À quand un musée consacré à Notre-Dame ?
Il y a près de 15 mois déjà, le président de la République française annonçait sa volonté de créer au sein de l’Hôtel-Dieu un musée de la cathédrale. Une mission de préfiguration confiée à Charles Personnaz, directeur de l’Institut national du patrimoine, aidé de Jonathan Truillet, conservateur en chef du patrimoine, définissait peu après un projet scientifique et culturel et un modèle économique viable pour ce nouvel établissement. Et depuis, c’est le silence qui prévaut. Alors que le rapport de cette mission, remis début 2024 à la ministre de la Culture n’a toujours pas été rendu public, il est à craindre que ce projet majeur soit en voie d’abandon.
La Cour des comptes, pourtant peu encline à encourager la dépense, avait déjà souligné dans son rapport de 2022 sur la restauration de Notre-Dame la nécessité d’envisager rapidement la création d’un musée à proximité de la cathédrale pour améliorer le confort de visite des touristes venus du monde entier. Alors que la fréquentation du site explose depuis la réouverture avec 15 millions de visiteurs par an attendus, les longues files d’attente et l’absence de possibilité d’approfondir la découverte du monument après la visite ne sont pas à la hauteur de la renommée internationale de Notre-Dame de Paris. Dans un quartier en pleine mutation et alors que l’Hôtel-Dieu lui-même s’apprête à connaître une évolution majeure de son fonctionnement, une opportunité inédite et qui ne se répétera pas se présente pour améliorer cette situation. Bien que l’État manque d’argent pour engager de nouveaux grands projets, de nombreux mécènes potentiels en France et à l’étranger ont déjà fait part de leur désir d’aider cette ambition à se concrétiser.
Nombreux sont en effet ceux qui considèrent que Notre-Dame représente une anomalie parmi les autres grandes cathédrales européennes qui, presque toutes, sont dotées à proximité immédiate d’un musée qui permet d’en présenter l’histoire au public. Un des exemples les plus aboutis en la matière est sans doute le musée de la cathédrale de Florence, totalement rénové en 2015 et devenu depuis un site touristique incontournable de la cité toscane.
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Notre-Dame de Paris occupe une place éminente dans le paysage historique et artistique depuis le Moyen Âge. Elle inaugure une phase de gigantisme architectural qui se poursuit avec les cathédrales de Chartres, Reims, Amiens, Beauvais et Cologne notamment. La maîtrise de la technique du voûtement d’ogives associée à l’emploi d’arcs-boutants a permis d’élever des voûtes de plus de 30 mètres de hauteur et parfois de 12 cm d’épaisseur seulement pour une structure d’une finesse inédite. Cette virtuosité se retrouve dans les roses du transept, les plus vastes et les plus fines à l’époque de leur construction dans les années 1260. Le décor sculpté des portails, comme à l’intérieur des chapiteaux et du mobilier témoigne là encore d’une qualité qui marque durablement le développement artistique des derniers siècles du Moyen Âge et même au-delà si l’on inclut les mises au goût du jour du décor à l’époque moderne et la « grande restauration » au XIXe siècle par Viollet-le-Duc. Élevée au cœur d’une ville qui devient vers 1200 capitale du royaume, la cathédrale incarne l’étroitesse des liens entre l’Église et la royauté comme en témoignent les multiples représentations du pouvoir politique, avec notamment la mise en place d’une colossale galerie des rois au-dessus des portails, un prototype appelé à être repris dans de nombreux monuments.
Le succès des documentaires scientifiques, des nombreux ouvrages et manifestations qui ont précédé la réouverture de la cathédrale démontre à quel point cette soif d’apprendre sur ce monument est grande en France et à l’étranger.Les collections à valoriser pour éclairer d’un jour nouveau cette histoire sont nombreuses et spectaculaires : sculptures monumentales, découvertes archéologiques récentes ou encore les fameux mays, ces fantastiques tableaux créés spécialement pour Notre-Dame au XVIIe siècle. La plupart sont recluses dans des réserves de musée et ne peuvent pas être admirées par les visiteurs de la cathédrale. En complément, les connaissances que nous avons accumulées ces cinq dernières années viennent totalement renouveler notre compréhension du monument. Chronologie de construction, techniques mises en œuvre pour bâtir ce chef-d’œuvre gothique, liens entre la cathédrale et son quartier constituent autant de thématiques que les chercheurs du monde entiers souhaitent pouvoir faire connaître au public le plus large.
Le musée reste l’outil le plus adapté pour permettre cette mise à disposition. Un musée moderne, utilisant tout le potentiel des nouvelles technologies numériques pourrait enfin permettre aux visiteurs de la cathédrale de découvrir les coulisses de ce monument exceptionnel. Histoire de l’art, des sciences et des techniques, ainsi qu’une attention particulière aux savoir-faire mobilisés pour construire et restaurer la cathédrale peuvent former un récit passionnant et un formidable outil de recherche et d’éducation.
