Exposition "Ya Rayi !" à l'institut du monde arabe de Tourcoing : le raï en cinq chansons incontournables

Le raï est inscrit depuis 2022 sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Ces interprètes ont marqué à jamais le raï, chacun à sa façon. De Cheikha Rimitti à Khaled, voyage en Oranie, berceau de cette musique née dans le monde rural avant de déferler dans toutes les grandes villes. Visite guidée avec Naïma Huber-Yahi, historienne spécialiste de l'immigration et co-commissaire de l'exposition Ya Rayi  ! Une histoire de la musique raï qui se tient à l'Institut du monde arabe de Tourcoing jusqu'au 27 juillet. Comme toute sélection, celle-ci est forcément subjective et non exhaustive.

"Nouar" de Cheikha Rimitti

La mamie du raï (1923-2006), de son vrai nom Sadia Bedief, a marqué l'histoire de la musique raï dès les années 1940. Fugueuse, rebelle, féministe avant l'heure, Cheikha Rimitti a révolutionné ce genre musical avec un répertoire impressionnant, qui mêle le sacré (à ses débuts) et surtout le profane. Chansons libres, allusions érotiques, paroles parfois crues, la "Mère du raï" a gardé un son brut, charnel. Celle qui n'a jamais été à l'école symbolise le raï roots, des origines. "Elle connaît son premier succès en 1954 avec Charrag Gataâ (déchire, lacère), chanson sulfureuse dans laquelle ses contemporains voient une attaque contre le tabou de la virginité", analyse Naïma Huber-Yahi.

Pourtant, Cheikha Rimitti a connu la gloire sur le tard. Que signifie son pseudo ? Cheikha, masculin de cheikh, veut dire à la fois celle qui enseigne et… la vieille, la sage. Rimitti viendrait de l'expression Remettez (ça), encore une autre tournée. Nouar (fleurs) est une chanson phare de l'album éponyme datant de vingt-cinq ans.

"La Camel" de Khaled

Cette chanson est assez emblématique du parcours de celui qui était encore Cheb Khaled. Fruit de la collaboration avec Safy Boutella, La Camel, issue de l'album Kutche, installera définitivement le jeune chanteur oranais sur le trône du raï. Après le succès de Didi, l'artiste se sépare petit à petit de l'étiquette Cheb (jeune) pour n'être que Khaled, Khaled Hadj Ibrahim pour l'état civil. L'artiste a commencé très tôt sa carrière. "À seulement 14 ans, Khaled enregistre Trig Lycée (La route du lycée), une chanson qui connaît un succès immédiat et marque le début de sa carrière. Rapidement, il devient une figure incontournable des mariages et fêtes populaires, suivant les traces de ses modèles Ahmed Zergui et Boutaïba Sghir", note la commissaire.

Comme la plupart des Chebs à l'époque, sa carrière internationale a commencé véritablement au Festival de raï de Bobigny en 1986. Le king enchaînera ensuite de nombreux succès, comme Bakhta, Aïcha, El babour et le tube planétaire C'est la vie…

"Nsel fik" de Fadela et Sahraoui

C'était le couple glamour idéal des années 1980-1990 : Chaba (ou Cheba) Fadela et Cheb Sahraoui formaient un duo artistique et étaient mari et femme. La chanson Nsel fik (Tu es à moi), composée en 1983 par le légendaire Rachid Baba Ahmed, assassiné par des islamistes armés en février 1995, n'a pas pris une ride. Âgée de 62 ans aujourd'hui, Chaba Fadela a commencé sa carrière très jeune. Ses premiers albums remontent à la fin des années 1970. Son mari, Cheb Sahraoui, virtuose, a fait de l'ombre au king Khaled pendant de longues années. Le duo Fadela-Sahraoui a parcouru la scène internationale longtemps. "Premières stars du raï à l'international, ils enregistrent chez Island et se produisent notamment aux États-Unis à plusieurs reprises. La cassette Mahlali Noum (Insomnies) de Cheba Fadela constitue un événement musical et donne le ton de la décennie 1980", analyse l'historienne.

Chaba Fadela sera en concert le 5 avril à l'Institut du monde arabe-Tourcoing dans le cadre de l'exposition inédite consacrée à la musique raï.

"El Baida mon amour" de Cheb Hasni

Le Rossignol du raï, Cheb Hasni, chantait l'amour et la jeunesse, les sentiments amoureux et le mal-être d'une partie de la population, avant d'être assassiné le 29 septembre 1994, à l'âge de 26 ans, par le GIA (Groupe islamique armé) lors d'une vague d'attentats qui visait les artistes et les intellectuels. Une anecdote circulait à son sujet : aux clients qui demandaient la dernière cassette de Hasni, les disquaires répondaient invariablement la même chose : celle du matin ou de l'après-midi ? Cheb Hasni était en effet très prolifique, presque 150 cassettes à son actif. Il porte encore aujourd'hui la couronne de roi du raï sentimental. "Ses chansons continuent d'être jouées et redécouvertes par les nouvelles générations, représentant l'espoir et la douleur d'une jeunesse qui a perdu l'un de ses porte-paroles. Sa mémoire perdure à travers ses chansons qui, même trente ans après sa mort, résonnent avec la même force et émotion", rappelle la commissaire de l'exposition.

"Ya Zina" de Raïna Raï

Le titre est intemporel, Ya Zina (La Belle) a plus de quarante ans. Le groupe Raïna Raï, créé à Paris par des étudiants au début années 1980, a deux particularités : il est de Sidi Bel Abbès (et non d'Oran, capitale du raï) et sa musique est reconnaissable dès les premières notes. Le groupe apporte une touche rock et gnawa au raï, un son qui a inspiré ensuite de nombreux artistes des deux côtés de la Méditerranée. Le guitariste Lotfi Attar veille aujourd'hui sur l'héritage musical d'un groupe pas comme les autres.

Exposition Ya Rayi !, à l'Institut du monde arabe de Tourcoing, jusqu'au 27 juillet 2025