«Pourquoi François Bayrou n’a jamais trouvé le soutien de l’opinion qu’il cherchait»

Frédéric Micheau est directeur général adjoint de l’institut de sondage OpinionWay. Dernier ouvrage publié : Le gouffre démocratique : les gouvernants et l’opinion (éditions du Cerf, 2024, 216 pages).


Depuis sa nomination à Matignon jusqu’au vote de confiance perdu qui l’a conduit à remettre sa démission au président de la République, François Bayrou n’a cessé de rechercher l’appui de l’opinion publique. Comme son prédécesseur immédiat, il espérait que ce soutien permettrait de compenser l’absence de majorité à l’Assemblée nationale et constituerait un argument de poids pour convaincre les députés de se ranger derrière ses positions. Certes, la liberté de conscience du législateur l’autorise, et parfois lui commande, d’aller à l’encontre d’une volonté majoritaire telle qu’elle s’exprime dans les sondages. Mais le personnel politique est naturellement incité à rechercher l’accord de la majorité, s’opposer à l’opinion constitue toujours un comportement risqué, qui peut être durement sanctionné dans les urnes.

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À défaut de pouvoir imposer sa volonté à un hémicycle indocile, se prévaloir du soutien de l’opinion aurait pu conférer au premier ministre une tutelle protectrice à même de retenir les bras multiples qui conspiraient pour l’abattre. Bref, dans l’exercice du pouvoir, François Bayrou épousait une vision très classique de l’opinion publique, conçue à la fois comme une arme et comme une armure. Et si ces fonctions ne pouvaient être assurées, prendre à témoin l’opinion en lui tenant un discours de vérité obligerait chacun à prendre ses responsabilités devant l’histoire ou, à plus brève échéance, devant les électeurs.

Pour ces différentes raisons, le premier ministre s’est appliqué avec constance à parler à l’opinion afin de conquérir son adhésion. Cela s’est traduit d’abord par la volonté affichée de mieux l’écouter. Dès sa prise de fonction le 13 décembre 2024, il dénonçait le « mur de verre qui s’est construit entre les citoyens et les pouvoirs » en proclamant la nécessité de le faire tomber. Lors de son discours de politique générale, il annonçait son intention d’exhumer et d’analyser les cahiers de doléances rédigés dans le sillage de la crise des Gilets jaunes.

Cette posture d’écoute s’est doublée de l’affirmation de la nécessaire participation des citoyens aux décisions qui engagent l’avenir de la Nation. Cette méthode, résumée par le slogan « jamais sans les Français », a émaillé la plupart de ses prises de parole : « Ce sont des problèmes si graves que si on veut les résoudre contre les Français et sans s’occuper d’eux en leur imposant par l’épreuve de force, on n’y arrivera pas » (BFMTV, 27 mai 2025), « Seule l’adhésion des Français peut changer les choses » (Le Parisien, 25 août 2025), (TF1, 27 août 2025) …

Pourtant, malgré leurs formes diverses, ces tentatives pour se concilier l’opinion se sont soldées par un échec patent. François Bayrou quitte la rue de Varenne entaché du titre de premier ministre le plus impopulaire de toute la Ve République.

Frédéric Micheau

François Bayrou a aussi cherché à s’adresser directement à l’opinion afin de lui faire prendre conscience, en l’informant, de la gravité de la situation de la dette. Divers canaux de communication ont été activés. Tous visaient à bâtir une relation de proximité immédiate avec l’opinion, sans passer par le filtre contraignant des grands médias, des vidéos quotidiennes sur YouTube, un podcast, la relance de la plateforme gouvernementale citoyenne Agora, la création d’une adresse électronique pour « poursuivre le dialogue avec les Français »

Pourtant, malgré leurs formes diverses, ces tentatives pour se concilier l’opinion se sont soldées par un échec patent. François Bayrou quitte la rue de Varenne entaché du titre de premier ministre le plus impopulaire de toute la Ve République. En dépit de son activisme, François Bayrou n’a donc pas échappé aux défaveurs de l’opinion, un phénomène qui devient chronique. Depuis Jean Castex, aucun des premiers ministres n’a bénéficié - ne serait-ce qu’un seul mois - d’une cote de popularité majoritaire. L’état de grâce, cette période transitoire de bienveillance de l’opinion à l’égard du nouveau titulaire de Matignon, a disparu. D’emblée, François Bayrou a dû affronter la défiance majoritaire de l’opinion, qui n’est allée qu’en se renforçant.

