Le gouvernement peut-il interdire les hôtels sans enfants ?
La table ronde organisée ce mardi 27 mai à Paris a réuni Airbnb, la FNHPA (campings), l’Umih (restauration et hôtellerie), la FNTV (transports de voyageurs), l’UNPLV (locations de vacances) ou encore la FNRT (résidences de tourisme). L’ordre du jour ? La montée en puissance des offres dites, «no kid», ces établissements qui choisissent de ne pas accueillir de jeunes enfants.
Sarah El Haïry, haut-commissaire à l’Enfance, dénonce une tendance «brutale», venue de l’étranger, qui verrait l’enfant comme une nuisance à éviter. Elle affirme vouloir «ne pas laisser s’installer ce modèle en France», et a saisi ses services juridiques pour étudier d’éventuelles restrictions.
Ancienne ministre déléguée à la Famille, ex-titulaire de portefeuilles liés à la jeunesse, elle a réaffirmé sa position ce week-end dans Le Parisien. Sarah El Haïry y qualifie la tendance «no kids» de « violence faite aux enfants », et appelle à penser une société « à hauteur d’enfant ». En rajoutant voulant «promouvoir une contre-tendance «pro-kids», avec des acteurs pro-familles, comme les Belambra, les Center Parcs, les Pierre et Vacances, Airbnb.» Contactés par Le Figaro ce lundi, ces derniers n’avaient pas été encore été sollicités. «Nos marques sont familiales par nature mais n’adoptent pas de position sur cette thématique» expliquait Center Parcs.
Le calme est-il une faute morale ?
Les établissements «adult only», souvent des retraites bien-être ou des hôtels de charme, existent depuis les années 1970 dans les Caraïbes ou aux États-Unis. En Europe, l’Espagne fut parmi les premières destinations à ouvrir la voie il y a une dizaine d’années, avec des adresses aux Baléares et aux Canaries. En France, ils restent marginaux : selon le syndicat professionnel Les Entreprises du voyage (EDV), à peine une dizaine d’adresses sur 17.000 établissements touristiques pratiqueraient ce modèle.
Mais la demande est bien réelle. Selon Valérie Boned, présidente des EDV, ce sont souvent des parents eux-mêmes qui demandent des séjours sans enfants, pour se reposer… sans les leurs, ni ceux des autres. La pandémie a renforcé ce besoin de calme et d’espace. Pour Véronique Siegel, présidente de la branche hôtellerie de l’Umih, le phénomène n’est pas idéologique mais commercial : «Dans un marché concurrentiel, le choix de l’“adult only” est d’abord une stratégie commerciale qui permet de répondre à un besoin et de se différencier.»
Et ce besoin grandit comme l’expliquait le Figaro dans une enquête sur le sujet. Hôtels, campings et chambres d’hôte ne sont pas les seuls à vanter les bienfaits des séjours sans marmots : Kuoni, voyagiste historique créé en 1906, met en avant cette « tendance décomplexée » auprès des jeunes couples, parents et grands-parents, enfin libres de « s’affranchir de bambins bruyants et agités », quand Fram fait désormais se côtoyer sur son site de réservation l’option « adult only » aux côtés des traditionnels « voyages de noces » ou « tout compris ».
Une ligne de crête juridique
La question de fond est délicate : un hôtel ou un restaurant a-t-il légalement le droit de refuser les enfants ? En l’état actuel, l’enfance ne constitue pas une catégorie explicitement protégée par le droit du commerce ou du tourisme, comme peuvent l’être le sexe, l’origine ou le handicap. Aucun texte ne garantit aux mineurs un accès universel à tous les établissements privés, tant que l’exclusion ne constitue pas une discrimination manifeste ou humiliante.
Pourtant, l’article 225-1 du Code pénal interdit déjà «toute distinction fondée sur l’âge ou la situation de famille», avec des sanctions pouvant aller jusqu’à trois ans de prison et 45.000 euros d’amende. De quoi faire peser une incertitude réelle sur la légalité des offres «adult only», même si ces dernières se présentent comme des espaces réservés aux adultes, et non explicitement «interdits aux enfants». C’est précisément cette ambiguïté que veut lever Sarah El Haïry, qui affirme étudier la possibilité de poursuites contre certains établissements. «Mes services juridiques analysent la situation», a-t-elle déclaré.
Dans ce flou, elle n’est plus seule : la sénatrice socialiste Laurence Rossignol propose d’inscrire la minorité comme critère légal de discrimination, au même titre que le genre ou la religion. Elle a déposé une proposition de loi en ce sens et presse le gouvernement d’agir.
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Une norme à sens unique ?
En Espagne, au Royaume-Uni, en Allemagne ou au Canada, les hôtels «adult only» coexistent sans heurts avec l’offre familiale depuis des décennies. En France, en 2025, la question devient politique. Faut-il vraiment obliger tous les lieux à accueillir tous les publics, même si cela dénature leur promesse d’expérience ? L’hospitalité a-t-elle encore droit à la nuance ?
Au nom de l’inclusion, le risque serait d’uniformiser le tourisme, nier les aspirations individuelles à la quiétude, au silence ou à l’intimité. Le repos sans enfant n’est pas un rejet, semble penser la majorité des professionnels : c’est une autre forme de vacances. Y compris pour ceux qui n’en ont pas. Et la liberté de choisir son cadre, elle aussi, mérite d’être protégée.
À trop vouloir moraliser l’offre touristique, la France pourrait surtout voir ses voyageurs… réserver ailleurs. Car si certains hôtels se ferment aux enfants, d’autres pays, eux, n’ont pas l’intention de se fermer aux Français.
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