«Une tache sur notre société» : le gouvernement britannique présente ses excuses aux milliers de victimes des gangs pédocriminels

Le gouvernement britannique a annoncé, lundi 16 juin, une série de réformes visant à « éradiquer le fléau » des gangs pédocriminels, responsables de viols et d’abus sexuels sur de jeunes filles vulnérables à travers le pays depuis plusieurs décennies.

Devant le Parlement, la ministre de l’Intérieur Yvette Cooper a dévoilé un projet de réforme législative pour que « les adultes qui ont des relations sexuelles avec pénétration avec un enfant de moins de 16 ans encourent une inculpation pour viol ». Elle a également annoncé que la nationalité et les données ethniques des auteurs de violences sexuelles sur mineurs devront désormais être systématiquement enregistrées.

La ministre travailliste a présenté des excuses « pleines et entières » aux victimes, reconnaissant « la douleur et la souffrance inimaginables » subies, ainsi que « l’échec des institutions de notre pays, pendant des décennies, à les protéger ». « Des enfants âgées d’à peine 10 ans ont été droguées, alcoolisées, brutalement violées par des bandes d’hommes, puis honteusement abandonnées encore et encore par les autorités », a-t-elle rappelé. Ce scandale est « une tache sur notre société », a-t-elle ajouté.

Le rapport Casey déclenche une onde de choc

Cette annonce intervient à la suite de la publication, le même jour, d’un rapport indépendant accablant rédigé par la baronne Louise Casey. Ce document met en lumière des décennies de négligence de la part des autorités locales face à des abus systémiques. Il relance un débat national sur l’ampleur des crimes commis par des gangs organisés et sur la passivité des institutions censées protéger les enfants.

Face à cette pression, le premier ministre Keir Starmer a fini par présenter ses excuses aux milliers de victimes, après avoir initialement refusé d’ouvrir une enquête nationale. Dimanche dernier, à la veille de la publication officielle du rapport Casey, il a déclaré avoir « changé d’avis » après avoir lu l’« audit national » sur les « grooming gangs ». Jusqu’alors, il craignait qu’une telle enquête ne soit instrumentalisée par l’extrême droite, en pointe sur ce sujet.

Vers une enquête publique nationale

Le premier ministre a donc confirmé dimanche le lancement d’une enquête publique sur ces gangs pédocriminels, qualifiant cette décision de « bonne chose à faire ». Le ministère de l’Intérieur a précisé qu’une opération policière nationale allait être lancée pour retrouver d’éventuels membres de ces réseaux. Cette initiative permettra également de rouvrir des enquêtes classées sans suite.

L’enquête sera statutaire, ce qui signifie que les enquêteurs disposeront de pouvoirs étendus pour obliger témoins et institutions à coopérer, notamment en matière de divulgation de preuves. Elle visera à établir les responsabilités, avant de formuler une série de recommandations pour éviter que de tels crimes puissent se reproduire.

Ce dossier très sensible est revenu dans l’actualité en janvier dernier, lorsque Elon Musk a accusé Keir Starmer d’avoir permis à des « groupes de violeurs d’exploiter des jeunes filles impunément ». L’affaire est d’autant plus explosive qu’elle touche à des questions ethniques, de nombreux auteurs des crimes étant issus de minorités d’origine pakistanaise. Un sujet régulièrement repris par l’extrême droite britannique, qui dénonce l’inaction des pouvoirs publics et une justice laxiste.

Des décennies d’abus passés sous silence

Les faits remontent aux années 1990. Des groupes d’hommes, souvent d’origine pakistanaise, ont ciblé des jeunes filles blanches, souvent issues de milieux précaires, dans plusieurs villes anglaises. Plus de cent hommes ont été condamnés à ce jour, et le nombre de victimes se compte en milliers.

À Rotherham, les premiers signalements remontent à 2001 : des chauffeurs de taxi, suspectés d’avoir récupéré des jeunes filles dans des foyers pour les abuser, avaient été identifiés par la police et le conseil municipal. Mais les premières condamnations n’ont eu lieu qu’en 2010, et les plus récentes datent de 2024, pour un total de 61 condamnés.

C’est en 2011 que le Times révèle l’ampleur du scandale, à travers une enquête choc dénonçant l’abandon de centaines, voire de milliers de jeunes filles, par les autorités. Les journalistes montrent que la police et les services sociaux avaient reçu de multiples signalements mais n’avaient pas réagi. Le système judiciaire lui-même a été défaillant.

En 2014, l’enquête menée par le professeur Alexis Jay confirme l’ampleur du drame : 1400 enfants ont été abusés à Rotherham entre 1997 et 2013. D’autres rapports suivront, montrant que les autorités ont minimisé les faits, voire blâmé les victimes elles-mêmes.

Un phénomène toujours présent

Depuis 2013, dix rapports officiels ont été publiés sur ce sujet. Outre Rotherham, ils concernent des villes comme Birmingham (2010), Rochdale (2013), Oxfordshire (2015), Oldham (2019 et 2022), ou encore Telford (2022).

Mais le phénomène perdure. En 2023, un rapport gouvernemental dénombrait encore près de 700 nouvelles infractions liées à l’exploitation sexuelle en bande organisée. Ce fléau ne relève donc pas seulement du passé, mais reste une menace bien présente.

En janvier 2025, le gouvernement avait déjà annoncé une enveloppe de cinq millions de livres pour soutenir les enquêtes locales sur ces gangs. Celles-ci pourront désormais être intégrées à l’enquête nationale qui vient d’être annoncée.

Des procès en cours

Toujours ce lundi, trois hommes ont comparu devant la justice, accusés d’avoir violé une adolescente à Rotherham entre 2008 et 2010. Vendredi dernier, sept autres ont été reconnus coupables à Rochdale des viols de deux jeunes filles de 13 ans, transformées en esclaves sexuelles.

Durant le procès, le procureur a décrit en détail les sévices infligés à ces adolescentes entre 2001 et 2006 : des rapports imposés avec plusieurs hommes le même jour, dans des appartements insalubres, sur des matelas sales, ou encore dans des voitures et entrepôts désaffectés. En échange, elles recevaient drogues, alcool, cigarettes. L’une d’elles, placée à l’époque dans un foyer, a témoigné que les services sociaux l’avaient traitée de « prostituée » au lieu de la protéger.