En 2024 Descartes redevient ce qu’il fut en son temps : de la dynamite

Une nouvelle édition en Pléiade de l’œuvre du philosophe français vient de paraître. L’occasion de vérifier, à rebours des clichés faisant de lui le porte-parole de la raison et de l’athéisme, combien il estimait au contraire irrationnelle l’idée d’un monde sans Dieu.

Descartes n’est pas celui que vous croyez ! À cette conclusion parvient tout lecteur de la nouvelle édition en Pléiade des œuvres du plus grand des philosophes français. Tous, nous conservons en l’esprit une série de clichés scolaires le concernant. « Cartésien » : quel mauvais adjectif pour le décrire, lui et sa pensée ! Cet adjectif dit le contraire de ce que Descartes et son œuvre exposent. Ni l’homme ni ses écrits n’étaient cartésiens, si l’on entend derrière ce mot : rationalisme étroit, athéisme, scientisme borné, positivisme plat avant l’heure. Il faut lire Descartes contre les clichés culturels qui le panthéonisent. Alors, il redevient ce qu’il fut en son temps : un bâton de dynamite.

«Le monde qui fait le malin»

Le monde moderne se revendique athée. Il ira penser qu’une de ses figures tutélaires, Descartes, favorise l’athéisme. Que le rationalisme de Descartes exclut l’idée de Dieu. Que le rejet de Dieu est le bon sens même. Or, fournir des preuves de l’existence de Dieu fut une des préoccupations constantes de Descartes. Ce monde moderne ira imaginer une incompatibilité de principe entre le rationnel et la croyance en Dieu. Il repoussera cette foi dans les ténèbres de l’irrationalisme. Voire dans la nuit de l’obscurantisme. Or, Descartes appuie l’inverse : le monde n’est rationnel que si Dieu existe. Insistant sur la rationalité de Dieu, il suppose l’irrationalité d’un monde privé de Dieu : sans Dieu, le monde n’est ni possible ni pensable. Plus : en quelques pages étonnantes, Descartes avance des justifications scientifiques en faveur de la présence réelle du corps du Christ dans l’hostie.

Le monde moderne, qui se vante de cartésianisme, « le monde qui fait le malin », comme l’appelle Péguy, croit au cerveau, aux neurones et aux synapses, aux logiciels, aucunement en l’âme. On ne la lui fait pas ! L’âme, comme Dieu, n’est qu’une chimère pour intelligences attardées. Qui lui prête foi est un benêt ! Ô, surprise, ô, étonnement : Descartes prend l’âme au sérieux ! Elle existe, elle est réellement distincte du corps, elle est immortelle. Les préjugés du lecteur de 2024, satisfait de sa fausse lucidité, chavirent de désarroi devant cet enchaînement d’idées : plus facile à connaître que le corps, plus évidente que lui, l’âme est la première des connaissances, le support de toutes les autres.

Descartes contre l’air du temps

Rien de plus inacceptable pour notre époque, rien de plus incendiaire, et pourtant rien de plus « cartésien », sans doute aussi rien de plus vrai : que Dieu et l’âme, les deux grands refoulés des derniers siècles, soient des évidences logiques. Qu’ils soient la rationalité. Centrales chez Descartes, les notions de vérité et d’essence, fragilisées par l’éclectisme de saison, honnies par le wokisme, présumées complices du capitalisme, du colonialisme, du patriarcat, du racisme, de l’homophobie, ont désormais mauvaise presse. À travers leur refus, c’est Descartes qu’on assassine.

En parcourant avec liberté cette édition décisive, charpentée par le maître incontestable des études cartésiennes, Denis Kambouchner, l’on retrouve dans sa vitalité ce que nous avons abandonné : la vérité, l’essence, l’âme, Dieu. Contre le relativisme, la déconstruction, le wokisme, l’œuvre de Descartes est l’asile de la foi en la vérité et en la raison, comme les monastères du haut Moyen Âge furent, par gros temps barbare, celui de la culture antique. Descartes, étonnant dès qu’on le détache des rets du cartésianisme, est notre recours : il permet de penser en opposition à l’air de notre temps.