Notre critique de Différente, Bridget Jones version Asperger

Le visage fin, les cheveux noirs lissés, une doudoune blanche et un foulard autour du cou, Katia (Jehnny Beth), la trentaine discrète et séduisante, sent bien qu’elle est différente. Cependant, elle fait tout pour se fondre dans le décor.

Brillante documentaliste dans une société de production nantaise, elle mène une vie indépendante dans son appartement cocon. Les relations compliquées sont son lot quotidien. Elle s’en plaint régulièrement à sa bonne copine Marie (Irina Muluile) comme à son psy. Sa mère (Mireille Perrier) vient de temps à autre lui rendre visite.

Avec son minois craquant de Minnie la petite souris, cette jeune femme aussi réservée que décidée possède son franc-parler, et n’aime pas trop changer ses habitudes. Ses rituels la rassurent. En soirée, le bruit très fort et les lumières intenses la gênent. On lui reproche souvent de ne pas s’intégrer à son groupe de travail. Katia travaille sans rechigner dans un open space, même si, dès qu’elle le peut, elle s’enferme dans la petite salle des archives. Elle promène en permanence une petite angoisse en bandoulière qui l’empêche d’être tout à fait sereine.

Tous les moments que je passe avec toi sont tellement remplis

Fred à Katia

Avec Fred (Thibaut Évrard), sa love story fait du « stop-and-go ». Pourtant, au début du film, lorsqu’il revient sonner en bas de son immeuble, elle finit par lui ouvrir sa porte et ses draps. Décidément, ces deux-là sont faits pour s’entendre. « Tous les moments que je passe avec toi sont tellement remplis », confie ce sympathique menuisier charpentier originaire du Conquet. Un jour, au boulot, son chef confie à Katia une mission : procéder à l’interview filmée de la présidente d’une association en lutte contre les troubles du spectre de l’autisme. Katia revient toute chamboulée de cet entretien. Et si elle était, elle aussi, atteinte d’autisme ? Si tel était le cas, comment pourrait le prendre son compagnon, ou même sa mère ?

Crédible et réaliste de A à Z

Après Le Voyage de Fanny (2016), ou Contre toi (2010), Lola Doillon s’attaque au genre de la comédie romantique, qu’elle mêle, avec beaucoup de subtilité, à la découverte par l’héroïne d’un syndrome autistique jamais diagnostiqué. Son film en forme de fragments d’un parcours amoureux reste crédible et réaliste de A à Z. On sent vite que la réalisatrice s’est longuement documentée.

En établissant un pont entre une histoire d’amour et une histoire d’autisme, la cinéaste tisse la matière d’une attachante « rom com » à l’américaine, façon Quand Harry rencontre Sally ou Le Journal de Bridget Jones. On appréciera notamment la séquence endiablée de la danse sous la pluie, phares allumés, au son débridé d’un morceau de heavy metal, sur un rond-point désert, à la nuit tombée. Nos deux tourtereaux, heureux et déchaînés, se croient presque sur le dance floor d’une boîte de nuit façon Pulp Fiction.

Quant à la sensibilité atypique de Katia, l’actrice chanteuse Jehnny Beth (repérée dans l’adaptation du livre de Christine Angot Un amour impossible, par Catherine Corsini, en 2018) s’en empare avec une grande justesse et un engagement total. Elle crève l’écran dans ce récit initiatique qui touche au cœur. Après Nuits blanches à Seattle, voici celles des abords du Conquet…

La note du Figaro : 3/4.