Tour de France 2025 : la folle logistique de la Grande Boucle, qui déplace deux villages par jour pendant trois semaines

Sur la Grande Boucle, les cyclistes ne sont pas les seuls à assurer le spectacle. Chaque jour, dans les villes étapes, se déroulent deux immenses ballets, de la fin d'après-midi à très tard dans la nuit : ceux des installations des villages départ et arrivée. "Tous les jours, on installe deux villages dans deux villes", résume ainsi Yannick Goasduff, responsable des départs chez Amaury Sport Organsiation (ASO), la société qui gère le Tour de France. Un exploit rendu possible par "des centaines de véhicules, de techniciens, mais aussi une coordination avec les services de l’Etat, les collectivités", ajoute Stéphane Boury, responsable des arrivées : "C’est un immense jeu de mécano de trois semaines."

Quand la plus grande course cycliste du monde arrive dans votre ville, un an de travail en amont est requis, pour étudier les moindres détails. Ce qui permet à l’organisation d’installer et désinstaller ces espaces de fête, pensés pour le public, les coureurs et les médias, en quelques heures. Ainsi, à Lille, la zone départ était entièrement démontée avant même le retour des coureurs, à quelques dizaines de mètres de là, sur l’arrivée. Un spectacle qui surprend toujours les passants, parfois nombreux à guetter l’installation du village départ dès la veille au soir. Et qui nécessite une anticipation d'orfèvre.

Un an de préparatifs pour quelques heures d'installations

Entre 100 et 120 camions de 38 tonnes prennent ainsi la route chaque jour en direction du départ, et autant pour l’arrivée. Leur rôle : tout installer avant l’arrivée des coureurs, mais aussi des 150 véhicules qui entourent la course, et des 170 autres qui composent la caravane, sans oublier les dizaines de véhicules des médias. Une immense flotte qui navigue grâce au précieux livret de route, qui comporte des plans détaillés de chaque ville étape. De quoi permettre à ce long défilé, qui ferait pâlir celui du 14 juillet, de trouver son chemin, notamment grâce à un point de passage obligé (PPO, dans le jargon).

Le Tour de France a son propre code de la route, symbolisé par des panneaux dont la couleur et les lettres parlent aux initiés, mais pas au grand public. Sans rentrer dans le détail, ce fléchage qui apparaît dans les communes la veille du passage de la course fluidifie le trafic. Ainsi, malgré le nombre colossal de véhicules, les embouteillages comme celui à l’entrée de Lauwin-Plancque, cette année, sont rarissimes. "On travaille toute l’année pour voir comment imbriquer au mieux notre village dans une ville, tout en valorisant cette ville pour la diffusion et le public", explique Yannick Goasduff.

Le village départ du Tour de France, lors de la 1re étape à Lille, le 5 juillet 2025. (HASLIN / MAXPPP)
Le village départ du Tour de France, lors de la 1re étape à Lille, le 5 juillet 2025. (HASLIN / MAXPPP)

Boulevards privatisés, parkings de supermarchés réquisitionnés, barriérage tentaculaire… Quand la Grande Boucle débarque, elle est reine le temps de son passage. "Dès qu’on reçoit les candidatures des municipalités, on va faire du repérage incognito, pour voir ce qui est possible", témoigne ainsi Sébastien Boury. Un travail de fourmi qui, pour le Tour 2025, a commencé dès avril 2024. "Quand j’explique mon métier, on me demande ce que je fais en dehors de juillet : c’est simple, j’enchaîne les repérages, puis les réunions tout autour du pays", résume Sébastien Boury.

"Chaque ville étape, j’y passe quatre fois avant le départ. En fait, je fais le Tour de France toute l’année, car l’excellence est le minimum exigé."

Sébastien Boury, responsable des arrivées

à franceinfo: sport

Après un long travail administratif entre novembre et mars, puis une période d’études de faisabilité, les équipes d’ASO dessinent les précieuses cartes qui composeront le livre de route. "Tous les documents officiels sont terminés en mars, après on ajuste à la marge. Mais fin mars, on connaît la place de chaque camion, chaque tente dans chaque ville étape, pour que chaque ville puisse ensuite travailler sur les plans de desserte, de restriction de circulation", explique Yannick Goasduff. 

Sept hectares pour une arrivée

Une semaine avant le grand départ, les équipes logistiques du Tour de France prennent possession de la ville hôte, pour plusieurs jours de tests grandeur nature. "On déploie toute la flotte, les camions, les hélicoptères", précise Sébastien Boury. "Puis on prend la route. Chaque jour, dès que les coureurs sont arrivés, je pars sur la ligne du lendemain pour faire un point avec les élus locaux. Le matin, on a un autre point à 6h30 pour coordonner toute l’installation, et un autre à 10 heures. Sur le Tour, être à l’heure c’est déjà être en retard."

