Francofolies, Vieilles Charrues, Eurockéennes... Pourquoi le rap s’est imposé dans tous les festivals

Le genre musical est le plus écouté en France. En 2023, huit des dix artistes figurant dans le haut du classement des albums les plus vendus étaient des rappeurs, selon les décomptes du ministère de la Culture. Longtemps considérés comme à part, rap, hip-hop, musiques urbaines s’immiscent partout. Qui s’en étonne encore ? Pas les programmateurs des festivals qui multiplient les invitations aux rappeurs pour renforcer leurs têtes d’affiche cet été.

Le rap est partout, y compris là où on ne l’attend pas. Les Vieilles Charrues, qui se tiendront du 17 au 20 juillet, ont fait appel à Tiakola, Naza, Hamza, Tif, Theodora ou encore Damso. Ces artistes se produiront aux côtés de stars de la variété comme Julien Doré et Solann, voire de l’électro avec Martin Garrix et Offenbach. Les Francofolies, qui engagent les principales têtes d’affiche de la chanson francophone (Clara Luciani, Jean-Louis Aubert, Santa, Véronique Sanson...), misent aussi sur les rappeurs SDM, IAM, Saint Levant, Bekar et Théodort. Les Eurockéennes, initialement à dominante rock, incluent Kalash Théodora, Merveille et Freeze Corleone dans leur programmation. Les Solidays, festival de musique organisé par l’association Solidarité Sida, présente les Black Eyed Peas, Eddy de Pretto ou encore le groupe Justice ce week-end. Même les bonnes vieilles Interceltiques de Lorient s’y mettent -avec modération - en programmant, cette année encore, Krismenn & Shamoniks qui rappent en breton et gallois.

Difficile d’imaginer, quelques années plus tôt, une telle déferlante. « Les rappeurs n’avaient pas leur place en festival il y a encore sept ans », estime Angelo Gopée, directeur général de Live Nation France, société spécialisée dans la production de concerts et tournées. « On ne les invitait pas et on ne les considérait pas. Le rap était perçu comme de la musique marginale. Les programmateurs sont restés bornés trop longtemps sur un style de musique, laissant le genre urbain de côté », précise le patron qui organise depuis 2017 le festival Lollapalooza à Paris. La tendance s’est aujourd’hui inversée. Pour plaire aux plus jeunes, public majoritaire des festivals, il « faut s’adapter à leurs goûts », poursuit-il.

Le Festival We Love Green, à l’hippodrome de Vincennes, accueillait six artistes rap le 6 juin 2025. @sebastiennagy_/We Love Green

« On a passé un cap »

Entre les années 1990, période d’essor du hip-hop en France, et 2015, les rappeurs n’apparaissaient quasiment jamais dans la programmation des festivals. Parmi les rares élus, Suprême NTM s’est produit sur plusieurs scènes estivales, notamment aux Francofolies en 1996. « C’était une anomalie, précise Vivien Becle, cofondateur du Golden Coast Festival à Dijon. Et NTM, c’était parce qu’ils avaient une dimension rock. Les festivals français ont toujours été liés au rock. » Inspirés par ce qu’il se faisait outre-Atlantique, avec la domination de Drake ou encore d’ASAP Rocky, les programmateurs se sont « rendus à l’évidence », sourit Angelo Gopée. « Ils ont longtemps cru que c’étaient les jeunes issus des milieux ruraux et des cités qui écoutaient du rap, alors qu’ils sont tous concernés », analyse-t-il.

Si un festival n’inclut pas de rap dans sa programmation, il ne peut pas s’en sortir

Vivien Becle, cofondateur du Golden Coast Festival

Le Top 50 Spotify France est actuellement inondé d’artistes issus de la scène urbaine. En ce mois de juin, les seize premières places sont notamment occupées par les rappeurs Hamza, Jul, Guy2Bezbar, Werenoi, ou encore le groupe L2B. « Le rap s’est finalement imposé de lui-même dans les festivals généralistes, car c’est la musique la plus écoutée et la plus populaire, juge Vivien Becle. Si un festival n’inclut pas de rap dans sa programmation, il ne peut pas s’en sortir. » Pour la plus grande satisfaction des artistes. « On a passé un cap, se réjouit Favé, 20 ans, trois millions d’auditeurs mensuels sur Spotify. Le hip-hop prend une très grande place et s’est très bien implanté dans les festivals. »

Favé, 20 ans, se produit devant des milliers de fans à We Love Green le 6 juin 2025. @bryankangah/We Love Green

Le jeune rappeur originaire du Val-d’Oise fréquente les scènes estivales depuis 2023. Sa première expérience était au Printemps de Bourges. Cette année, il a lancé sa saison au We Love Green. Le festival parisien, implanté à l’hippodrome de Vincennes, a misé sur une programmation entièrement rap sur la scène principale le vendredi 6 juin. Favé y a croisé TiakolaSDM, ou encore Vald, trois artistes incarnant particulièrement bien la nouvelle génération de rappeurs, mélodieuse et énergique. Sur scène, ils revisitent le genre en invitant des musiciens, des DJ et des chorégraphes. Musicalement, ils se produisent sans playback et jouent parfois avec leur voix en les corrigeant grâce à l’autotune.

