Retraites : qu’est-ce que la «prime» pour les seniors, cette proposition nébuleuse avancée par François Bayrou ?

François Bayrou avait promis de se tenir à l’écart du «conclave» sur les retraites, laissant les partenaires sociaux à la manœuvre. Il sera finalement intervenu deux fois. Une première fois au tout début de la concertation, lorsque le premier ministre avait fixé l’équilibre financier du régime comme cadre des discussions. Et une deuxième fois à la toute fin : à la veille du dernier jour de négociations ce mardi, le maire de Pau a proposé aux syndicats et au patronat «l’idée» d’une «prime» pour les salariés seniors, comme il l’a confirmé lundi lors d’un déplacement au Salon aéronautique du Bourget.

Cette mesure doit s’attaquer au problème du faible taux d’emploi des seniors, l’un des nombreux thèmes abordés au cours des longs mois de négociations entre partenaires sociaux, démarrées fin février. Elle s’adresse aux seniors qui «décident de rester au travail» même s’ils ont atteint l’âge d’ouverture de leurs droits. Ceux-ci percevraient «une partie de (leur) retraite en plus de (leur) salaire». Il s’agit là, selon François Bayrou, d’un «encouragement à l’activité», qui serait «de nature à faire changer le pourcentage des personnes restant au travail», conduisant ainsi à «un meilleur équilibre financier» du système de retraite. En effet, «il y a une prime et en même temps des économies puisqu’on ne verse pas la retraite», a souligné le locataire de Matignon.

Des contours à préciser

«C’est une proposition que j’ai faite individuellement à chacun des protagonistes» et «je suis persuadé que tout le monde a à y gagner», s’est félicité le premier ministre. Interrogée sur le sujet au micro de RTL ce mardi matin, la numéro un de la CFDT, Marylise Léon, a assuré qu’il n’y avait «pas plus d’éléments à ce stade». «Si j’ai bien compris, c’est différent du cumul emploi-retraite», a-t-elle avancé. Instauré en 1982, ce dispositif permet à un assuré de toucher sa pension en plus de la rémunération liée à l’activité qu’il poursuit. Ce cumul emploi-retraite est dit «intégral» lorsque l’assuré en question a pris sa retraite en ayant droit au taux plein.

A priori, la différence se joue au niveau du montant versé au senior. Dans le cadre du cumul emploi-retraite, le salarié liquide ses droits à la retraite et peut donc toucher l’intégralité de sa pension s’il a droit au taux plein, avant de poursuivre ou de reprendre une activité rémunératrice. Avec la «prime» voulue par le premier ministre, le travailleur ne liquide pas ses droits à la retraite. Il poursuit son activité et ne touche qu’une «partie de (sa) retraite». D’où l’idée «d’économies» évoquée par François Bayrou, puisque les pensions ne sont pas entièrement versées.

Rendu plus attractif par la réforme des retraites de 2023, ce système a été jugé trop coûteux par la Cour des comptes dans un récent rapport. Le nombre de bénéficiaires a augmenté de 75% entre 2009 et 2020, pour atteindre 700.000. Les Sages de la rue de Cambon ont préconisé de simplifier et de durcir les règles. Mais en quoi la «prime» proposée par Matignon diffère-t-elle du cumul emploi-retraite ? Contacté, le cabinet du premier ministre reste vague sur les contours de cette proposition, qui sera à «travailler avec les partenaires sociaux» en «coordination avec les dispositifs existants».

«Ce n’est pas chiffré»

Reste que cette proposition de dernière minute a eu le don d’irriter les partenaires sociaux. Pour Amir Reza-Tofighi, président de la CPME, «tout ce qui permet de travailler plus longtemps est bien, mais aujourd’hui, ce n’est pas là le sujet», a-t-il déclaré ce mardi matin au micro de RMC. «Cette prime senior, aujourd’hui, ce n’est pas cela qui nous permettra d’avoir un accord avec les syndicats, pour moi il faut vraiment qu’on trouve un “deal” sur la pénibilité», a-t-il poursuivi. De son côté, Marylise Léon a estimé que la prime senior n’était «pas forcément une mauvaise idée», mais que ce n’était «pas le problème du régime de retraites». «Je suis plus inquiète pour les seniors qui ont entre 58 et 62 ans et qui ne trouvent pas de boulot. C’est ça l’enjeu», a-t-elle jugé. Et d’ajouter : «Un, ça arrive un peu tard. Deux, ce n’est pas chiffré. 

«C’est complètement à côté du sujet», a elle tranché sur Franceinfo la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet, dont le syndicat a quitté le «conclave» en mars dernier. «C’est faire comme s’il y avait des salariés seniors qui choisissaient de partir avant l’âge légal de départ en retraite. C’est faux», a-t-elle rétorqué. «Le problème, c’est que les seniors se font licencier par dizaines de milliers à partir de 55 ans, voire de 50 ans», a conclu la cégétiste.

François Bayrou affirme de son côté être disposé à prolonger le «conclave» si nécessaire. «Je leur ai dit, à tous ceux qui sont autour de la table, que s’ils souhaitent quelques jours de plus, pour moi, c’est absolument parfait», a-t-il déclaré. La tendance est plutôt à parvenir à un accord d’ici ce mardi 17 juin au soir. La CFDT et la CPME en ont exprimé le souhait. Pas sûr, donc, que l’idée de «prime» pour les seniors retienne leur attention dans l’immédiat. Elle n’a même «pas été évoquée» par les partenaires sociaux participant au «conclave», a indiqué ce mardi Yvan Ricordeau, négociateur de la CFDT, à la mi-journée de la dernière réunion de la concertation.