VIDEO. "Ils sont tous devenus adultes très vite" : un documentaire retrace le parcours des premiers résistants français
Le 8 mai 1945, la France exulte après sa victoire sur l'Allemagne nazie. L'heure est aux célébrations après cinq années d'une guerre destructrice. Les Français retrouvent une unité nationale mise à mal par le régime de Vichy. Si certains, résignés, se sont soumis à l'occupant allemand dès la signature de l'armistice, le 22 juin 1940, une poignée d'entre eux s'est rapidement opposée aux nazis et est entrée en résistance dès 1940.
Des hommes et des femmes dont les destins héroïques ont souvent été oubliés. Un documentaire, intitulé Premiers résistants. Seuls contre tous, réalisé par Véronique Lagoarde-Ségot, et diffusé mercredi 18 juin à 21h05 sur France 3, leur rend hommage. Il redonne vie à ces Français qui ont lutté afin de libérer leur pays. La réalisatrice revient pour franceinfo sur l'élaboration de son film.
Franceinfo : Pourquoi vous êtes-vous intéressée aux premiers résistants français ?
Véronique Lagoarde-Ségot : J'ai constaté qu'on ne parlait jamais des tout premiers. Nous avons gardé l'image des nombreux résistants de la fin de la guerre, mais pas de cette poignée d'indomptables, à l'origine de la rébellion face aux Allemands. Probablement parce que c'étaient des gens ordinaires, entre 16 et 21 ans, qui, spontanément, sans expérience, sans être engagés politiquement, ont décidé de s'opposer à cette défaite, à l'armistice et à l'occupation allemande.
J'ai compris que toute la Résistance avait commencé grâce à leurs actions, et on ne leur a jamais rendu suffisamment hommage. J'ai toujours éprouvé une réelle admiration pour leur engagement. Je souhaitais aussi montrer aux générations actuelles comment, à un moment donné, il est possible de ne pas se soumettre, même lorsque l'on n'a rien, que l'on est seul, que l'on n'a pas d'armes, pas d'organisation.
Je trouvais que ce refus, viscéral, de se résigner aux exigences du régime de Vichy était un ressort humain magnifique et qu'il a trop peu été mis en valeur. Mais si on parle aussi peu d'eux, c'est parce que beaucoup sont morts, car ils ont combattu très tôt. Ils ont payé les frais de leur clairvoyance originelle.
Comment avez-vous retrouvé la trace de ces premiers combattants de l'ombre ?
Cela a été un long travail de recherche qui m'a pris trois mois. L'avantage que j'ai eu, c'est que la plupart de ces jeunes gens ont écrit ce qu'ils vivaient. C'est ainsi que j'ai pu nourrir mon film. Je ne voulais surtout pas fantasmer leur histoire et fabriquer leur ressenti. Donc tout ce que l'on entend dans le film, ce sont leurs mots, leur vécu. J'ai ainsi pu construire leur histoire à partir de leurs écrits. Je n'ai choisi que trois protagonistes, mais il y avait beaucoup de récits extraordinaires. Il m'a fallu choisir.
Comment avez-vous illustré en images votre documentaire ?
Les résistants n'ont pas été filmés, car évidemment, ils étaient cachés. Mais il existe des films de reconstitution et des films de famille de l'époque que j'ai pu utiliser comme matériaux. J'ai ainsi pu trouver des images qui m'ont permis de donner corps à mes protagonistes. Mon challenge était de faire vivre ces résistants à travers des événements qui n'existaient pas en image. Grâce à ces films glanés dans des cinémathèques de province, j'ai ainsi pu faire vivre mon récit. Je voulais absolument que l'on s'identifie à eux, qu'on puisse vivre avec eux leurs histoires.
Vous retracez le parcours incroyable de Jacques Lusseyran, un jeune résistant exemplaire...
Il est absolument extraordinaire. Jacques Lusseyran décide d'entrer en résistance à l'âge de 16 ans, alors qu'il est étudiant en philosophie au lycée Louis-le-Grand. Mais surtout, il s'engage alors qu'il est aveugle. Il avait perdu la vue dans un accident quand il avait 8 ans. Il ne s'en est jamais plaint, car il a considéré que devenir aveugle lui avait permis de mieux comprendre les choses et de mieux les voir. Il dit justement que s'il n'avait pas perdu la vue, il ne serait peut-être jamais entré en résistance.
C'était un élève extrêmement brillant, qui a d'ailleurs beaucoup écrit, car il avait des pensées philosophiques, poétiques et politiques profondes. On peut d'ailleurs entendre beaucoup de ses écrits dans le documentaire. Mon grand regret, c'est de ne pas avoir consacré un film entier à cet homme héroïque, totalement oublié et au parcours singulier.
