Curieuse entrée en matière. Dans la cour de récréation, Wei balance un ballon de basket sur la nuque d’un camarade en train de s’exercer aux barres parallèles. Pour se faire pardonner, il invite Shuo chez lui pour partager des jeux vidéo. Les parents proposent à l’adolescent de dîner avec eux. Shuo, discret et laconique, accepte poliment. Quel accueil ! On voit qu’il n’a pas l’habitude. Il n’y a qu’à observer sa façon de se servir des sauces. Les Tu, bien élevés, ne disent rien. Madame lui offre même des Tupperware remplis des restes. C’est que Shuo en a gros sur le cœur. Il a perdu sa mère quand il avait 10 ans et son alcoolique de père n’hésite pas à le rouer de coups - sur son corps, des bleus en attestent.
Le couple le prend sous son aile. Un gamin qui étudie avec sérieux, cela les change de leur nigaud qui ne songe qu’à devenir escrimeur professionnel. Wei est insolent et paresseux. Shuo est sérieux et délicat. Avec M. Tu, qui est biologiste, il partage l’amour de la musique classique, s’extasie devant Le Clavier bien tempéré. Écouter l’épouse, ancienne hôtesse de l’air, raconter ses voyages et ses regrets ne l’ennuie pas une seconde. Wei commence à être jaloux. On le serait à moins. À noter, l’excellente scène de dispute autour de la lampe de chevet qu’ils allument et éteignent à tour de rôle.
Passer la publicitéLe rôle des repas
On devine le propos de Brief History of a Family, un premier film de Jianjie Lin : différences de classe, inconnu s’immisçant dans un milieu qui n’est pas le sien. Inutile de convoquer Plein soleil, Théorème ou Six degrés de séparation. Le réalisateur chinois se suffit à lui-même. Il choisit la finesse, l’ambiguïté. Élégante et glacée, la réalisation s’accorde à cet appartement qu’on quitte à peine, avec son aquarium, ses baies vitrées, ses miroirs, ses tables en verre. Un week-end dans un hôtel de luxe compliquera encore les choses. Le cinéaste montre une Chine inhabituelle, moderne, confortable, cultivée, se demandant dans quelle université de l’Ivy League envoyer sa progéniture (Stanford ? Non, cela n’en fait pas partie).
Il est aussi question des ravages psychologiques créés par la politique de l’enfant unique. Les dialogues sont pleins de points de suspension. Les personnages sont souvent présentés au milieu d’un cercle, comme si on les examinait dans un microscope. Il y a des ralentis, un duel où les parapluies remplacent les épées, une arête coincée dans la gorge, un gâteau d’anniversaire constellé de gouttes de sang. Comme chez Chabrol, les repas jouent un grand rôle. Ce Shuo est-il un malheureux, un intrigant, un imposteur ? Le film se garde bien de fournir une réponse ferme. Les rapports se livrent à fleurets mouchetés, avec un détachement souverain, le calme qui précède les tempêtes. Les détails justes abondent : là-bas aussi, les élèves parlent de Harry Potter . La mondialisation n’est pas un vain mot. Le trouble s’installe. Il poursuit le spectateur longtemps après le générique de fin. On en sort avec les Variations Goldberg de Bach en tête. Jianjie Lin a l’avenir devant lui.
La note du Figaro : 3/4