Notre critique d’Enzo, l’insoutenable chantier intérieur de l’adolescence
Sur un écran noir, des bruits de chantier, de pelles, de pioches et une bétonneuse se font entendre, avec le chant des cigales au fond. Enzo, dernier film du regretté Laurent Cantet, repris et réalisé par Robin Campillo, s’ouvre dans une obscurité sonore qui s’éclaire soudain sous le soleil du sud de la France.
Enzo a 16 ans. Apprenti maçon sur un chantier à La Ciotat, il se sent peu concerné par l’avancement des travaux. Adolescent mutique, poussé en graine trop vite, Enzo (magnifiquement incarné par Eloy Pohu dont c’est la première apparition à l’écran) se caractérise d’emblée par une sorte d’opposition silencieuse.
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Éclats d’enfance
Ce jeune tarde à s’intégrer à l’équipe et agace les autres employés. Parfois des éclats d’enfance passent sur son visage déjà grave. Après une visite du futur propriétaire, qui note le travail approximatif d’Enzo, son chef, furieux, le ramène chez ses parents. Ils habitent dans une luxueuse villa avec vue imprenable. La mère (Élodie Bouchez) se dore au soleil à côté de la piscine. Elle fait promettre à son fils devant son chef qu’il va mettre les bouchées doubles.
C’est en faisant connaissance avec le reste de la famille que l’on comprend le comportement énigmatique de l’adolescent. Pierfrancesco Favino incarne un père à la virilité tranquille, grand bourgeois qui ne comprend pas pourquoi son fils cadet a abandonné un cursus menant aux études supérieures.
Les quelques séquences où le père et le fils discutent laissent voir une incompréhension mutuelle. S’il prend volontiers Enzo dans ses bras, le père lui assène aussi « qu’il n’est qu’un petit bourge qui se raconte des histoires ». Entre résistance passive et entêtement mystérieux, Enzo vit les bouleversements de l’adolescence à bas bruit, sous l’œil lucide et aimant de sa mère. En rupture de ban, il s’accroche à deux collègues de chantier, deux Ukrainiens qui ont fui leur pays. Ces deux-là font souvent la fête sans penser au lendemain, et adoptent ce gamin déboussolé.
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On reconnaît la passion de Laurent Cantet pour l’adolescence. Feu le réalisateur d’Entre les murs (palme d’or à Cannes en 2008) a toujours été attentif à cette période de transition tourmentée et pleine de promesses. Atteint d’un cancer, le cinéaste, disparu à 63 ans le 25 avril 2024, s’est appuyé une dernière fois sur son vieil ami Robin Campillo (120 battements par minute, grand prix du Festival de Cannes en 2017) pour toutes les phases de fabrication. Campillo, qui l’a secondé comme coscénariste et monteur sur sept de ses films, a relevé le défi avec brio, comme s’il s’agissait de « l’aboutissement d’une longue histoire d’amitié ».
Si Cantet a eu le temps de sélectionner les acteurs, il a laissé la réalisation à Campillo, sa santé s’étant brusquement dégradée quelques semaines avant le début du tournage. Enzo porte donc la patte de ces deux cinéastes amis. Ce qui n’en est que plus touchant. Même si Campillo affirme qu’Enzo « reste le film de Laurent Cantet. C’est son projet, sa vision des conflits humains. » Ce film dont le titre de travail était L’Apprenti a parfaitement sa place en ouverture de la Quinzaine des cinéastes. L’adolescence est un chantier dont Cantet et Campillo balisent à merveille les contours.
L’avis du Figaro : +++