C'est lui qui initie le mouvement résistant étudiant, malgré sa cécité...
Oui, il commence dès 1940 à chercher des alliés dans son milieu étudiant, ce qui est risqué, car il se met à découvert. Entre 1940 et 1941, avec des élèves de son lycée, du lycée Henri-IV et de la Sorbonne, ils mettent en place un mouvement de résistance, les Volontaires de la liberté, dont le but est d'informer la population. A la fin de l'année 1942, le mouvement compte 600 membres. Du fait de sa cécité, les autres sens de Jacques Lusseyran s'exacerbent et deviennent très aiguisés. Il est alors chargé de contrôler le recrutement de nouveaux membres. Il raconte, dans un de ses livres, comment, dans un Paris vidé de ses habitants, il reconnaissait la présence des Allemands à l'odeur des cigarettes qu'ils fumaient, car le tabac n'était pas le même qu'en France.
Puis, en 1941, il rencontre Philippe Viannay, à la tête d'un groupe de résistants et d'un journal clandestin appelé Défense de la France, qui deviendra ensuite France-Soir. Jacques Lusseyran intègre le comité de rédaction de ce journal. En juillet 1943, dénoncé par un agent double, il est arrêté, envoyé à la prison de Fresnes, puis déporté à Buchenwald en janvier 1944, à l'âge de 20 ans. Dans ce camp, il y a un réseau de communistes. Ils se protègent et Jacques Lusseyran survit. Mais s'il a pu revenir, c'est parce qu'il a été déporté tardivement, sinon il y serait mort. Il raconte d'ailleurs dans son livre que dans ce camp, on lui prend son pain, sa soupe. Il est aveugle, donc on le vole en permanence.
La maturité de ces jeunes vous a-t-elle marquée ?
Durant ces quatre ans de guerre, ils deviennent tous adultes très vite. Il n'y avait pas que des étudiants mobilisés. Il y avait aussi beaucoup de jeunes rebelles. Jacques Lusseyran a d'ailleurs écrit de très belles choses à propos de ces jeunes qui ont grandi trop rapidement. "Les enfants d'un pays heureux n'en finissent pas d'être des enfants, mais ceux d'un pays qui souffre sont des hommes, déjà. Avant même qu'ils ne le désirent, avant même que leur corps ne le permette. Ils ont encore leur bouche de dix ans prête à la moue du chagrin, de l'encre sur les doigts, des filles auxquelles ils n'ont jamais touché. Pourtant, ils sont des hommes, déjà..."
Vous évoquez également le rôle des femmes dans les débuts de la Résistance...
On parle très peu d'elles, à part bien sûr de Lucie Aubrac, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, ou encore Germaine Tillion, mais elles ont été reconnues tardivement. Il y avait beaucoup d'autres femmes à des postes de responsabilités incroyables à ce moment-là. J'ai souhaité mettre en avant Berty Albrecht, qui s'est mobilisée très tôt. Elle était d'une grande modernité. Elle avait deux enfants et était séparée de son mari qui était banquier à Londres. Elle était communiste, antifasciste et féministe. Dès les années 1930, elle lutte pour le droit à l'avortement, pour les droits des femmes dans les usines, leur enseigne la contraception et s'occupe du chômage féminin. Elle était vraiment en avance sur son temps.
En 1940, elle travaillait comme surintendante dans une usine sous le régime de Vichy, un poste d'Etat qui lui procurait une couverture parfaite. Elle a fondé, avec son amant Henri Frenay, le mouvement résistant Combat. Elle a été arrêtée en 1942, a réussi à s'échapper et a de nouveau été arrêtée en 1943 par la Gestapo. Torturée par Klaus Barbie, elle s'est pendue dans sa cellule afin de ne pas dénoncer ses camarades. Un parcours incroyable et exemplaire, documenté par les écrits de sa fille Mireille, qui était aussi engagée dans la Résistance.
Il y avait différents courants politiques parmi ces résistants ?
Oui, dans les débuts de la Résistance, il y avait tous les bords politiques et toutes les classes sociales : des gens de droite, de gauche, des religieux, des athées, des patrons, des paysans, des syndicats, des ouvriers... Tous animés par le même désir de combattre l'ennemi nazi. Ensuite, grâce à Jean Moulin, tous ces petits mouvements de résistants se sont ralliés à la résistance militaire du général de Gaulle.
Le documentaire "Premiers résistants. Seuls contre tous", réalisé par Véronique Lagoarde-Ségot, est diffusé mercredi 18 juin à 21h05 sur France 3 et sur la plateforme france.tv.