Épargne : "Notre empreinte carbone se trouve aussi à la banque !" rappelle François Gemenne
Les investissements des grandes banques dans les énergies fossiles ont augmenté de 20% en 2024, alors qu’ils étaient en recul en 2022 et 2023, déplore François Gemenne sur franceinfo samedi 21 juin. C'est la principale conclusion du rapport Banking on Climate Chaos, publié cette semaine par un consortium d’ONG.
Pourquoi ce revirement, et que faire à notre échelle, face à l'énormité de ces capitaux ? François Gemenne refuse de baisser les bras et appelle tous les épargnants à agir, chacun à son échelle, car, rappelle le professeur, cet argent ne sort pas de nulle part, et on peut flécher son épargne vers des fonds qui favorisent la transition énergétique.
François Gemenne : Les 65 plus grosses banques dans le monde ont financé les énergies fossiles à hauteur de 869 milliards de dollars (756 milliards d’euros). Dans cette somme, 429 milliards de dollars (373 milliards d’euros) ont été consacrés à des projets d’expansion des énergies fossiles, une augmentation d’environ 20% par rapport à 2023. La hausse de 2024 concerne à peu près toutes les banques, à de très rares exceptions près.
Est-ce le cas aussi pour les banques françaises ?
Globalement, oui.
"Seuls, le Crédit Agricole, la Banque postale et le Crédit mutuel, ont diminué leurs investissements dans les énergies fossiles sur la période, investissements d’ailleurs quasi nuls pour les deux dernières."
François Gemenneà franceinfo
Mais clairement, les banques qui investissent le plus dans les énergies fossiles sont les banques américaines, qui occupent les trois premières places de ce triste podium. Les banques françaises pointent autour de la trentième place. Parmi ces 65 plus grosses banques, une moitié est nord-américaine, un quart est asiatique et un quart européen.
Comment expliquez-vous ce revirement ?
Il y a principalement deux éléments. Le premier est de nature économique : la baisse des taux d’intérêt en 2024, qui rend les investissements moins coûteux. C'est pourquoi une mesure qui permettrait de moduler les taux d’intérêt selon la nature du projet, comme l’avait proposé Emmanuel Macron il y a quelques années, serait particulièrement utile. Avec un taux modulable selon la nature du projet, on ferait baisser le coût des investissements dans la transition, tandis qu’on renchérirait celui des investissements fossiles. Mais là-dessus, rien n’a bougé.
"Énormément de gouvernements ont envoyé des signaux contre la transition, et ces signaux ont manifestement été reçus 5/5 par les investisseurs."
François Gemenneà franceinfo
Le deuxième élément est de nature politique. C’est Donald Trump qui relance les forages, la Commission européenne qui hésite sur le Pacte vert... et surtout le texte de la COP29, à Bakou en 2024, qui est incapable de reprendre les termes de l’accord signé à Dubaï l’année d’avant, et qui prévoyait la sortie progressive des énergies fossiles. Ces textes sont importants, puisque ce sont des signaux aux investisseurs, qui indiquent la direction que prendra l’économie mondiale à l’avenir. Si les gouvernements indiquent aux investisseurs que l’avenir sera fossile, les investisseurs vont évidemment suivre.
Face à ces sommes colossales, est-ce que tout ce qu’on peut faire n’est pas un peu insignifiant ?
Je dirais au contraire que ça montre, assez brutalement, le pouvoir de notre argent, parce que cet argent ne sort pas de nulle part, évidemment. Les banques vont investir l’épargne qu’on leur confie, et le montant total de l’épargne, en Europe, est estimé à 35 000 milliards d’euros, dont 6 000 milliards pour la France. Cela veut dire qu’une part considérable de notre empreinte carbone, si on a un peu d’épargne, se trouve à la banque !
"Donc il est plus utile que jamais d’ouvrir les yeux là-dessus et de se renseigner sur ce que finance son épargne, et donc les fonds dans lesquels son argent a été investi. "
François Gemenneà franceinfo
C’est ce que permet notamment un outil en ligne comme myfairmoney.fr, qui permet de voir ce que financent les différents fonds d’investissement. Une fois qu’on s’est renseignés, si le fonds ne correspond pas à ce qu’on veut financer, on peut soit interpeller sa banque, soit changer de banque – il y a d’ailleurs de nouveaux acteurs financiers qui apparaissent sur le marché, pour flécher l’épargne vers la transition.
Est-ce que cela sert vraiment à quelque chose ? Ce n’est pas une goutte d’eau dans l’océan ?
C’est ce que tentent de vous faire croire certains influenceurs écolos des réseaux sociaux. On a vu fleurir, ces derniers mois, plusieurs publications pour vous convaincre que tout ça ne servait à rien, que les épargnants n’avaient au fond guère de pouvoir, etc. Des publications qui cherchaient finalement à décrédibiliser ceux qui essayaient de changer les choses. Je suis absolument effaré de voir de tels plaidoyers pour l’immobilisme parmi des gens qui se prétendent écologistes, et dont la vigueur des critiques est souvent inversement proportionnelle au bilan de leurs réalisations concrètes. Je le répète à nouveau : une des clés de la transition, c’est la finance. Affirmer que son épargne n’a pas de pouvoir, que ça ne sert à rien, c’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire aux industries fossiles.