Après deux ans de guerre, le Soudan connaît "la pire catastrophe humanitaire au monde"
Le 15 avril 2023, à l'aube, des détonations retentissent en plein cœur de Khartoum, la capitale du Soudan. C'est le début de la guerre civile. D'un côté, l'armée soudanaise, sous les ordres du général Abdel Fattah al-Burhane. De l'autre, la milice paramilitaire des Forces de soutien rapide (FSR), menée par Mohamed Hamdane Daglo, dit "Hemedti".
Deux ans plus tard, la guerre fait toujours rage. Londres accueillait mardi une réunion internationale – à laquelle la France et l'Union européenne participaient –dans l'espoir de trouver une solution pour un cessez-le-feu. Car, alors que le conflit continue de s'enliser, le pays se trouve plongé dans "la plus grave crise humanitaire du monde", selon les Nations unies.
Un pays morcelé en plusieurs fronts
Précipitée par les ambitions rivales d'Abdel Fattah al-Burhane et de "Hemedti", les deux généraux putschistes à l'origine du coup d'État contre le président Omar el-Béchir le 11 avril 2019, la guerre s'est rapidement étendue à tout le pays, le morcelant en plusieurs fronts.
Dans les premiers mois du conflit, l'armée régulière se cantonne dans une poignée de bases militaires dans l'Est et à Khartoum, tandis que les FSR s'implantent dans le Sud et l'Ouest, notamment dans la région du Darfour et dans l'État d'Al-Jazira. Jusqu'en septembre 2024, quand les troupes d'Abdel Fattah al-Burhane décident de partir à l'offensive et de se lancer à la conquête des zones qui échappent à son contrôle.
Elles regagnent alors du terrain dans l'État de Sennar, à la frontière éthiopienne, puis dans celui d'Al-Jazira, avant de parvenir, finalement, à reprendre Khartoum. Le 26 mars dernier, le général Al-Burhane apparaît ainsi triomphant sur le tarmac de l'aéroport international de la capitale. Quelques jours plus tard, le 6 avril, les paramilitaires reconnaissent avoir cédé leurs positions.
Mais si l'événement représente une victoire symbolique, il ne marque cependant pas la fin des combats. Ces derniers se poursuivent toujours "autour de la capitale", note Bastien Renouil, correspondant de France 24 dans la région, "avec des roquettes régulièrement tirées sur des habitations civiles, faisant de nombreux morts et blessés".
"Les affrontements se sont déplacés dans l'Ouest et se concentrent aujourd'hui dans le Darfour, autour de la ville d'El-Facher", précise-t-il. Alors que cette région de la taille de la France est majoritairement aux mains de la milice paramilitaire des FSR, cette ville est le dernier bastion échappant encore à son contrôle.
Les FSR y multiplient ainsi les frappes visant des hôpitaux, marchés et autres infrastructures vitales, face à l’armée régulière, épaulée par des milices locales.
Dimanche, les FSR ont par ailleurs annoncé la prise du camp de Zamzam, situé à 12 kilomètres au sud d’El-Facher, qui abrite près de 700 000 déplacés déjà en proie à la famine. "Au moins 500 personnes sont mortes ou ont été blessées, certaines ont été kidnappées et plusieurs dizaines de milliers auraient fui, en plein désert", explique Bastien Renouil.
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Une catastrophe humanitaire d'une ampleur sans précédent
Cette dernière attaque illustre la crise humanitaire dans laquelle la guerre a précipité le pays – "la plus grande au monde", selon l'ONU.
Les combats ont provoqué "la crise de déplacement la plus importante et la plus rapide au monde", soutient Mamadou Dian Balde, directeur régional du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) pour l'Afrique de l'Est, la Corne de l'Afrique et la région des Grands Lacs. Plus de 13 millions de personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, ont fui leur foyer, selon l'ONU, dont près de quatre millions sont réfugiées dans les pays voisins.
Au total, "trente millions de personnes, soit les deux tiers de la population, ont besoin d'assistance humanitaire", ajoute Bastien Renouil. "Quand on va en direction de Khartoum, tous les hôpitaux ont été détruits ou pillés. Aujourd'hui, il n'y a plus que deux hôpitaux qui fonctionnent aux abords de la capitale pour des millions de personnes en attente de soins", poursuit-il. "L'éducation est aussi dans un état catastrophique car les écoles ont été détruites ou transformées en camps de déplacés. Et partout, la nourriture manque."
