Nous y étions : la soirée du Figaro Histoire sur la «fabrique du mensonge» nazi
Salle remplie à nouveau à L’Arlequin (Paris VIe) pour cette soirée du Figaro Histoire qui commença par la projection du film La Fabrique du mensonge, fresque soignée sur l’orchestration de la propagande nazie par le Führer et son ministre. Le film fascine et déroute. Les acteurs ressemblent d’assez loin à leur personnage — Goebbels était bien un dandy, mais était-il aussi hystérique ? Hitler est grand, ce qui réduit trop les contrastes. Mais peu importe : la mise en scène hypnotise. On ne sait pas si Goebbels claquait vraiment les portes en criant comme un régisseur en burn-out, mais l’effet dramatique est là. Les années passent dans la paix puis la guerre, et avec elles progresse un mensonge de plus en plus pervers à destination des foules. C’est haletant et un peu inquiétant, comme il se doit, mais cela va plus loin qu’une simple (et simpliste) psychiatrisation des personnes : on perçoit les enchaînements politiques qui mènent à l’abîme de 1945. La monstruosité est progressive, le réalisateur Joachim Lang l’a parfaitement compris.
Après les acteurs, ce fut au tour des historiens de parler, montant sur scène pour une table ronde. Trois fines lames, auteurs de livres remarqués sur la période : Éric Branca, Henri-Christian Giraud et Jean-Christophe Buisson, directeur adjoint du Figaro Magazine. Branca et Buisson attaquèrent le sujet à la racine : le film commence trop tard. Rien sur les années 1920, rien sur le moment où Goebbels n’était pas encore ministre, mais seulement un jeune homme exalté qui écrivait dans son journal que Hitler était « l’instrument naturel et créatif d’un destin déterminé par Dieu ». Ce n’est pas rien, c’est même là que tout s’invente. Le film, par ailleurs bien ficelé, nous montre une fabrique déjà lancée, sans les plans de montage. Giraud embraya sur la géopolitique de la Seconde Guerre mondiale, où tous les intervenants firent preuve d’une instructive hauteur de vue : Staline n’était-il pas le grand vainqueur, les autres chefs d’État morts ou remplacés dès la signature de la paix ? Pourquoi Hitler s’était-il entêté et avait-il ouvert lui-même un second front qui le perdrait ? On aurait pu habiller nos intervenants de gros manteaux et se croire dans le patio du palais de Yalta avec ses trois grands hommes en négociations, n’était la présence de notre directrice adjointe Isabelle Schmitz en fin et pertinent maître de cérémonie, qui amena le débat sur la poursuite de la mystification politique post 1945 : c’est le communisme qui reprit le flambeau en la matière, avec, entre autres pratiques, le culte de la personnalité et l’étouffement de la vérité. Un antifascisme devenu lui-même totalitarisme.
Hélie de Saint Marc : survivre à Buchenwald
Un moment suspendu suivit, après la présentation du Figaro Hors-Série consacré à l’année 1945 : la lecture d’un entretien exceptionnel d’Hélie de Saint Marc par le comédien Simon Volodine. Sobre, intense. Saint Marc, rescapé de Buchenwald, ne juge pas, il scrute. Il évoque le bien et le mal non pas comme deux camps distincts, mais comme des lignes de faille à l’intérieur de chacun, le bourreau comme le déporté. Ce qu’on admire le plus chez lui, c’est ce calme étrange face à l’inacceptable, cette foi qui ne justifie rien mais éclaire tout, surtout les zones grises.
Le buffet vint enfin. On se fournit en anciens ou nouveaux numéros des Figaro Hors-Série ou Figaro Histoire, on fit signer leurs livres aux conférenciers, on se demanda si Volodine pourrait adapter Saint Marc à la Comédie-Française, on but du vin bien sûr. On se sentit concerné, sérieux, le thème du film en tête. Mais aussi ragaillardi d’être un peu plus lucide sur la manipulation en politique. On lia évidemment l’actualité à ce que l’on venait d’apprendre. Qui dirige la fabrique du mensonge aujourd’hui ? Ach, vaste sujet.
Le Figaro Hors-Série 1945, la Chute, les secrets de la victoire, le crépuscule des damnés , est disponible en kiosque et sur Le Figaro Store .