Fouler les mosaïques de petits carreaux cassés dans le goût Art déco de la salle des Pas perdus de la gare transatlantique de Cherbourg invite le visiteur à fermer les yeux un bref instant pour les rouvrir… au siècle passé. Entre les devantures en bois vernis du guichet de la Cunard, de la boutique Chanel ou encore du bureau du Herald Tribune, on ne serait pas surpris d’y croiser Humphrey Bogart et sa cigarette, Rita Hayworth et son manteau de fourrure, voire Cary Grant dans un imper à col relevé.
Ici, entre les coups secs et prolongés de deux cornes de brume des ferries transmanche amarrés le long des quais voisins, le temps semble suspendu. Comme dans une cathédrale immense et majestueuse mais qui serait ici consacrée aux océans. Et que l’on surnomme localement « Notre-Dame des Queens », en référence aux transatlantiques qui firent sa renommée entre les années 1930 et 1960.
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Déjà inscrite à l’inventaire des monuments historiques du patrimoine architectural des années 1930 en 1989 et élue monument préféré des Français 2022 par les téléspectateurs de l’émission de Stéphane Bern, la gare maritime de Cherbourg (Manche) va faire l’objet cette année d’une demande de classement au patrimoine mondial matériel et immatériel de l’Unesco. Cette démarche a été présentée début janvier par David Margueritte, le président de l’agglomération du Cotentin et à ce titre responsable de la délégation de service public qui gère la Cité de la mer.
« Inaugurée en 1933, la gare, longue de 248 mètres, est aujourd’hui l’un des plus grands monuments de style Art déco de France. Un classement au titre de patrimoine mondial matériel de l’Unesco est défendable. Mais, en raison de son histoire, celle de “porte” des grandes migrations de la première moitié du XXe siècle vers le Nouveau Monde, un classement au patrimoine immatériel, est tout aussi défendable », estime l’élu normand.
Notre-Dame des Queens revient de loin. Plusieurs fois, elle a failli être rasée. Mais elle s’est relevée des destructions de la Libération de 1944, qui vit tomber son campanile haut de 67 mètres, puis du « dynamitage » de sa galerie sud décidé par la chambre de commerce au début des années 1980 pour gagner de la place sur les quais ! Restaurée une première fois en 1952 par René Levavasseur, le même architecte qui l’avait conçue, la gare maritime a retrouvé peu à peu de sa splendeur passée.
Notamment à partir de 2002 avec l’ouverture de la Cité de la mer, un ensemble qui comprend l’ancien sous-marin Le Redoutable et un aquarium géant qui attire plus de 300.000 visiteurs par an. Depuis une dizaine d’années, sa salle des bagages Art déco a aussi été rouverte pour les croisiéristes de la soixantaine de géants des mers qui y font à nouveau escale chaque année. « Un classement à l’Unesco devrait permettre à notre garde de renouer avec son rayonnement international initial », veut croire David Margueritte.