neutres visant à accroître la diversité mais de programmes politiques qui utilisent les ressources du contribuable pour promouvoir une orthodoxie partisane spécifique", estimait dans le New York Times Christopher Rufo, activiste ultra conservateur qui a contribué à la démission de la directrice d'Harvard en janvier 2024.
Alors que se prépare le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, les programmes DEI sont plus que jamais menacés. Vers la fin de son premier mandat en 2020, le milliardaire avait signé un décret interdisant la formation à la diversité dans les agences gouvernementales et les institutions qui reçoivent des fonds fédéraux. L'administration a rapidement fait l'objet de poursuites judiciaires et un juge fédéral a bloqué le décret peu de temps après.
Du côté du secteur privé, le vent semble déjà avoir commencé à tourner. Après les bonnes volontés affichées dans le sillage du meurtre de Georges Floyd en 2020, l'heure est au rétropédalage sur un sujet qui divise la société américaine. Cette semaine, Meta et McDonald's ont rejoint une liste croissante d'entreprises, dont Walmart et Ford, qui réduisent leurs initiatives en matière de programmes DEI.