«Bloquons tout» : «Après avoir laissé passer les gilets jaunes, LFI ne veut pas rater le train de la colère»
Antoine Bristielle est docteur en science politique et directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès.
LE FIGARO.- Ce dimanche, Jean-Luc Mélenchon a appelé ses militants à se mettre au service du mouvement «Bloquons tout» pour contrer le budget du gouvernement Bayrou. Quel est donc ce mouvement ?
Passer la publicitéIl est toujours difficile de caractériser les mouvements de ce type, gazeux, aux revendications diverses, peu centralisé et donc sans mot d’ordre commun. De manière générale, il s’agit d’une opposition déterminée à la politique du gouvernement Bayrou.
Cette absence de figure centrale a-t-elle de quoi faire penser aux «gilets jaunes» ?
La structuration du mouvement évoque les «gilets jaunes» : né sur les réseaux sociaux, on ne sait pas très bien qui en est à l’origine. Ces mouvements s’agrègent à des discussions sur les réseaux sociaux - plutôt des groupes sur Facebook s’agissant des «gilets jaunes» et Telegram pour «Bloquons tout». Dans les deux cas, ces groupes ne sont pas nécessairement nationaux ; ils s’organisent par région ou département. Il y a également un lien dans la mise en avant de problématiques économiques, contre la vie chère... Pour autant, on se rappelle essentiellement la puissance des «gilets jaunes», qui est encore loin d’être atteinte par «Bloquons tout».
Dépourvu d’étiquette partisane, «Bloquons tout» agrège plusieurs revendications. La date du 10 septembre rejoint d’autres appels à manifester, ceux des anti-ZFE avec Alexandre Jardin et des anti-pression fiscale avec «Nicolas Qui Paie». Comment expliquez-vous cet amoncellement de revendications ?
La population a atteint un niveau important de déception, de peur et d’inquiétude que les dernières élections - présidentielle ou législatives - n’ont pas permis de tempérer. Nombre de revendications restent dépourvues de débouché politique concret. Le gouvernement Bayrou agit avec difficulté au vu du fonctionnement actuel du Parlement. La France est un peu une cocotte-minute...
Passer la publicitéJean-Luc Mélenchon a toujours été attaché aux liens entre organisations politiques et syndicats et comprenait mal qu’un mouvement comme les « gilets jaunes » puisse éclore en dehors de ces structures. Il s’en était donc tenu à l’écart, l’empêchant d’en récolter le moindre dividende politique
Antoine Bristielle
Chaque rentrée promet d’être tendue sur le plan social. Vous semble-t-il y avoir un climat plus encore propice à la contestation qu’habituellement ?
Toutes les enquêtes démontrent une grande insatisfaction dans le pays. Mais les mouvements sociaux qui fonctionnent naissent plutôt sur des mesures très concrètes - par exemple le mouvement contre la réforme des retraites ou celui des «gilets jaunes» contre la taxe d’Édouard Philippe sur les carburants. «Bloquons tout» se positionne contre un budget tout entier, ce qui est moins facile à saisir. D’un côté, il semble donc peu probable d’aboutir à un mouvement social d’ampleur. Mais de l’autre, les Français ne se sentent plus représentés par leurs institutions - le gouvernement ne s’appuie que sur une minorité d’entre eux -, ce qui peut s’avérer abrasif.
Pourquoi La France insoumise mise-t-elle sur «Bloquons tout» plutôt que d’appeler directement à manifester ?
Au moment des «gilets jaunes», La France insoumise était restée en retrait, sans savoir comment se positionner. Jean-Luc Mélenchon a toujours été attaché aux liens entre organisations politiques et syndicats et comprenait mal qu’un tel mouvement puisse éclore en dehors des structures partisanes ou syndicales. Il s’en était donc tenu à l’écart, l’empêchant d’en récolter le moindre dividende politique. En outre, on a récemment assisté à une rupture assez nette entre La France insoumise et les mouvements syndicaux, en particulier la CGT. Pendant la réforme des retraites, la convergence souhaitée par LFI entre les partis de gauche et les mouvements syndicaux n’avait pas eu lieu, en raison de divergences de vues sur la participation politique et militante. Depuis, Jean-Luc Mélenchon a donc tendance à considérer que ce sont finalement les mouvements sociaux nés en dehors des organisations syndicales qui ont une chance de réussir. Enfin, cela traduit la volonté de LFI de reprendre la main sur le calendrier politique. Depuis les dernières législatives où les Insoumis pensaient former un gouvernement avec le NFP, le parti était dans une situation complexe : leur appel à la destitution d’Emmanuel Macron, par exemple, n’avait pas été suivi par les autres partis...
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«Bloquons tout» est tiraillé entre des appels à rester chez soi pour paralyser l’économie et d’autres appels à manifester physiquement. Comment LFI peut-elle s’imbriquer dans ce clivage ?
Passer la publicitéCe type de mouvements est dénué d’organisation. Tout le monde peut donc proposer son mode opératoire, exprimer ses revendications... D’ailleurs, au cours du mois précédant la première manifestation des «gilets jaunes», il n’y avait pas non plus de consensus sur la méthode à adopter. La France insoumise est née en réaction au Front de gauche de 2012 - qui réunissait les diverses formations de gauche radicale - dans l’ambition de dépasser les partis pour être dans l’entrecroisement entre un parti politique et un mouvement social. Dès lors, il y a une cohérence avec un mouvement par nature gazeux comme «Bloquons tout». De plus, c’est cohérent avec la logique militante de LFI : pour être militant insoumis, il suffit d’entrer son adresse mail sur le site de la formation. La multiplicité des engagements, tant qu’ils vont dans une même direction validée par LFI et Jean-Luc Mélenchon, est donc plutôt plébiscitée.
La coloration politique de «Bloquons tout» pose aussi question. Manuel Bompard a déclaré sur France Info le 18 août qu’il ne croyait pas «que les revendications qui émergent de ce mouvement soient positionnées à l’extrême droite». Qu’en pensez-vous ?
Au début, le mouvement des «gilets jaunes» avait lui aussi tendance à être caractérisé comme un mouvement d’extrême droite. Or les enquêtes sur la sociologie des «gilets jaunes» indiquaient qu’environ six sur dix ne se reconnaissaient ni dans la gauche ni dans la droite, tandis que les autres se reconnaissaient plus dans la gauche que l’extrême droite. La France insoumise souhaite donc éviter de voir ce mouvement discrédité par l’idée selon laquelle il serait sclérosé par l’extrême droite. En outre, quand on regarde les vidéos publiées sur les groupes de «Bloquons tout», la rhétorique est éloignée de celle de l’extrême droite ; elle semble presque «inclusive», assez proche de ce que pourrait déployer LFI.