«Débloquer la situation». Au micro de France Info ce 8 septembre, le coordinateur de La France insoumise Manuel Bompard a annoncé que le mouvement allait déposer le 9 septembre à l’Assemblée nationale «une motion de destitution du président de la République».
«Je vois que de plus en plus de gens se disent que le président de la République est devenu l’obstacle au déblocage de la situation. Donc c’est lui qui doit partir. La motion de destitution, c’est une manière d’obtenir ce résultat», a plaidé l’élu, qui a fait part de son bonheur d’assister à la probable chute du gouvernement Bayrou ce 8 septembre à l’issue du vote de confiance. Le scénario du départ d’Emmanuel Macron refait surface, puisque à droite, Jean-François Copé, David Lisnard ou encore Valérie Pécresse ont également appelé à la démission du locataire de l’Élysée. Mais cette procédure constitutionnelle, exceptionnelle par sa nature, reste très complexe à faire aboutir.
Passer la publicité«Manquement à ses devoirs»
L’article 68 de la Constitution prévoit les conditions dans lesquelles le Président de la République peut être destitué, «en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat». Le dispositif, récent, a été introduit par la loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution ; il remplace et supprime ainsi le régime de responsabilité pour « haute trahison » hérité de la IIIe République. Le motif de cette procédure de sanction, qui constitue une exception à l’irresponsabilité du président dans les domaines pénal, civil et administratif, reste volontairement flou.
Concrètement, «cet intitulé suppose que c’est aux parlementaires de poser les limites de l’application de la disposition en question. En clair, on parie sur la bonne réflexion des élus», glisse le constitutionnaliste Benjamin Morel. Dans les faits, «le bon usage de la motion n’est donc pas défini par un cadre juridique précis, mais par la procédure très contraignante, qui doit permettre d’éviter qu’on ne démette un président pour tout et n’importe quoi et que la motion de destitution devienne un contrôle politique», poursuit le maître de conférences en droit public.
Trois tours de vote
Et pour cause : la procédure doit passer par de nombreuses étapes avant de pouvoir aboutir. Une proposition de résolution visant à réunir le Parlement en Haute Cour pour statuer sur la destitution du président doit d’abord être motivée et signée par au moins un dixième des membres de l’assemblée dont elle est issue (Assemblée nationale ou Sénat), précise le site vie-publique.fr. Cette étape-là pourrait être facilement franchie, puisque la France insoumise compte 71 députés dans l’hémicycle, soit 12% du total des élus. Mais le bureau de l’assemblée peut d’office écarter les propositions de résolution qui ne satisfont pas aux conditions requises. En 2016, une procédure de destitution visant François Hollande et portée par le groupe Les Républicains pour divulgation d’informations secrètes dans le cadre des opérations militaires en Syrie avait ainsi été déclarée irrecevable par le bureau de l’Assemblée nationale. Ce dernier avait décrété que le texte ne qualifiait pas juridiquement de façon suffisamment précise le manquement reproché, et que les griefs invoqués relevaient davantage d’un jugement politique que d’un manquement avéré.
La proposition est ensuite transmise à la commission des lois, qui vote pour l’inscrire à l’ordre du jour - mais sa décision n’est qu’indicative, puisque l’inscription est du ressort du bureau de la conférence des Présidents qui réunit le Président de l’Assemblée nationale, ses vice-présidents, les présidents des commissions permanentes, les rapporteurs généraux, le président de la commission des affaires européennes et les présidents des groupes. La conférence des présidents peut faire avorter le processus en s’abstenant de l’examiner dans les 13 jours requis après le dépôt ou en refusant de l’inscrire à l’ordre du jour, rappelle encore Benjamin Morel. «La présidence de la Commission, la conférence des présidents et le bureau peuvent donc exercer un droit de véto et faire mourir la motion», étaye le spécialiste.
Mais si le texte est validé, il doit ensuite être voté par au moins deux tiers des députés pour être adopté. Puis être transmis à l’autre assemblée (ici le Sénat) dans les quinze jours, où le même quorum est requis. Là encore, si la Chambre haute n’adopte pas la proposition, la procédure est alors terminée.
Passer la publicité«Usine à gaz»
Si les deux assemblées approuvent la proposition, celle-ci est transmise à la Haute Cour. Cette juridiction, présidée par le président de l’Assemblée nationale, est composée des membres de l’Assemblée et du Sénat. Elle a pour unique mission de prononcer la destitution du président de la République, et a un mois pour se prononcer. Les deux tiers des membres de la Haute Cour sont requis pour prononcer la destitution du président. Comme pour les étapes précédentes du processus, seuls sont comptabilisés les votes favorables - les délégations de votes sont interdites.
Pendant toute la durée de la procédure, le chef d’État continue d’exercer ses fonctions. Si la motion est adoptée, le président est immédiatement démis de ses fonctions. Le président du Sénat assure l’intérim, et une nouvelle élection présidentielle doit être organisée dans les 35 jours, conformément à l’article 7 de la Constitution. Mais dans les faits, cette voix constitutionnelle, très encadrée, n’a jamais abouti depuis sa création. «Dans l’ensemble du monde occidental, on n’a pas connaissance d’une procédure aussi contraignante. L’article 68 a été créé avec la vocation de ne jamais être utilisé, et la destitution du chef de l’État est dans les faits plus que difficile», étaye Benjamin Morel, qui qualifie aisément l’article 68 «d’usine à gaz».
En 2024, la France insoumise avait déjà tenté de destituer Emmanuel Macron. Elle estimait qu’il avait manqué à ses devoirs en nommant Michel Barnier à Matignon plutôt qu’un Premier ministre qui n’était pas issu du Nouveau Front populaire, arrivé en très courte tête des élections législatives anticipées de juin-juillet 2024. Elle lui reprochait aussi d’avoir pris trop de temps à nommer un successeur à Gabriel Attal. La Commission des lois de l’Assemblée n’avait cependant adopté la proposition de résolution et la Conférence des présidents de l’Assemblée avait refusé de la mettre à l’ordre du jour de l’hémicycle.