Thaïlande : tout savoir sur la crise politique après la suspension de la Première ministre

Un entretien téléphonique entre la Première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra et l'ancien dirigeant cambodgien Hun Sen a semé la discorde en Thaïlande.

Au cours d'un appel enregistré à son insu puis diffusé, la dirigeante thaïlandaise compare un général de son armée à un "opposant", et utilise le terme "oncle" vis-à-vis de son interlocuteur plus âgé – une marque de politesse courante en Asie, mais jugée inappropriée dans une discussion au plus haut niveau de l'État.

Cet échange téléphonique avait pour objectif d'apaiser les tensions à la frontière cambodgienne. Bangkok et Phnom Penh sont en effet engagés dans un bras de fer depuis la mort d'un soldat khmer, fin mai, dans une zone disputée de la frontière à la suite d'un échange de tirs avec l'armée thaïlandaise.

Violation des "standards éthiques"

Dans ce contexte, les conservateurs ont accusé Paetongtarn Shinawatra d'avoir mis en péril la sécurité du pays. L'intéressée s'est excusée et a dénoncé les manœuvres de Hun Sen, son interlocuteur.

Une trentaine de sénateurs ont déposé une plainte auprès de la Cour constitutionnelle, estimant qu'elle avait violé l'"intégrité" et les "standards éthiques" requis à son poste par la Constitution.

Les juges ont accepté leur requête mardi 1er juillet et décidé de suspendre la Première ministre le temps des délibérations, sans préciser de calendrier. Paetongtarn Shinawatra risque la destitution si elle est reconnue coupable par les juges.

Le Premier ministre cambodgien Hun Manet s'est défendu mardi d'interférer dans les affaires internes de la Thaïlande, et s'est dit prêt à discuter avec un dirigeant détenant "du vrai pouvoir".

Dans la foulée de cette fuite de l'entretien avec Hun Sen, les conservateurs du parti Bhumjaithai ont claqué la porte de la coalition, laissant Paetongtarn Shinawatra avec une majorité tenue au Parlement.

Leur départ du gouvernement conduit à un remaniement que le roi a approuvé mardi, quelques heures avant la suspension de la Première ministre.

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Le vice-Premier ministre assure l'intérim

Mais après la décision des juges, le plan est à revoir.

Le vice-Premier ministre et ministre des Transports Suriya Jungrungreangkit a pris la relève de Paetongtarn Shinawatra, mais il doit être remplacé par Phumtham Wechayachai, futur ministre de l'Intérieur, quand celui-ci aura prêté serment jeudi 3 juillet, selon des spécialistes.

La Première ministre Paetongtarn Shinawatra (à gauche) et le vice-Premier ministre et ministre des Transports Suriya Jungrungreangkit à la Maison du gouvernement à Bangkok, le 7 septembre 2024.
La Première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra (à gauche) et le vice-Premier ministre et ministre des Transports Suriya Jungrungreangkit posant pour une photo de groupe avec des membres du cabinet à la Maison du gouvernement à Bangkok, le 7 septembre 2024. © Manan Vatsyayana, AFP

Dans le nouveau cabinet, Paetongtarn Shinawatra doit également occuper la fonction de ministre de la Culture, ce qui pourrait lui permettre de rester au gouvernement – si ses démêlés avec la justice le lui permettent.

La crise en cours intervient en pleine offensive douanière américaine, qui a mis le gouvernement au devant de décisions cruciales alors que se rapproche la date butoir du mercredi 9 juillet, à laquelle un certain nombre de tarifs douaniers pourraient être mis en place, dont des droits de douane de 36 % pour les produits thaïlandais.

Dans une note parue mercredi, le cabinet Capital Economics prévoit des "répercussions négatives sur l'économie et l'investissement" si la crise s'enlisait. Or, cette situation semble appelée à durer des semaines, voire des mois, le temps que la Cour constitutionnelle délibère sur le cas de l'héritière de la dynastie, qui a longtemps incarné l'alternative au statu quo défendu par l'establishment militaro-royaliste.

Le père et ex-Premier ministre aussi dans la tourmente

Bien que suspendue, Paetongtarn Shinawatra est attendue dans le prochain gouvernement en tant que ministre de la Culture.

Mais selon les analystes, le pouvoir reste concentré autour de son père Thaksin, le clivant milliardaire qui a dirigé le pays de 2001 à 2006.

Le sort du pays est aussi lié à celui de l'ancien Premier ministre qui reste au cœur de l'échiquier politique par le biais de sa fille et du parti qu'il contrôle.

Thaksin Shinawatra, à gauche et la Première ministre nouvellement élue Paetongtarn Shinawatra avant la cérémonie royale de nomination au siège du parti Pheu Thai à Bangkok, Thaïlande, le 18 août 2024.
L'ancien Premier ministre thaïlandais Thaksin Shinawatra, à gauche, embrasse sa fille et la Première ministre nouvellement élue Paetongtarn Shinawatra avant la cérémonie royale de nomination au siège du parti Pheu Thai à Bangkok, Thaïlande, le 18 août 2024. © Sakchai Lalit, AP

Le milliardaire de 75 ans risque jusqu'à quinze ans de prison dans un procès pour lèse-majesté qui s'est ouvert mardi à Bangkok. Une autre procédure judiciaire, pour des soupçons d'un traitement de faveur dont il aurait bénéficié lorsqu'il a purgé une partie de sa peine dans un hôpital, est aussi en cours.

"Comme Paetongtarn Shinawatra est maintenant dans un flou politique prolongé, la Thaïlande aura un gouvernement sans direction", a déclaré à l'AFP l'analyste thaïlandais Thitinan Pongsudhirak, qui prévoit "de l'inertie politique et des directions obscures".

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Nouvelles élections

"Les luttes intestines et les querelles définiront probablement le gouvernement de coalition", a-t-il poursuivi.

Le principal parti d'opposition a réclamé la tenue de nouvelles élections.

Le pays a connu une vingtaine de coups d'État – certains réussis, d'autres avortés – depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, ce qui entretient toujours l'hypothèse d'une intervention de l'armée en cas d'impasse prolongée.

Depuis les élections de 2023, remportées par un parti pro-démocratie depuis dissous, la Thaïlande a connu trois chefs du gouvernement.

L'instabilité politique a affecté les performances économiques du pays, qui affiche un taux de croissance inférieur à ses voisins et concurrents régionaux, comme la Malaisie, le Vietnam ou les Philippines.

Avec AFP