Le Soudan est actuellement le seul pays du monde officiellement en proie à la famine, principalement dans la région du Darfour et dans l'État du Kordofan du Sud. Au total, la moitié des 48 millions de Soudanais sont au bord de la famine, selon l'ONU. Pendant ce temps, des maladies comme le choléra, la dengue et le paludisme se propagent.
"Aucun des acteurs de ce conflit ne respecte les règles humanitaires internationales, ils visent les civils et des infrastructures vitales", dénonce ainsi Alyona Synenko, porte-parole Afrique pour la Croix-Rouge. "C'est pour cela que le bilan humain est ce qu'il est. Sans hôpitaux, sans eau potable, la situation n'est plus vivable."
Torture et viols de masse
En parallèle, les ONG de défense des droits humains dénoncent régulièrement depuis deux ans des crimes de guerre et potentiels crimes contre l'humanité perpétrés par les deux camps : enfants enrôlés de force, viols de masse, villages brûlés, bombes lâchées sur des marchés…
D'après l'Armed Conflict Location & Event Data, organisation internationale indépendante spécialisée dans la collecte et l'analyse de données des conflits, l'automne 2024 a ainsi été particulièrement marqué par une flambée d'attaques : plus de 1 000 incidents violents ont été enregistrés par l'ONG en septembre et octobre.
De son côté, un rapport d'Amnesty international publié jeudi confirme l'usage systématique des violences sexuelles comme arme de guerre par les Forces de soutien rapide autour de Khartoum, dans l'État d'Al-Jazira et au Darfour, rapportant notamment des cas d'esclaves sexuelles ou de viols en réunion. "Les FSR ont perpétré des violences sexuelles généralisées dans les villes et villages du Soudan dans le but d’humilier, asseoir leur pouvoir et déplacer les communautés", écrit l’ONG.
En octobre dernier, une mission d’enquête internationale indépendante de l’ONU sur le Soudan avait déjà signalé une escalade des violences sexuelles, "des viols, de l’exploitation sexuelle et des enlèvements à des fins sexuelles, ainsi que des allégations de mariages forcés et de traite d’êtres humains". Les FSR avaient qualifié les conclusions de l’ONU de "propagande sur les réseaux sociaux".
Face aux combats, aux frappes aériennes et à ces violences, le bilan humain est lourd, déplorent unanimement les ONG de défense des droits humains. Mais la difficile collecte des données le rend difficile à évaluer. En février, les Nations unies estimaient que plus de 18 800 civils avaient été tués depuis le début de la guerre. De son côté, la London School of Hygiene & Tropical Medicine estimait à au moins 61 000 le nombre de morts à Khartoum en novembre 2024.
"Certains pensent que le nombre est de 150 000 morts" dans tout le pays, lâchait, il y a déjà un an, l’envoyé spécial américain pour le Soudan, Tom Perriello.
"Il est impossible de donner un chiffre fiable. Ceux qui auraient pu effectuer ce décompte sont eux-mêmes morts ou déplacés", insiste Nathaniel Raymond, directeur exécutif du laboratoire de recherche humanitaire de l'université américaine de Yale, interrogé à ce sujet par la revue Science.
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Un besoin urgent de financements
Face à cette situation, les besoins de financements pour l'aide humanitaire sont plus urgents que jamais. "Il y a énormément de crises humanitaires qui ont besoin de notre attention", affirme Alyona Synenko, de la Croix-Rouge. "Et la baisse des subventions de l'aide humanitaire, notamment américaine, rend la situation très inquiétante pour le Soudan et le maintien des opérations. Les besoins sont de plus en plus importants, alors que l'aide est de plus en plus difficile à fournir."
À l'ouverture de la conférence de Londres, plusieurs pays ont annoncé pour plus de 800 millions d'euros de nouveaux financements pour l'aide humanitaire. "Mais l'aide financière ne suffira pas. Elle doit s'ajouter à des efforts politiques de la part de l'armée soudanaise comme des FSR pour permettre l'acheminement de cette aide humanitaire dans l'ensemble du pays."