Historiens, historiens de l’art et archéologues installés en Europe ou aux États-Unis, nous œuvrons chaque jour pour mieux comprendre l’histoire de Notre-Dame de Paris mais au-delà de notre rôle de chercheur, nous souhaitons que notre travail rejoigne les attentes et la très forte demande de mieux comprendre cette cathédrale. Le succès des documentaires scientifiques, des nombreux ouvrages et manifestations qui ont précédé la réouverture de la cathédrale démontre à quel point cette soif d’apprendre sur ce monument est grande en France et à l’étranger. Ne laissons pas cette dynamique retomber et au contraire profitons-en pour doter enfin notre cathédrale du grand musée qu’elle mérite !
Albrecht Stephan, professeur d’histoire de l’art, Université de Bamber
Balcon Berry Sylvie, professeur d’histoire de l’art et d’Archéologie du Moyen Âge, Sorbonne Université
Boulanger Karine, docteur en histoire de l’art, ingénieur de recherche au CNRS
Bove Boris, professeur à l’Université de Rouen Normandie
Busson Didier, archéologue honoraire au Département d’histoire de l’architecture et d’archéologie de la Ville de Paris
Capponi Gisella, già Direttore dell’Istituto Centrale per il Restauro di Roma, ministero della Cultura
Chaumet Grégory, président de l’association pour la sauvegarde et la mise en valeur du Paris historique
Cook Lindsay, assistant teaching professor of Architectural history, department of Art history, Penn State University
Crépin-Leblond Thierry, conservateur général du patrimoine
Dagalita Cristina, docteur en histoire de l’art, ingénieur de recherche, CNRS
D’Alessandro Christophe, directeur de recherche CNRS (UMR 7190, Sorbonne Université)
De Luca Livio, directeur de recherche au CNRS, UPR 2002 MAP - Modèles et simulations pour l’architecture et le patrimoine
Engel Ute, professeur d’histoire de l’art, Institute of European Art History and Archaeology, Martin Luther University Halle-Wittenberg
Epaud Frédéric, directeur de recherche au CNRS, CITERES - UMR 7324
Feltman M. Jennifer, associate professor of Medieval Art and Architecture, Department of Art and Art History, The University of Alabama
Gallet Yves, professeur d’Histoire de l’art médiéval, Université Bordeaux-Montaigne
Gatouillat Françoise, ingénieur de recherche honoraire, Centre André Chastel
Hamburger Jeffrey Prof. Jeffrey F. Hamburger, Kuno Francke Professor of German Art & Culture, Harvard University
Hamon Etienne, professeur d’histoire de l’art du Moyen Âge, université de Lille ; rédacteur en chef du Bulletin monumental
Hartmann-Virnich Andreas, professeur d’histoire de l’art et archéologie médiévale, Laboratoire d’Archéologie Médiévale et Moderne en Méditerranée, LA3M UMR 7298 Aix-Marseille Université AMU/CNRS
Kasarska Iliana, maître de conférences en Histoire de l’art du Moyen Âge, Faculté de lettres, Institut catholique de Paris
Katz Brian FG, directeur de recherche CNRS, Sorbonne Université
Klein Bruno Prof. Technische Universität Dresden, chaire de Art chrétien de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge, ancien membre de la EPHS et de la Sorbonne
Leniaud Jean-Michel, président de la société des amis de Notre-Dame de Paris
Little Charles, conservateur honoraire, Département d’art médiéval et Cloisters, The Metropolitan Museum of Art, New York
Lorentz Philippe, professeur d’Histoire de l’art du Moyen Âge, Sorbonne Université
Loyer François, directeur de recherche honoraire au CNRS, Centre André-Chastel (UMR 8150)
Phalip Bruno, professeur émérite, Archéologue, Université Clermont-Auvergne
Pillet Elisabeth, conservateur en chef du patrimoine
Plagnieux Philippe, professeur d’histoire de l’art médiéval à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et à l’Ecole nationale des chartes
Sagnes Sylvie, chargée de recherches CNRS, Héritages
Sandron Dany, professeur d’Histoire de l’art du Moyen Âge, Sorbonne Université.
Snyder Janet, professor emerita, Art History, School of Art and Design, College of Creative Arts, West Virginia University
Syvilay Delphine, maître de conférences en archéométrie à Sorbonne University Abu Dhabi
Terrier Aliferis Laurence, professeur Institut d’histoire de l’art et de muséologie, Université de Neuchâtel
Villa Guglielmo professeur d’Histoire de l’architecture, Rome, Université de la Sapienza
Williamson Paul, Dr., Keeper, emeritus and Honorary Senior Research Fellow | Victoria and Albert Museum, Honorary Research Fellow | Courtauld Institute of Art | University of London
Wilson Christopher, emeritus Professor of the History of Architecture, UCL (University College London)
Wu Nancy, PhD, educator emerita, The Metropolitan Museum of Art, New York
Ybert Arnaud, maître de conférences en Histoire de l’art médiéval, Université de Bretagne Occidentale