Le village départ de la 4e étape du Tour de France, à Amiens, le 7 juillet 2025. (HASLIN / MAXPPP)
Le village départ de la 4e étape du Tour de France, à Amiens, le 7 juillet 2025. (HASLIN / MAXPPP)

500 techniciens s’activent ainsi chaque jour pour décharger et placer les 120 semi-remorques nécessaires à l’arrivée, mais aussi les barrières, les groupes électrogènes, les camions de production TV, les espaces VIP, le podium, des cantines, des camions douches… "Chaque nuit, trois placeurs sont sur zone pour bien positionner les véhicules", détaille Sébastien Boury. "On appelle cela la zone technique de l’arrivée, c’est une petite ville en totale autonomie. Sans oublier le centre de presse attenant, qui doit accueillir chaque jour 200 journalistes."

"Il faut aussi trouver les parkings pour les invités, les 23 bus d’équipes, les huit véhicules légers par équipe. On compte minimum un kilomètre pour le parking équipe, un hectare pour le parking caravane. Au total, on a besoin de sept hectares à chaque arrivée."

Sébastien Boury, responsable des arrivées

à franceinfo: sport

Côté départ, l’installation de la zone technique et du village départ démarre la veille, dès 18 heures. "Nos journées commencent dès que le départ a été donné : 30 minutes après, on débute le démontage qui dure quatre heures, puis on se dirige vers le départ du lendemain", explique Yannick Goasduff, "Rien que sur le village départ, on a 5 000 m2 d’infrastructures à monter dans la nuit, jusqu'à 2 heures du matin environ. À 7 heures du matin, la zone est sanctuarisée. On laisse les lieux au public pour faire la fête, avec trois heures et demie d’animation chaque matin."

Des zones techniques éclatées

Entre le village départ, les différents lieux de vie et de travail, et la zone technique, il faut ainsi 25 terrains de football pour accueillir un départ du Tour de France. "Et on doit faire en sorte que le public puisse circuler au milieu de tout cela, sans gêner les coureurs et ceux qui travaillent sur le Tour", rappelle Yannick Goasduff. "On a aussi 50 000 mètres carrés de parking en tout, chaque jour. Avec des enjeux de flux de véhicules et de personnes à travailler, pour que les champions restent accessibles à toutes et tous."

  (HASLIN / MAXPPP)
  (HASLIN / MAXPPP)

Ce labyrinthe pensé pour que personne ne se perde nécessite une attention de tous les instants. "Le plus dangereux, ce sont les villes où l’on fait souvent étape : il ne faut pas se relâcher sous prétexte qu’on a l’habitude", explique Sébastien Boury, qui redoute aussi chaque arrivée en montagne : "Ce sont souvent des impasses, ce qui complique tout, évidemment. Notamment l’évacuation des équipes après la course".

"C’est le revers de la médaille de cet évènement populaire gratuit : on a de besoin d’une place dimensionnée à l’énorme engouement autour de la course.”

Yannick Goasduff, responsable des départs

à franceinfo: sport

Et ce sans compter sur les étapes spéciales, comme les arrivées au sommet, qui supposent de devoir installer deux zones techniques : une au sommet, réduite, et une en contrebas, plus grande. Un tour de force qui permet par exemple des arrivées au sommet des grands cols, mais aussi d’aller chercher des côtes étroites, comme à Vire cette année. "On est passé d’une logique qui, autrefois, nous faisait aller que là où tout le monde pouvait passer, donc la caravane, à une nouvelle logique aujourd’hui qui veut rendre la route et la montagne aux champions", explique Christian Prudhomme.

"Il y a 20 ans on avait une seule zone technique. Dans ces cas-là, on ne pouvait pas arriver au Granon, à Epernay, à Wallers Arenberg, à la Planche des belles filles… Or, notre obsession, c’est le sport", développe le directeur du Tour de France, "Grâce à ces zones d’arrivée scindées en deux, grâce à la technologie, on peut changer la course. On ne peut pas le faire partout, parce que ça coûte plus cher, c’est lourd pour le personnel et que ça mobilise des progrès techniques qu’on ne peut pas déployer systématiquement”. Quand une étape se termine au sommet du Galibier, il faut ainsi déployer trois zones techniques différentes à l’arrivée. Un jeu d'enfant pour les rois de la logistique de la Grande Boucle.