PORTRAIT. Euro d'athlétisme : "Je ne voulais pas correspondre à un archétype"... Rose Loga, la lanceuse de marteau qui brise les préjugés de sa discipline

Être athlète de haut niveau, mais pas à n'importe quel prix. Telle est la devise de Rose Loga qui participe, dimanche 9 juin, à ses premiers championnats d'Europe. En bonne position pour décrocher à la fin du mois son billet pour les Jeux olympiques de Paris 2024, grâce à son ranking (elle est actuellement 26e mondiale, et les 32 premières sont qualifiées),  Rose Loga n'est pas une lanceuse de marteau comme les autres.

Longiligne et athlétique, féminine et coquette, la lanceuse de 21 ans a toujours voulu s'affranchir des clichés rattachés aux lanceuses, souvent assimilées à des forts gabarits, à la masse musculaire imposante. "Dans mon esprit, le marteau était lié à beaucoup de stéréotypes qui me faisaient peur. Souvent, les femmes qui le pratiquent sont assez fortes physiquement et je ne voulais pas vraiment leur ressembler ou être obligée de prendre de la masse. Je voulais être moi, tout simplement", confie l'athlète, originaire de Mainvilliers, commune de la banlieue de Chartres (Eure-et-Loir), lunettes rondes, cheveux crépus rassemblés en chignon haut, léger maquillage sur les yeux et les lèvres, veste et sac à main en cuir noir. 

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par Rose (@rose.loga)

Sa pratique a ainsi été conditionnée à cette crainte : Rose Loga a toujours refusé que son corps change pour les besoins de son sport. "Si mon corps doit changer, à cause des événements de la vie, c'est normal. Mais je ne voulais pas correspondre à un certain archétype. Je ne l'aurais jamais accepté", tranche l'athlète qui s'est essayée à la discipline pour la première fois à 12 ans, sans pleinement y adhérer.

Des prédispositions pour le marteau

En effet, ses premières séances ne la passionnent pas. "Lors de ma première année en athlétisme, on nous a initiés à toutes les disciplines, dont le lancer. Je n'ai pas trop aimé sur le coup, mais j'avais des prédispositions. On m'a incité à continuer", se souvient la jeune femme. Un an plus tard, ses résultats se confirment et sa progression est fulgurante. Elle passe d'un lancer de 37 à 54 mètres, en seulement cinq mois, "la meilleure performance française de l'année chez les benjamins", se remémore-t-elle tout sourire.

Rose Loga échange avec son coach Baptiste Lacourt, lors de l'épreuve du lancer de marteau à Budapest, pour les Championnats du monde, le 23 août 2023. (HERVIO JEAN-MARIE / AFP)

Sans imaginer une carrière de haut niveau, Rose Loga continue de pratiquer le lancer de marteau avant d'être repérée par la Fédération française d’athlétisme (FFA) lors d'un stage régional. Elle intègre ensuite en 2017 le pôle espoir d'Eaubonne (Val-d'Oise), structure où elle s'entraîne toujours. "Au départ, je n'étais pas forcément pour, car le sport était pour moi un plaisir à partager avec mes amis. Et ce choix me coupait d'eux", souligne-t-elle. Mais avec le recul, Rose ne regrette rien : "Ça a été le meilleur changement d'environnement de ma vie, où j'ai appris à aimer le marteau. J'ai commencé à travailler avec Baptiste Lacourt, qui a été le meilleur entraîneur que j'aurais pu avoir."

Une approche différente de la préparation physique

Cette collaboration est un déclic pour Rose. Grâce à son approche différente, Baptiste Lacourt lui permet de déconstruire cette image de la discipline qu'elle a toujours eue en tête : "Quand j'ai compris sa vision, davantage portée sur la préparation physique en général et non sur de la musculation pure, cela a vraiment déconstruit quelque chose dans ma tête. C'est ce qui m'a permis de prendre un nouveau départ en quelque sorte." Son entraîneur mise en effet sur le rééquilibrage naturel des forces, afin de combler les points faibles. En clair, un travail davantage porté sur la technique et le geste, plus que sur la force. 

