Dans Le Procès de Jeanne, Judith Chemla vaillante en Jeanne d’Arc

Fers aux pieds, mains le long du corps, regard habité, en veste et pantalon, Jeanne d’Arc, incarnée par Judith Chemla, est pâle, mais se tient droite. Digne et fière du haut de ses 19 ans, la Pucelle de Domrémy doit répondre de ses péchés devant ses juges, dont l’inflexible évêque de Beauvais Pierre Cauchon (Jacques Bonnaffé, méconnaissable, comme Jean-Claude Drouot en chanoine de Rouen). Ils n’ont de cesse de voir cette « hérétique » abjurer ses convictions. Sûre d’être dans son droit, sa foi en Dieu chevillée à l’âme, Jeanne ne se laisse pas impressionner. Guidée par ses « voix », elle tient tête à ses accusateurs. Elle en a vu d’autres. Vêtue d’un habit d’homme, chef d’une armée, elle a chassé les Anglais hors de France en brandissant l’étendard de la victoire.

Son sens de l’humour l’empêche de sombrer dans le désespoir quand Cauchon la menace de la livrer au comte de Warwick qui a déjà prévu de la brûler vive. « En quelle figure était saint Michel, quand il vous apparut ? », demande l’évêque. « Je ne lui vis pas de couronne ; et de ses vêtements, je ne sais rien », répond Jeanne simplement. « Était-il nu ? », reprend l’inquisiteur tordu. « Pensez-vous que Dieu n’ait pas de quoi le vêtir ? », rétorque Jeanne dans un demi-sourire.

Livret resserré sur l’essentiel

Touchée par la grâce, magnifiée par le lieu, le Théâtre des Bouffes du Nord figé dans le temps, Judith Chemla a quelque chose d’Antigone et de Nina dans La Mouette. Elle prête à Jeanne sa vaillance, son naturel désarmant, son obstination et sa vérité. « Je ne crains pas les gens de guerre, car j’ai mon chemin tout aplani », affirme-t-elle. La comédienne joue et chante divinement. La jeune chrétienne est écrasée par les hommes d’Église qui apparaissent au-dessus d’elle, posant un regard accusateur sur sa conduite. S’ils en imposent dans leurs riches vêtements, ils demeureront impuissants devant cette paysanne qui n’écoute que ses saints. Leur politique réduite à zéro par son innocence, ils la condamnent au bûcher.

Avec le metteur en scène Yves Beaunesne et le compositeur Camille Rocailleux, Judith Chemla a élaboré un spectacle qui marquera l’histoire du théâtre : Le Procès de Jeanne, d’après les minutes du procès de condamnation de Jeanne d’Arc - 1431, dont la dramaturge Marion Bernède a tiré un livret resserré sur l’essentiel. Dans le programme distribué au public, un lexique explique le vocabulaire employé (« Bailler », « Cédule »…). Judith Chemla est accompagnée de six musiciens chanteurs, tel le chœur solidaire de Jeanne dans son malheur.

Après L’Annonce faite à Marie , d’après l’œuvre de Paul Claudel, leur précédent spectacle, le même trio d’artistes a donné le jour à une « forme d’oratorio », alliant théâtre, chant, musique et vidéos, que Pierre Nouvel a agencé comme autant de tableaux pour représenter les juges. Le scénographe Damien Caille-Perret a transformé le Théâtre des Bouffes du Nord en tribunal. Judith Chemla évolue au centre d’une piste octogonale dominée par les juges qui interviennent sur un écran de la même forme. Jeanne d’Arc n’a aucune chance de s’en sortir. Elle est une justicière, une rebelle héroïque et libre qui restera longtemps dans notre mémoire.

Le Procès de Jeanne, aux Bouffes du Nord (Paris 10e), jusqu’au 16 février.