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Pire encore, l’opinion a exprimé avec force son désaccord avec sa politique destinée à réduire la dette, objectif dont les Français comprennent pourtant l’impérieuse nécessité. Le plan budgétaire qu’il a annoncé a été interprété comme une répartition inéquitable des efforts à consentir. Amplement rejetée, la suppression de deux jours fériés a constitué le principal point de cristallisation du mécontentement.

Dès lors qu’elle refusait ce qu’il était envisagé de lui imposer, l’opinion ne pouvait qu’entamer un bras de fer avec François Bayrou et manifester son souhait de le voir quitter le pouvoir. En dépit des risques qu’elle présente, la censure du gouvernement est alors apparue à une majorité de Français comme le meilleur moyen de congédier le locataire de Matignon. En levant les dernières préventions des députés d’opposition, ce pouce baissé de l’opinion a sans doute facilité le vote qui a précipité la chute du premier ministre.

Ainsi, alors même qu’il souhaitait s’en faire une alliée, François Bayrou s’est aliéné l’opinion jusqu’à en devenir l’antagoniste. Comment comprendre cette absence de résultats aux efforts de communication déployés ? Dévitalisée par des décennies de crise démocratique, la parole des responsables politiques serait-elle devenue inaudible ? L’opinion se serait-elle réfugiée dans une surdité volontaire pour échapper au verbiage manipulatoire des éléments de langage ? Les bords opposés du gouffre démocratique, qui ne cesse de se creuser entre les gouvernants et l’opinion, se seraient-ils éloignés au point de rendre désormais impossible tout dialogue ?

Les causes premières de cette absence de réaction de l’opinion tiennent d’abord au locuteur. Sans doute les conditions politiques de la nomination de François Bayrou ont-elles réduit sa légitimité auprès de segments entiers de l’opinion. Les électeurs du RN estiment que la victoire leur a été volée par les modifications de l’offre électorale imposée par le front républicain dans l’entre-deux tours des élections législatives de 2024, tandis que ceux du NFP ne comprennent pas le refus d’Emmanuel Macron de nommer Lucie Castet à Matignon alors que leur coalition représente les plus gros effectifs du Palais Bourbon. Ajoutons que l’affaire de Bétharram a certainement contribué a fragilisé la réception du discours du maire de Pau. Les maladresses de son expression ont probablement affaibli la portée de son propos en suscitant crispation et susceptibilité.

Développer un discours rationnel et pédagogique en direction de l’opinion exige du temps et des relais politiques, deux ressources dont le premier ministre ne disposait pas véritablement

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Plus récemment, le fond du discours tenu a pu être préjudiciable. Pourquoi demander un vote de confiance sur un diagnostic - la gravité de l’endettement de la France - qui fait consensus ? Comme la dissolution en 2024, la justification de cette décision n’a pas été comprise par les Français et a ajouté de la confusion alors même qu’elle se présentait comme une clarification. Dès lors, le recours à l’article 49.1 a logiquement été perçu davantage comme une manœuvre tactique que comme un acte de bravoure.

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Enfin, des causes plus profondes qui dépassent la stricte responsabilité de François Bayrou ont sans doute fait leur œuvre. Dans le paysage médiatique actuel, l’expression de toute personnalité politique se heurte invariablement à un soupçon pointilleux concernant ses intentions réelles, qui sont supposées ne relever que de l’intérêt électoral ou de l’ambition personnelle. Ajoutons que développer un discours rationnel et pédagogique en direction de l’opinion exige du temps et des relais politiques, deux ressources dont le premier ministre ne disposait pas véritablement.

De l’incapacité de François Bayrou à se faire entendre de l’opinion, celui ou celle qui lui succédera tirera sans doute des leçons pour conduire son action. Dans une Assemblée nationale fragmentée, le pragmatisme impose de rechercher en priorité l’accord ou la neutralité des députés pour assurer la stabilité gouvernementale. Mais l’appui de l’opinion publique demeure un concours puissant dans l’exercice démocratique du pouvoir, qu’il est sain et plus que jamais nécessaire de rechercher.