L’Ukraine fait le pari d'une nouvelle incursion dans la région russe de Koursk

Bis repetita. L’Ukraine a débuté, dimanche 5 janvier, une nouvelle offensive dans la région russe de Koursk. Elle intervient près de six mois après la première opération qui avait permis à l’armée ukrainienne d’occuper plus de 1 000 km² et des centaines de villages en territoire russe.

Depuis lors, les forces russes - soutenues par des contingents nord-coréens et des soldats tchétchènes - ont réussi à reprendre près de la moitié du territoire initialement perdu.

"Bonnes nouvelles de Koursk"

Kiev semble donc décidé à repartir à la conquête d’une partie de cette région frontalière avec l’oblast ukrainien de Soumy. "Il est impossible de dire pour le moment combien de troupes ont été mobilisées par l’Ukraine pour cette offensive, car il n’y a pas de communication officielle de la part de Kiev, mais il semblerait que ce soit une offensive plutôt conséquente", note Huseyn Aliyev, spécialiste de la guerre en Ukraine à l’université de Glasgow.

Les autorités ukrainiennes se sont contentées d’affirmer qu’elles recevaient des "bonnes nouvelles de la région de Koursk" et que la "Russie [y] recevait ce qu’elle méritait". La plupart des détails opérationnels proviennent des milblogueurs, ces commentateurs militaires russes très actifs sur les réseaux sociaux. D’après eux, l’offensive a mis une forte pression sur les positions défensives russes. Ils ont fait état de la présence de chars, de véhicules blindés, d’artillerie et aussi de système de guerre électronique pour contrer les drones de l’armée russe. Reprenant la position officielle du ministère russe de la Défense, ces sources précisent cependant que l’avancée ukrainienne aurait été stoppée.

Carte de l'offensive ukrainienne débuté le 5 janvier dans la région russe de Koursk

Là encore, difficile de savoir ce qu’il en est vraiment. "Tout ce qu’on peut dire c’est que les troupes ukrainiennes ont avancé depuis plusieurs directions et se dirigent vers la ville de Bolchoe Soldatskoe, qui se trouve au-delà de la zone que l’Ukraine avait réussi à occuper après l’offensive d’août 2024", détaille Will Kingston-Cox, spécialiste de la Russie à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona. Pour lui, "la situation est encore très fluide, avec des combats qui se déroulent à plusieurs endroits".

Une chose est néanmoins sûre : l’attaque ukrainienne en territoire russe a pris tout le monde par surprise, à commencer par Moscou. Les autorités russes ne s’attendaient pas à ce que l’Ukraine reparte à l’offensive dans une région où elle avait déjà du mal à défendre les positions acquises à l’été 2024. Et ce d’autant moins que "sur le front du Donbass, la situation est très difficile pour l’Ukraine qui voit les forces russes avancer d’environ 10 km par jour", souligne Huseyn Aliyev.

L’offensive ukrainienne d’août 2024 en territoire russe a, de plus, laissé le souvenir mitigé d’un pari risqué qui n’a pas atteint tous ses objectifs. L’un des principaux buts de cette opération était de pousser la Russie à rapatrier à Koursk des troupes actives sur le front du Donbass afin d’y faciliter la tâche défensive ukrainienne. "Ce n’est pas ce qui s’est passé. La Russie a pu compter sur les renforts nord-coréens et des spécialistes tchétchènes pour repousser les Ukrainiens", précise Will Kingston-Cox.

Commencer 2025 par une offensive 

Alors pourquoi relancer une offensive ? Tout d’abord, "c’est bon pour le moral des troupes et de l’opinion publique nationale de commencer l’année par une offensive qui, du moins pour l’instant, a rencontré un certain succès", assure Will Kingston-Cox. Un changement de ton bienvenu pour une population ukrainienne plus habituée ces derniers temps à vivre au rythme des kilomètres grignotés par l’ennemi russe dans le Donbass.

Et le signal envoyé par Kiev ne vise pas seulement sa population. "L’Ukraine vient de recevoir les dernières livraisons de matériels militaires autorisées par Joe Biden avant le changement de président aux États-Unis. C’est une manière de démontrer concrètement que ce soutien logistique a un impact sur le terrain", explique Huseyn Aliyev.

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Ce serait comme un dernier hommage à Joe Biden, mais aussi une façon de se présenter sous son jour le plus conquérant à Donald Trump, deux semaines avant son entrée en fonction. "On sait que le futur président aime à se placer du côté des vainqueurs, et pour l’instant, seule la Russie pouvait se targuer d’avancées", explique Will Kingston-Cox.

Pour Kiev, il serait urgent d'occuper autant de terrain que possible. "Les Ukrainiens veulent probablement récupérer au moins autant de territoires qu’ils en occupaient au plus fort de l’offensive d’août 2024. Cela renforcera leur main lors d’éventuelles négociations que Donald Trump a affirmé vouloir organiser au plus vite", résume Huseyn Aliyev.

Pourront-ils y parvenir ? Selon Will Kingston-Cox, les autorités ukrainiennes ont voulu tenter cette offensive surprise parce qu’elles ont "vu la manière chaotique de se battre des forces russes dans la région de Koursk et pense pouvoir en profiter". "Les troupes nord-coréennes y sont utilisées comme de la chair à canon, elles sont envoyées contre les positions ukrainiennes sans soutien d’artillerie", résume-t-il. La présence de troupes étrangères et le mélange entre soldats russes et unités spéciales tchétchènes rend en outre la communication compliquée au sein des forces russes, ont constaté les Ukrainiens.

La défense dans le Donbass affaiblie ?

Mais c’est sans compter "avec plusieurs brigades de parachutistes et de marines que la Russie a déployées spécifiquement pour défendre les positions stratégiques", nuance Huseyn Aliyev. Pour lui, la deuxième offensive sur Koursk est aussi risquée pour Kiev que la première… sinon plus. À l’été 2024, "l’Ukraine disposait encore de réserves qui avaient pu être envoyées dans la région de Koursk pour soutenir l’avancée du premier contingent. Ce n’est plus le cas aujourd’hui", affirme cet expert.

Il craint aussi que le choix de la deuxième offensive à Koursk se soit fait aux dépens du front dans le Donbass. Car même si ces troupes parvenaient à reprendre le terrain dans la région de Koursk, "n’auraient-elles pas été plus utiles [dans le Donbass] pour ralentir ou stopper l’avancée russe ?", s’interroge Huseyn Aliyev.

D’autant plus que selon lui, l’Ukraine, aidée par du matériel moderne occidental qui lui a été livré récemment, a une véritable carte à jouer dans le Donbass. "Les Russes utilisent actuellement surtout des petites unités de soldats peu entraînés pour avancer dans le Donbass. Elles sont plus faibles que les forces restées dans la région de Koursk qui, en plus, peuvent s’appuyer sur des structures défensives", analyse Huseyn Aliyev.

Une véritable guerre des annonces se déroulent d’ailleurs en parallèle aux combats sur le terrain. Alors que l’Ukraine assurait "avoir de bonnes nouvelles de Koursk", le ministère russe de la Défense se félicitait, lundi, de la prise de la ville de Kourakhove, au nord ouest de Donetsk, après deux mois de combats intenses, ce que Kiev n’a pas confirmé. La Russie a assuré que cette "victoire" lui permettrait d’avancer "beaucoup plus vite" dans le reste du Donetsk.