"Il ne considère pas qu'il faille être forte pour être forte. Je fais de la musculation, car c'est nécessaire, mais pas dans l'excès. C'est comme cela que j'ai apprécié le marteau."

Rose Loga, lanceuse de marteau

à franceinfo: sport

Depuis ses débuts, Rose a toujours dénoté. "Elle a davantage un physique de triple sauteuse que de lanceuse de marteau. Ce n'est pas le physique le plus commun autour des plateaux de lancer, confirme Baptiste Lacourt, son entraîneur depuis sept ans. La plupart des filles ayant le même gabarit que Rose ne se sont pas essayées au marteau, ou ont été approchées par d'autres sports, alors qu'elles ont des aptitudes". Il loue ainsi ses qualités physiques, son explosivité naturelle et surtout "son côté très aérien lui permettant de réaliser de grands cercles afin d'aller chercher des grandes distances, un avantage indéniable, gage de performance pour l'avenir". 

"Jamais elle sacrifiera son corps pour des performances"

Malgré cette approche singulière, la jeune athlète ne peut faire l'impasse sur la musculation, d'autant plus à un moment où elle talonne les meilleures lanceuses européennes. Vice-championne d'Europe et vice-championne du monde de moins de vingt ans en 2021, elle a battu en janvier son record personnel en atteignant les 72 mètres, distance pouvant la mener sur un podium lors des prochains championnats d'Europe. "Rose commence à prouver que l'on peut lancer loin sans faire de la muscu à haute dose. Une génération d'athlètes avec des morphologies différentes est en train d'arriver. Il y a encore trois ans, tout le monde se ressemblait", constate sa coéquipière d'entraînement à Eaubonne et amie, Xena Ngomateke.

Rose Loga a toujours refusé que son corps change pour les besoins de son sport, ce qui ne l'empêche pas de performer. (HERVIO JEAN-MARIE / AFP)

La montée en puissance de Rose s'est, toutefois, traduite par quelques modifications de son corps, comme le raconte sa coéquipière : "Récemment, lors d'un stage, elle s'est aperçue qu'elle commençait à avoir des trapèzes bien dessinés. Elle était aux bords des larmes, se souvient-elle. Bien qu'elle ait eu des réticences, elle l'a accepté car elle veut être une grande championne. Elle sait qu'elle doit passer par là. On sait que Rose sera, tôt ou tard, sur des podiums internationaux." Mais elle ne "sacrifiera jamais son corps pour des performances", martèle son amie.

"La musculation prend aujourd'hui forcément une place plus importante dans ma vie, et je comprends mieux pourquoi, reconnaît Rose. J'arrive aussi à prendre un peu de plaisir, pas tout le temps (pause)... Ça dépend des exercices", plaisante-t-elle. Mais en 2024, les préjugés ont toujours la dent dure dans le marteau.

"Encore aujourd'hui, quand on dit que l'on pratique le lancer de marteau, on va imaginer une athlète très musclée, qui est arrivée dans cette discipline faute d'être performante ailleurs."

Xena Ngomateke, coéquipière d'entraînement et amie de Rose Loga

à franceinfo: sport

Les deux athlètes de l'équipe de France ont d'ailleurs décidé, depuis 2021, de porter des jupes ou des robes lors des compétitions afin de féminiser leur discipline. Le message délivré par Rose Loga pourrait ainsi permettre de briser quelques clichés, et ouvrir la discipline à d'autres profils. "On s'est toujours dit que les performances de Rose, et ce qu'elle représente, pourraient, non pas démocratiser, mais mettre un peu de lumière sur la discipline et faire bouger les lignes", acquiesce Baptiste Lacourt. Et pourquoi pas changer les mentalités.