Guerre au Liban : pourquoi Israël s’attaque aux banques du Hezbollah

Les bâtiments ont été rasés par les explosions dans la banlieue sud de Beyrouth et dans d’autres localités du pays, comme à Tyr ou dans la plaine de la Bekaa. L’armée israélienne a visé dimanche 20 octobre plusieurs agences de la société financière Al-Qard al-Hassan ("le prêt vertueux", en arabe), une institution appliquant les principes de la finance islamique, c'est-à-dire octroyant des prêts sans taux d'intérêt. Considérée comme le bras économique du Hezbollah, l'organisation était sous le coup de sanctions américaines depuis de nombreuses années.

"Al-Qard al-Hassan est impliquée dans le financement des opérations terroristes du Hezbollah, notamment en finançant l'achat d'équipements de combat et en payant les salaires des membres de la branche militaire", a expliqué le porte-parole militaire israélien Avichay Adraee sur X.

Pour Didier Leroy, chercheur à l’École royale militaire de Belgique, "Israël veut inverser la rhétorique du Hezbollah qui a longtemps qualifié l’État hébreu de 'toile d’araignée' fragile. D'abord en faisant exploser ses bipeurs, puis en alternant des frappes puissantes sur certains stocks d’armes et des opérations terrestres le long de la frontière, et en décapitant la direction du parti."

Cette fois-ci, Israël cible une institution civile du Hezbollah. "Il y a une volonté du gouvernement israélien d'associer les deux branches du parti pour légitimer les attaques", estime Joseph Daher, professeur invité à l’Université de Lausanne. Une pratique que l’on observait déjà lors de la guerre en 2006. "L’idée, c’est de détruire toutes les institutions du Hezbollah", souligne Aurélie Daher, enseignante-chercheuse à l’université Paris-Dauphine.

Finance islamique

Créée en 1983, l'organisation Al-Qard al-Hassan accorde des microcrédits d’en moyenne 2 500 dollars (environ 2 300 euros) à des milliers de clients, en échange d’or. "Nous octroyons des microcrédits sans taux d’intérêt, plafonnés à 5 000 dollars, visant à répondre à des besoins divers comme un mariage, le financement d’un projet ou des besoins personnels", expliquait en 2020 son directeur exécutif, Adel Mansour, au mensuel économique Le Commerce du Levant. Contrairement aux banques traditionnelles, Al-Qard al-Hassan n'applique pas de taux d'intérêt, en accord avec la finance islamique qui proscrit les bénéfices. Si l'Iran a aidé à sa création dans les années 1980, elle est désormais autofinancée, principalement par la communauté chiite libanaise.

Al-Qard al-Hassan détient une licence du ministère de l’Intérieur en tant qu’association caritative, solidaire et coopérative, et non comme une banque commerciale à but lucratif. Elle a pourtant pris ces dernières années une place prépondérante dans la vie économique libanaise, principalement dans la communauté chiite. En 2019, elle comptait 486 000 contributeurs et membres, et revendiquait deux millions de prêts accordés depuis 1983, pour un montant total de 4,3 milliards de dollars. "À l’origine, Al-Qard al-Hassan propose des crédits à taux zéro permettant de démarrer une petite activité économique, en finançant une formation ou en achetant une machine à coudre, par exemple. L’idée était de permettre à certaines familles d’avoir un deuxième revenu dans la maison", explique la chercheuse Aurélie Daher.

Une organisation renforcée par la crise financière

L’effondrement du système bancaire libanais lors de la crise financière d’octobre 2019 n’a fait que renforcer sa popularité. À l'époque, quatre millions de Libanais se voient refuser par leur banque, du jour au lendemain, l'accès à leurs économies. La faute à une dette publique devenue insoutenable. "Les banques libanaises ont adopté un contrôle des capitaux et on ne peut plus retirer beaucoup d’argent. Parallèlement, l’économie est devenue beaucoup plus 'cashérisée', ce qui favorise le Hezbollah, qui est actif dans divers réseaux d’économie illicite et informelle. Or, quand vous allez déposer de l’or chez Al-Qard al-Hassan, vous pouvez disposer tout de suite de cash", fait remarquer Joseph Daher. "Depuis la crise financière, l’utilisation s’est diversifiée avec beaucoup de crédits à la consommation pour les Libanais qui n’arrivent plus à payer leurs courses ou la scolarité des enfants, ajoute Aurélie Daher. Par ailleurs, les Libanais ne font plus confiance à leur système bancaire dans lequel sortir son argent s’avère très compliqué."

Avec son système basé sur les dépôts d'or, l'association Al-Qard al-Hassan s'est révélée être un refuge pour de nombreux Libanais en perte de pouvoir d'achat. "Nos déposants savent que leurs économies ne disparaîtront pas, comme ce fut le cas dans les banques libanaises. La valeur de nos dépôts a au moins doublé depuis 2019 !", se targuait en 2020 son dirigeant Adel Mansour.

Sanctions internationales

Côté occidental, on considère ces agences ni plus ni moins comme des sources de financement du terrorisme islamique. Dès 2007, le Trésor américain a d’ailleurs mis sous sanctions l'organisation Al-Qard al-Hassan en gelant ses avoirs. En 2021, plusieurs personnalités liées à l’institution ont de nouveau été visées. L'organisation "est utilisée par le Hezbollah comme couverture pour gérer les activités financières" du mouvement "et avoir accès au système financier international", accusait alors le Trésor américain.

Fin 2020, un groupe de hackers nommé Spiderz a piraté les données d’Al-Qard al-Hassan pour dévoiler l’identité de plusieurs milliers de clients, principalement des Libanais résidant à l’étranger et des institutions iraniennes. "Ce sont les mafias, les milices et l'argent qui gouvernent le Liban aujourd'hui", affirmaient les pirates. "Al-Qard al-Hassan n'est pas une société caritative, c'est une banque du Hezbollah, hors du système financier libanais officiel." Malgré ces critiques, certains experts estiment que bombarder ses agences ne fera qu'aggraver la crise économique au Liban : "Israël cible Al-Qard al-Hassan dans le cadre de sa stratégie visant à appauvrir davantage une population déjà vulnérable et déplacée", estime sur X l'experte du Hezbollah Amal Saad.