Le rap se diversifie

La créativité de ces artistes, a permis d’élargir la communauté des férus de rap. À ses origines, le genre musical, porté par IAM, NTM ou encore Médine se présentait comme une forme de poésie engagée à base de textes bruts déclamés sur un ton âpre et accompagnés de basses lourdes. Trente ans plus tard, « le rap est moins revendicatif qu’avant, moins militant, plus grand public », reconnaît Angelo Gopée. Preuve en est, Favé évite de chanter les « paroles déplacées » de ses morceaux sur scène, car il y a des parents dans le public, n’hésitant pas à laisse des blancs. « Ça reste rare ! Je ne dis pas tant de grossièretés que ça », plaisante-t-il.

Tiakola lance les hostilités le 6 juin au We Love Green. @lou8bet/We Love Green

Les rappeurs mélangent aussi les styles musicaux. La guitare électrique et le violon résonnent dans le dernier album du Marseillais SCH, JVLIVS III : Ad Finem . « Quand vous écoutez Soolking, il a des racines algériennes qu’on ressent dans sa musique, poursuit le directeur de Live Nation France. Les collaborations entre artistes issus de différents courants musicaux se multiplient. À l’instar de l’album Pandemonium du rappeur Vald remastérisé en version techno avec le DJ Vladimir Cauchemar .»

Les festivals 100 % rap

Déjà bien intégrée dans les festivals généralistes, la scène rap voit fleurir des événements qui leur sont dédiés à 100 %. À l’image du Hellfest, Vivien Becle a lancé en 2024 le Golden Coast Festival, un rendez-vous dont la première édition a rassemblé quelque 52 000 personnes en deux jours, en septembre dernier. Cette année, plus de 80 artistes sont attendus au Parc de la Combe à la Serpent de Dijon. Gims, Gazo, Ninho, Niska, ou encore SCH sont annoncés au programme et le cofondateur espère accueillir 75 000 festivaliers sur une période de trois jours.

Lors du premier rendez-vous, Vivien Becle a pu constater la féminisation du public à hauteur de 54 % et un public «très gentil et très agréable, là pour voir les artistes dont il est fan ». Des aficionados venus parfois des quatre coins de la France. Le Golden Coast attire 70 % de visiteurs habitant à plus de 200 kilomètres du site. « Sur un festival généraliste, c’est l’inverse », indique le cofondateur du rendez-vous dijonnais. Concernant la moyenne d’âge, elle était estimée l’année dernière, hors pass culture, à 24 ans : « Elle n’est pas autour de 20 ans comme tout le monde pouvait l’imaginer. Les gens pensaient assister à un festival de gamin. Ça ne l’est pas. » 

Quand on monte un festival de rap, beaucoup de monde se demande “qu’est-ce que c’est que cette merde”

Vivien Becle, cofondateur du Golden Coast Festival

Les parents ne sont pas en reste. « Ils sont obligés de s’intéresser au rap, car leurs enfants en écoutent, ajoute Vivien Becle. Ils leur disent “si c’est ce que t’aimes, tu vas y aller, mais je vais t’accompagner la première fois”.» Le cofondateur du Golden Coast a conscience qu’en raison des nombreux préjugés sur le rap, le comportement de son public peut inquiéter. « On était très attendu sur ce sujet. Quand on monte un festival de rap, beaucoup de monde se demande “qu’est-ce que c’est que cette merde”, pour le dire poliment. On n’a eu aucun souci l’année dernière. Il y a des préjugés qu’on espérait casser et on a réussi à le faire. » 

« Il faut plaire à tout le monde, et pas qu’aux jeunes »

Ces événements dédiés pourraient éviter à terme une surreprésentation du rap dans les festivals généralistes. « Ce n’est pas parce que c’est le genre le plus écouté qu’il ne faut faire que ça, estime Angelo Gopée, organisateur du Lollapalooza. Ou vous faites un festival consacré à ce genre, ou vous vous diversifiez.» Quand il sélectionne des artistes, le directeur général de Live Nation France élabore « un programme qui représente la musique actuelle ». « Il faut plaire à tout le monde, et pas qu’aux jeunes, soutient-il. Dans un festival, vous avez un mélange de jeunes et de moins jeunes. C’est compliqué. Ils n’ont pas la même philosophie et n’aiment pas les mêmes musiques. » C’est pourquoi il a choisi David Guetta, Olivia Rodrigo, Macklemore, Justin Timberlake, ou encore Franglish pour la prochaine édition du festival Lollapalooza les 17, 18 et 19 juillet.

« Que les festivals mettent du rap, c’est normal, ils auraient déjà dû le faire depuis 10 ou 15 ans , poursuit Angelo Gopée. Mais la musique est très large et on ne saurait la réduire qu’au rap. » Pour ce grand passionné de hip-hop, la victoire dépasse le simple genre et s’inscrit dans un mouvement plus large. «Les DJ, le streetwear, le street-art... À travers cette musique c’est toute la culture urbaine qui est reconnue à sa juste valeur et c’est tant mieux. »