Marseille : le propriétaire de 29 appartements d’un «bidonville vertical» devant la justice
«Monsieur B. coche toutes les cases du marchand de sommeil ». Pour Me Jorge Mendes Constante, avocat de la ville de Marseille qui s’est porté partie civile dans cette affaire, il n’y a pas l’ombre d’un doute. Ce jeudi, Majid B. comparaît devant le tribunal correctionnel de Marseille pour avoir loué 29 appartements insalubres dans le «bidonville vertical» du Gyptis, selon les termes de l’avocat de la mairie.
Frappé d’un arrêté d’insalubrité en juillet 2022, en partie squatté ou habité par des locataires en situation précaire, la résidence du Gyptis, dégradée et en proie au trafic de drogue dans le quartier paupérisé marseillais de la Belle-de-Mai, a été totalement évacuée en mars 2023 en raison de la dangerosité de cette ancienne résidence étudiante. Et Majid B. était le plus important propriétaire de cette résidence de 268 appartements, symbole de l’habitat indigne à Marseille. Il aurait acquis les appartements par lots à partir de l’année 2015 pour la somme de 12.000 euros chacun. «Tout a été amorti en deux ans avec un rendement de 50 %», calcule Me Jorge Mendes Constante.
Paiement en espèce
Majid B. est accusé de soumission de plusieurs personnes vulnérables ou dépendantes à des conditions d’hébergement indignes. Devant les enquêteurs, la quinzaine de locataires identifiés a rapporté ne pas avoir de chauffage dans son logement. Certaines des portes défectueuses sont remplacées par de simples chaînes, tandis que moisissure, cafards et rats pullulent.
Beaucoup d’entre eux sont d’origine étrangère, sans-papiers, avec des revenus modestes, handicapés ou plus largement isolés. Ils payaient leurs loyers uniquement en espèce, souvent sans avoir de bail. «Mes clients vivaient dans des conditions extrêmement dangereuses, rapporte Me Aurélien Leroux, avocat de quatre parties civiles dans ce procès. Il y avait beaucoup d’humidité, des nuisibles, des risques d’intrusion. On est dans le cocktail de l’indécence. Une de mes clientes, d’origine étrangère, était enceinte et a même perdu son embryon à cause d’une intoxication au monoxyde de carbone après un incendie».
Des dettes envers la copropriété
«Mes clients étaient complètement vulnérables, sans titre de séjour, rapporte Me Flora Gilbert, avocate de quatre autres parties civiles. Et dans ce dossier, on est loin de l’exploitation de la misère par la misère. Le prévenu habite une coquette maison à Aubagne.» Lors de la perquisition de son domicile en février 2023, les enquêteurs ont retrouvé des liasses de billets pour un montant de 10.810 euros. Les policiers ont également saisi un coffre dans lequel se trouvaient environ 100.000 euros en pièces d’or et en billets de banque. Il était par ailleurs propriétaire d’autres appartements, notamment dans les quartiers nord et pauvres de la ville. «Lors de sa garde à vue, il avait 13.900 euros sur son compte bancaire», rappelle l’avocat de la ville de Marseille. Majid B. est accusé d’avoir continué de percevoir les loyers de ses appartements malgré l’arrêté de sécurité qui l’en empêchait, pour une somme totale estimée à 44.234 euros.
90.000 euros de charges impayées
«On est sur le profil symptomatique du marchand de sommeil, qui loue des logements indignes à des personnes vulnérables et n’a jamais payé ses charges», accuse Me Jorge Mendes Constante. Le prévenu avait en effet envers la copropriété une dette de près de 90.000 euros. «Il ne pouvait pas les payer», assure son avocate, Me Isabelle Ansaldi, pour qui son client a été «dépassé par la situation». «Il n’y avait en aucun cas une volonté de louer à des personnes en situation irrégulière, poursuit l’avocate. Il n’a en aucun cas abusé de leur faiblesse. Il avait acheté ces appartements pas très chers pour de l’investissement locatif. Il n’a pas choisi une partie de ses locataires, car les appartements étaient déjà occupés. Il n’a pas perçu de loyer quand l’arrêté a été pris. Et il n’était pas le seul responsable de cette situation au Gyptis. Il y avait tout un contexte. Dans cette copropriété, il y avait eu beaucoup d’alertes, sur les rats, les cafards, les poubelles et le point de deal.»
Les deux avocats de la dizaine de locataires qui se sont portés partie civile réclament jusqu’à 10.000 pour leurs clients. De son côté, la mairie, qui a fait cité directement le prévenu pour ne pas avoir voulu reloger ses locataires, réclame 160.000 euros. L’audience est prévue pour durer jusqu’à vendredi. Le 2 juillet dernier, deux autres propriétaires du Gyptis ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Marseille pour avoir perçu des loyers en dépit de cet arrêté de péril. L’un des propriétaires a écopé d’une peine de trois mois de prison avec sursis et 8000 euros d’amende, tandis que l’autre a été condamné à 120 jours-amendes à 80 euros. Les deux prévenus ont également été condamnés à rembourser à leurs locataires les loyers indûment perçus, soit autour de 2000 euros mensuels de mars à octobre 2022, ainsi que 1200 euros à chacun en réparation de leur préjudice moral.